Souffrance et foi chrétienne dans la société congolaise Essai d’interprétation des orientations pastorales de Mgr Anatole Milandou Arrivé il y a un an à Grenoble où il est prêtre coopérateur sur la Paroisse Notre - Dame de l’Espérance, le Père Pierre Minkala vient de publier un petit livre intitulé « Souffrance et foi chrétienne dans la société congolaise ». Ce livre reprend le travail de recherche qu’il a effectué pour le mémoire de licence canonique en théologie, en 2000, au Grand Séminaire de Théologie Emile Biayenda de Brazzaville. Quel était l’objectif de votre travail ? Cette réflexion pastorale a été inspirée par la lecture des lettres pastorales de Mgr Anatole Milandou, premier évêque de Kinkala, actuellement archevêque métropolitain de Brazzaville. La pertinence de cet enseignement m’a poussé à réfléchir sur le sujet, à en approfondir les bases anthropologiques, bibliques, théologiques et éthiques pour le mettre à la portée d'un large public. Ces lettres sont une réponse au phénomène des accusations intempestives de sorcellerie, qui sévit en Afrique noire, et particulièrement dans la société congolaise, et qui s’accompagne souvent des scènes de violence. Dans les moments de souffrance, due à la maladie, à la mort, aux échecs… au lieu de chercher les vraies causes de cette souffrance, on a parfois recours à l’explication facile de la sorcellerie. Dans l'anthropologie du groupe ethnique Kongo, la souffrance était parfois attribuée à l'action des sorciers, à qui l’on reconnaissait une certaine maîtrise des esprits maléfiques qu’ils envoyaient comme des chiens de chasse auprès de certaines personnes pour leur nuire. Cette conception de l’origine de la souffrance est à la base de cette mentalité qui attribue tout malheur à l’action des sorciers et qui, malheureusement, persiste encore aujourd’hui. Beaucoup de Congolais, y compris des chrétiens, sont compris dans cette mentalité. D’où la préoccupation de Mgr Anatole Milandou de vouloir donner une réponse authentiquement chrétienne à cette question de la souffrance, telle qu’elle se présente dans la société congolaise. Comment Mgr Milandou aborde-t-il le problème ? Il y a essentiellement trois lettres pastorales dans laquelle il traite cette question. La première s'intitule Chrétien, quelle est ton attitude devant la souffrance ? C’est cette lettre qui amorce son enseignement pastoral sur le sujet. Après avoir fait le constat sur l’ampleur des accusations de sorcellerie dans son diocèse de Kinkala, il explique d’abord comment les anciens Kongo réagissaient devant la souffrance. Pour les anciens Kongo, la souffrance ne vient pas de Dieu qui veut toujours le bien de l'homme. Puisque la souffrance ne pouvait venir de Dieu, les anciens Kongo ont conclu à deux causes principales de la souffrance : l’action des sorciers et la transgression par les vivants des règles sociales laissées par les ancêtres. En effet, les Kongo admettaient qu’il y avait des personnes qui se servaient des esprits des morts pour jeter des mauvais sorts aux vivants ; il y en avait aussi qui, pour se faire initier aux pratiques occultes, telles que la magie, offraient des sacrifices humains. Et lorsque les vivants ne respectaient pas les coutumes des anciens, ces derniers (déjà morts) réagissaient en suscitant des épidémies ou d’autres calamités naturelles. Mais, dans l’ancienne société Kongo, quand il y avait une menace de malheur, le chef rassemblait toute la famille pour une cérémonie de réconciliation, dans l’objectif de rétablir la communion entre les vivants d’une part, et entre les vivants et les morts, d’autre part. Et les dangers de mort ou de maladie étaient ainsi éloignés. Malheureusement cette démarche n’est plus suivie dans la société actuelle où les jeunes procèdent souvent aux accusations gratuites, à la torture ou à l’élimination physique de toute personne accusée de sorcellerie. Actuellement, quand il y a une souffrance, on accuse un sorcier, qu'on cherche à éliminer pour éviter la souffrance. Quels sont le repères donnés aux chrétiens ? Pour éclairer les chrétiens sur les attitudes à adopter devant la souffrance, Mgr Milandou met en lumière l’attitude du Christ devant la souffrance. Devant la souffrance, Jésus est pris de compassion : il eut pitié de la veuve de Naïm ; il pleura avec Marie, la sœur de Lazare ; il eut pitié de la foule qui n’avait rien à manger... Mais il ne s'est pas arrêté là : il guérit, réconforte, nourrit les affamés et ressuscite… Il pose des actes de salut. Sa compassion est agissante. Et devant sa propre souffrance, le Christ n'a pas reculé, il l’a acceptée et il en a fait une source de salut pour l’humanité toute entière. La souffrance appelle toujours la responsabilité de l'homme : responsabilité de la pensée, de l’action, de l'inventivité pour ouvrir des portes d’avenir. Mgr Milandou donne des exemples concrets : à l'origine de la souffrance, il peut y avoir des causes liées au sous-développement socio-économique. Par exemple, le problème du chômage : c'est un problème réel qu'on ne peut pas expliquer par la sorcellerie. L'échec scolaire : s’il y a un fort absentéisme des élèves et si les enseignants sont découragés, très mal payés, le niveau est très faible, et le résultat est un échec aux examens. L’insalubrité et le manque d’hygiène alimentaire peuvent provoquer aussi des maladies, telles que les diarrhées, la fièvre typhoïde, etc., qui peuvent entraîner la mort. Donc, pour lutter contre la souffrance, il faut, pour Mgr Anatole Milandou, promouvoir la qualité de la vie et les actions de développement national. Vous dites que ces recours à la sorcellerie sont aussi répandus chez les Chrétiens ? Dans sa première lettre pastorale, Mgr Anatole Milandou n’hésite pas à condamner les chrétiens qui sont malheureusement partie prenante dans ces genres d’accusations et se livrent à des actes de violences. Ces chrétiens sont en fait parfois pris sous le charme de certains responsables des Eglises de réveil (les Sectes) qui sont consultés en cas de malheur et, ces derniers, profitant de la détresse des gens, désignent facilement des boucs émissaires : si vous souffrez, c’est parce que vous avez un différend avec une personne qui vous a jeté ce mauvais sort. Il y a également, malheureusement, des prêtres catholiques qui, par leur manière de pratiquer l'exorcisme, qui est en passe de devenir presque une mode pastorale dans l’Eglise locale, laissent croire aux gens qu’ils ne sont pas toujours à l’abri d’une possession démoniaque. Votre travail a donc un objectif pastoral ? Oui, c'est d’aider des gens à vivre authentiquement leur foi. C'est un défi majeur dans l’Eglise qui est en d'Afrique. Certes il y a une ferveur, mais il faut la purifier du syncrétisme ou du risque de retour aux pratiques incompatibles avec la profession de foi chrétienne. A côté des gens qui vivent bien et qualitativement leur foi, car il y en a en Afrique, il y a malheureusement certains chrétiens dont les comportements peuvent amener à ce constat : « on est chrétien de jour et païen de nuit ». Ce travail répond donc à un souci d'éducation permanente du peuple de Dieu. Car on ne peut pas exprimer les vérités de la foi que l’on a jamais apprises ou poser des actes auxquels on n'a pas été initié, comme l’a affirmé le Synode africain en 1994. Il faut d'abord connaître les vérités de la foi pour pouvoir les vivre dans la vie concrète. Propos recueillis par C. Ruet (Interview publiée dans Relais 38 – Le mensuel des communautés catholiques de l’Isère – n° 173, septembre 2006, pp.15-16) Pierre Raudhel MINKALA, Souffrance et foi chrétienne dans la société congolaise. Essai d’interprétation des orientations pastorales de Mgr Anatole MILANDOU, Paris, Société des Ecrivains, 2006, 82 pages; prix : 12 €
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