Appel à l’unité pour une Eglise-Famille de Dieu Introduction A l'occasion du deuxième millénaire de la naissance de l'Apôtre Paul, le Saint Père Benoît XVI a institué une année spéciale appelée « année Saint Paul ». L'ouverture a eu lieu le 28 juin 2008, à la veille de la fête de l'Apôtre, et la clôture se fera une année après, en 2009. Au cours de cette année, le Pape propose des pèlerinages pénitentiels sur la tombe de l'Apôtre, des symposiums et des publications sur les textes pauliniens pour faire connaître toujours mieux l'immense richesse contenue dans ces chefs-d'œuvre théologiques. A titre de rappel, en effet, le canon du Nouveau Testament est composé de 13 lettres attribuées à Paul : neuf de ces lettres sont adressées à des communautés et les quatre autres à des personnes particulières. Comme nous pouvons le constater, les lettres de Paul ne sont pas des correspondances privées ; il s'agit des messages adressés à des communautés qui assurément ont leur histoire et leurs particularités. Mais le contenu de ces lettres démontre, en effet, qu'elles sont adressées à la chrétienté tout entière, au-delà des destinataires nommés de manière explicite. C'est dans ce sens de l'universalité du message de l'Apôtre que nous pouvons en faire une actualisation dans notre contexte congolais. Vu le caractère vaste de la pensée de l'Apôtre des gentils, nous nous limiterons dans cette réflexion à une étude d'un texte dans lequel il expose sa vision d'Eglise. I. Ep 4, 1-16 : Appel à l'unité Avant toute analyse, il convient de signaler, en guise d'introduction, qu'Ephésiens n'est pas une lettre au sens propre du terme, mais plutôt un traité théologique présenté sous la forme d'une lettre. Son thème principal est l'ecclésiologie (discours sur l’Eglise). En effet, chaque fois que le rédacteur se réfère de manière précise à l'histoire du salut, il mentionne l'Eglise, laquelle acquiert de cette façon une signification particulièrement dominante (Ep 1,22 ; 2, 14-18 ; 3, 5.9s ; 4, 4-6 ; 5,25s). Dans cette perspective, le terme ekklêsía ne désigne jamais la communauté locale mais toujours l'Eglise Universelle dont les apôtres et les prophètes sont le fondement (Ep 2,20). En outre, Paul y a proclamé le plan de Dieu pour le monde d'alors, caractérisé par la désintégration sociale de l'Empire romain après la mort d'Auguste. Aujourd'hui encore, l'épître aux Ephésiens est actuelle, car elle nous parle de fraternité dans une société aliénée et de paix à des hommes en conflit. Mais notre réflexion se penchera sur ce qui constitue le fondement et la vitalité d'une Eglise, à savoir l'unité, sans laquelle le nouveau peuple de Dieu vivrait en contre témoignage par rapport à la volonté de son Maître. I.1.Analyse exégético-théologique I.1.1. Exhortation à conformer l'appel à la vie (Ep 4, 1-2) Dans ces versets, avant de donner le contenu de son message, Paul présente la situation du moment, c'est-à-dire le contexte dans lequel il fait cette exhortation. En effet, il se dit être prisonnier: une note très importante pour dire que l'Apôtre, en dépit de son état de prisonnier, se soucie d'instruire les communautés qu'il avait formées. Mais cette expression de « prisonnier dans le Seigneur » a un double sens: en effet, Paul est autant le prisonnier du Christ que le prisonnier pour le Christ. Il est autant lié à lui par les liens d'amour qu'enchaîné dans la prison pour cause de loyauté évangélique. L'exhortation est donc marquée par l'autorité d'un apôtre du Christ et par la conviction passionnée d'un homme qui souffre la prison à cause de sa vision d'une Eglise unie. « Je vous exhorte, dit-il, à vivre d'une manière digne de la vocation qui vous a été adressée. » En effet, la nature de la vocation divine détermine ce que doit être cette vie. Quelle est cette vocation ? La nouvelle vocation que Dieu crée a deux caractéristiques principales : c'est d'abord un peuple composé de Juifs et de païens, la famille unique de Dieu. C'est ensuite un peuple saint distinct du monde profane, mis à part pour appartenir à Dieu comme Israël dans l'ancienne alliance. D'après Paul, une vie digne de la vocation reçue se caractérise par cinq vertus : l'humilité, la douceur, la patience, le support mutuel et l'amour. Au chap. 3, 17, il a demandé dans sa prière que ses lecteurs soient enracinés et fondés dans l'amour ; il s'adresse maintenant à eux pour les exhorter à vivre dans l'amour. Dans cette constellation des vertus qui caractérisent les membres du nouveau peuple de Dieu, Paul place l'humilité au premier rang. En effet le mot tapeinophrosúnês désigne l'humilité de l'esprit, l'humble reconnaissance de la dignité et de la valeur d’autrui. Cette même humble disposition d'esprit qui était en Christ et qui l'a conduit à se dépouiller lui-même pour devenir serviteur (Ph 2, 3-8). L'humilité est indispensable à l'unité, car derrière toute discorde se cache l'orgueil, tandis que l'humilité est le plus grand et en même temps le plus simple secret de l'harmonie. Par ailleurs, la douceur (praútêtos), c'est le milieu entre l'excès et l'absence totale de la colère. La douceur n'est pas synonyme de faiblesse. C'est plutôt la gentillesse du fort capable de contrôler sa force. C'est la qualité d'une forte personnalité qui sait se maîtriser et se mettre au service des autres. La troisième et quatrième vertu vont naturellement ensemble elles aussi, car makrothumía désigne la patience à l'égard de ceux qui nous exaspèrent ; la patience que Dieu a eue envers nous en Christ (Rm 2,4 ; Tm 1,16) alors que le support mutuel (anechómenoi allêlôn) n'est autre que la tolérance mutuelle sans laquelle aucun groupe humain ne peut vivre en paix. L'amour est la vertu finale qui embrasse les quatre précédentes, qui est la couronne et la somme de toutes les vertus. L'amour, qui recherche activement le bien-être d'autrui et le bien de la communauté, possède bien les propriétés unificatrices célébrées en Col 3,14 (cf. 1Cor 13). I.1.2. L'unité chrétienne découle de l'unité de notre Dieu (vv. 3-6) Dans cette partie du texte, une chose attire l'attention du lecteur, à savoir la répétition des mots "un seul" ou "une seule" qui reviennent sept fois dans les versets 3 à 6. On s'aperçoit qu'à trois reprises, ils s'appliquent aux personnes de la Trinité : un seul esprit, (v 4) ; un seul Seigneur, c'est-à-dire, le Seigneur Jésus, un seul Dieu et Père de tous. Il y a un seul corps parce qu'il y a un seul Esprit. Ce corps unique est l'Eglise, le corps du Christ (Ep 1,23), composé de croyants, juifs et païens. Il doit son unité au Saint Esprit qui l'habite et qui l'anime. Comme l'écrit Paul ailleurs, nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit, pour être un seul corps, soit juifs, grecs, esclaves, libres... (1 Cor 12,13). Il y a une seule espérance liée à notre vocation chrétienne ; une seule foi et un seul baptême, parce qu'il y a un seul Seigneur. Car le Seigneur Jésus-Christ est l'unique objet de la foi, de l'espérance et du baptême de tous les chrétiens. Il y a une seule famille chrétienne englobant tous, parce qu'il y a un seul Dieu et Père. Ces considérations veulent dire, en filigrane, qu'étant donné qu'il n'y a qu'un seul Dieu, un seul Seigneur, une seule foi, l'Eglise est indivisible. I.1.3. L'unité chrétienne est enrichie par la diversité de nos dons (vv 7-12) Le contraste entre les versets 6 et 7 est remarquable. Au verset 6, Dieu apparaît comme le Père de tous, qui est au dessus de tous, parmi tous et en tous. Puis, au verset suivant, l'apôtre enchaîne : « mais à chacun de nous la grâce a été donnée... » Paul passe de « nous tous » à « chacun de nous », c'est-à-dire, de l'unité à la diversité. En fait, l’apôtre nuance ses propos sur l'unité dans l'Eglise. En effet, bien qu'il n'y ait qu'un seul corps, une seule foi et une seule famille, cette unité ne doit pas être confondue avec une uniformité sans vie et sans couleur. Car, l'unité de l'Eglise, loin d'être ennuyeuse par sa monotonie, est passionnante dans sa diversité. Celle-ci ne tient pas simplement aux différences de culture, de caractère et de personnalité, mais à la variété de dons que le Christ répartit pour l'enrichissement de notre vie commune. Le verset 7 montre que ces dons sont une manifestation de la grâce du Christ. Ici, contrairement à Rm 12, 6 et 1 Cor 12, 4, l'apôtre n'emploie pas le mot habituel charismata (que nous traduisons habituellement par charismes) pour désigner les dons, mais il fait clairement allusion à ces mêmes dons. I.1.4. Les dons sont faits par le Christ (vv 7-10) D'après le verset 7, chaque don est un don du Christ, ce que souligne encore d'avantage le verset suivant qui cite le Psaume 68,19. La tradition liturgique de la Synagogue associait le Psaume 68 à la Pentecôte, la fête juive commémorant le don de la Loi. L'application à la Pentecôte chrétienne offre à Paul l'occasion de faire une analogie remarquable. En effet, de même que Moïse avait reçu la Loi et l'avait donnée à Israël, ainsi le Christ reçut l'Esprit et le donna aux chrétiens pour qu'il grave la Loi de Dieu dans leur cœur. I.1.5. Les dons spirituels sont faits pour le service (v 12) Au verset 12, Paul indique clairement pourquoi le Christ a fait ces dons à l'Eglise. En effet, les dons ont été distribués pour le perfectionnement des saints, c'est-à-dire en vue de l'œuvre du service et de l'édification du corps du Christ. Dans cette ecclésiologie du service, Paul, comme nous le voyons, présente deux objectifs, l'un immédiat : « perfectionnement des saints en vue de l'œuvre du service », c'est-à-dire préparer les membres du peuple de Dieu à accomplir la tâche du service chrétien ; l’'autre est l'édification du corps du Christ. Tous les dons spirituels sont par conséquent des dons de service ; c’est leur but. En effet, ces dons ne sont pas donnés pour une jouissance égoïste, mais pour un service désintéressé, celui d'autrui. Chacune des listes des charismata le souligne comme nous le voyons dans 1 Cor 12,7. 31. I.1.6. L'unité chrétienne réclame notre maturité (vv 13-16) L'apôtre développe ce qu'il entend par édification du corps du Christ. Il s'agit d'un lent processus aboutissant à l'unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l'état de l'homme parfait, à la mesure de la stature parfaite du Christ. Tel est l'objectif auquel l'Eglise doit parvenir au cours de son pèlerinage terrestre. L'unité de l'Eglise, bien que déjà donnée et inviolable, doit cependant être conservée (v 3) et atteinte (v 13). De même que l'unité doit être conservée visiblement, ainsi doit-elle être atteinte pleinement. Car il y a des degrés dans l'unité comme il y en a dans la sainteté. L'unité à laquelle nous parviendrons un jour est l'unité parfaite rendue possible par la parfaite connaissance du Fils de Dieu et une parfaite foi en lui. Ce qui veut dire, en filigrane, que certains manquements concernant l'entente et l'acceptation mutuelle entre disciples du Christ sont dus à une connaissance imparfaite du Christ et un manque de maturité dans la foi. Ce qui revient à dire qu'on exclut toute possibilité d'unité en dehors de la foi et de la connaissance chrétiennes. C'est par une meilleure connaissance du Fils de Dieu et par une foi profonde en lui que nous parviendrons à l'unité conforme à son désir. Conclusion Telle est la vision que Paul a de l'Eglise. La nouvelle société fondée par le Christ doit mener une vie digne de la vocation reçue. L'une des exigences de cette vocation consiste dans la culture d'une attitude d'acceptation mutuelle, c'est-à-dire d'un accueil inconditionné des uns et des autres. Une telle disposition requiert le don de l'humilité qui permet à chacun de ne pas se considérer un super homme par rapport aux autres membres de la communauté. Car, dans l'Eglise, nous sommes tous des pauvres ouvriers que le Seigneur a appelés à sa vigne ; chacun de nous doit apporter du sien pour l'édification de cette même Eglise. Une telle disposition est indispensable pour notre Eglise au Congo qui, après 125 ans d'annonce de la Bonne Nouvelle, doit continuer à donner aux hommes de bonne volonté des raisons de croire et d'espérer. L'humilité qui nous permet de reconnaître les autres dans leur dignité a comme corollaire la douceur et la patience qui, toutes ensemble, constituent le socle d'un vrai amour. Toutes ces vertus ne constituent pas une fin en soi, mais des moyens à travers lesquels on acquiert l'unité, réalité indispensable pour une Eglise digne de ce nom. Cette unité prend sa source dans celle des trois personnes de la Trinité qui, en dépit de leur diversité, constituent une réalité indivisible. Ceci revient à dire que, nonobstant notre diversité, nous sommes invités à former une seule famille chrétienne si nous voulons vivre en adéquation avec notre vocation. Au sein de cette famille chrétienne que nous formons, chacun de nous renferme un don. Et tout don est attribué par le Christ non pour servir notre intérêt égoïste, mais pour être au service de l'Eglise, c'est-à-dire de nos frères. En outre, il est important de signaler que les dons dans l'Eglise ont une fonction de complémentarité, et aucun parmi eux ne peut être estimé supérieur par rapport aux autres. Pour que tout cela soit rendu possible, il nous faut une chose primordiale, à savoir la vraie connaissance du Christ qui culmine dans une maturité dans la foi. Car une Eglise qui a une connaissance partielle de son Maître est une Eglise immature dans la foi. C'est cette maturité dans la foi qui est le résultat de la parfaite connaissance du Christ qui fera de notre Eglise sel de la terre et lumière du monde. C'est-à-dire une Eglise capable d'empêcher la putréfaction d'une société dont le tissu social se détériore pour cause des intérêts égoïstes. Une Eglise capable d'éclairer ceux qui sont au tour d'elle lorsqu'ils s'engagent dans une direction contraire. Mais comment y arriver si en son sein certaines questions élémentaires de convivialité constituent encore une vraie difficulté? Abbé Antonio MABIALA Recteur du Grand séminaire de philosophie G.F.SINGHA
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