L’identité du Christ détermine celle du disciple (24ème Dimanche du Temps ordinaire – Année B) Textes : Is 50, 5-9 ; Ps 114, 1-6.8-9 ; Jc 2, 14-18 ; Mc 8, 27-35 L’Evangile de Marc nous présente aujourd’hui la profession de foi de Pierre. Ce texte a dû avoir un grand intérêt dans les premières communautés chrétiennes, au point que la tradition synoptique l’a conservé dans les trois évangiles. De ce texte dépend en grande partie l’affirmation de la primauté de Pierre sur le collège apostolique. La version matthéenne rapporte, en effet, que Simon Pierre est devenu le roc sur lequel Jésus a voulu fonder son Eglise, contre laquelle les forces de l’Hadès ne pourront prévaloir, en même temps qu’il lui donnait les clés, symbole du pouvoir de lier et de délier (Mt 16,17-19). En outre, la réponse de Pierre a trouvé un écho jusque dans la tradition johannique qui rapporte à la fin du discours sur le pain de vie et du scandale que cela provoque, la profession de foi selon laquelle Jésus est « le Saint de Dieu » (Jn 6,69 ; Cf. Mc 1,24). Cet évangile, peut-on dire, comprend deux moments essentiels : la profession de foi de Pierre (Mc 8,27-30) et la première prédiction de la passion (Mc 8,31-33). La scène est située sur la route de Césarée de Philippe (Mc 8,27). Nous sommes, encore une fois de plus, sur un territoire païen. En Mc 8,22-26, Jésus a guéri un aveugle à Béthsaïde. Ici, au v. 27, on le présente sortant, allant vers Césarée de Philippe. Pour Matthieu, la scène a lieu exactement à Césarée de Philippe (Mt 16,13). Une causerie en pleine route, entre amis, deviendra pierre de fondement de la foi de l’Eglise. La route est souvent le lieu des racontars. C’est d’ailleurs l’impression que donne le début de ce passage. Jésus veut savoir ce que disent les gens sur lui. Cela semble vraiment banal. Mais la suite revêtira une importance capitale. Elle concerne le dialogue sur l’identité de Jésus et la première prédiction de sa passion. Ainsi, compte tenu de l’importance des sujets à traiter, la route vers Césarée devient le symbole de cette Eglise en marche, en route vers les nations et vers la pleine connaissance (la pleine révélation) de l’identité du Christ et, partant, de Dieu. C’est cela l’enjeu du débat. L’identité du Christ, en effet, déterminera celle du disciple. Qui suis-je, au dire des hommes… Qui suis-je selon vous ? C’est à cette double question que les disciples doivent répondre. L’unique problème qui est posé ici est celui de l’identité de Jésus. La perspective, cependant, est double : selon les hommes et selon « vous ». La précision entre les deux se passe de tout commentaire. Il ne s’agit pas seulement de ce que les gens disent, mais aussi et surtout de ce que la communauté des disciples dit de Jésus. C’est une question à laquelle on ne peut se soustraire. A toutes les époques, dans toutes les circonstances, les disciples du Christ sont tenus de donner l’identité de celui en qui ils croient. Pierre le dira de manière quelque peu tragique : « Soyez prêts à rendre raison de l’espérance qui est en vous » (1 Pi 3,15). Dans la première réponse donnée par tous, Jésus est compris comme un prophète, c’est-à-dire celui qui porte la parole de Dieu. Les modèles cités sont tous tirés évidemment de la tradition prophétique. Jean Baptiste est le dernier des prophètes, celui qui a montré Jésus du doigt. Elie est en quelque sorte l’incarnation de la prophétie de jugement (Cf. le récit de sa vie en 1 R 17-19) et dont on attend aussi le retour (Ml 3,23 ; Cf. Mt 17,10-13). La tradition matthéenne ajoute Jérémie, le prophète de l’alliance nouvelle avec une loi inscrite dans le cœur (Jr 31,31-34). Cette compréhension de Jésus sous l’angle prophétique est bien présente dans le Nouveau Testament. Dans les Actes, Pierre présente Jésus comme le prophète à l’image de Moïse et que Dieu avait promis à Israël (Ac 7,37). Déjà, à Jean Baptiste, on demandait s’il était le prophète, sous-entendu celui qui allait venir et qu’on attendait (Jn 1,21-22). L’attente messianique des Juifs a aussi assumé la figure prophétique. Déjà dans la période post-exilique, la construction de la figure de Moïse a également porté sur son caractère prophétique (Dt 18,15-18). Ceci indique une certaine importance de la réalité prophétique au sein de la religion juive. La foi juive est beaucoup redevable à la tradition prophétique. Elle en a été le moteur. La réponse de Pierre, de son côté, reflète pleinement l’expérience postpascale de l’Eglise primitive. Jésus y est reconnu comme Christ, c’est-à-dire, celui que Dieu a marqué par l’onction (Cf. Ac 1,36). La déclaration de Marc est plus brève et peu élaborée que celle de Matthieu: « Tu es le Christ ». Elle se rapproche beaucoup du kérygme apostolique. Il ne suffisait pas seulement de dire ce que pensaient les hommes. Encore fallait-il qu’eux-mêmes disent leur propre expérience du Christ. L’Eglise doit dire à elle-même et au monde qui est Jésus. C’est une mission qui lui incombe. Elle doit annoncer son expérience de « Celui qui nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière », comme le dit la première Epître de Pierre (1 Pi 2,9). Ceci est important dans un monde où divers sons de cloches se confondent ; où la tendance générale est de tout niveler, de tout « équaliser ». En disant le Christ, elle se dit elle-même. Elle dit ce qu’elle est ou, du moins, ce qu’elle doit être. Cependant, dire qui est Jésus ne suffit pas ; cela peut être l’objet d’une interprétation erronée. Encore faut-il que l’Eglise reçoive du Christ lui-même le vrai sens de ces mots. Il s’agit de tout un travail d’interprétation qui se réalise par cette première annonce de la passion (Mc 8,31-32). Ce que Pierre a dit au nom des disciples est juste. D’ailleurs, Matthieu ajoute à ce propos que Pierre était bienheureux (Mt 16,17). Mais Jésus doit encore dire, comme en réponse à cette profession de foi, ce que cela signifie, comment le comprendre. Jean, présentant dans le prologue le Verbe fait chair, dit que le Fils Unique est « l’exégète » du Père (Jn 1,18) ; il le montre, l’explique en quelque sorte. Dans ce cas, on pourrait dire dans une certaine mesure qu’il est aussi l’exégète des disciples. Il doit donner la vraie signification, la vraie interprétation. Jésus est Christ et Seigneur moyennant la passion et la mort. Dans l’Evangile de Luc, après cette première annonce de la passion, Jésus prend la ferme résolution de monter vers Jérusalem (Lc 9,51). Pas de Christ en dehors de Jérusalem. Paul, de son côté, reprendra tout le parcours de la vie de Jésus pour arriver à l’exaltation par Dieu et la proclamation par toute langue que « Jésus Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père » (Phil 2,11). La passion et la mort s’ajoutent à l’incarnation et font de ce Fils de Dieu un vrai homme comme nous. Un Dieu qui peut souffrir devient un vrai compagnon de l’homme qui souffre, car aucun chemin de l’homme ne lui est étranger, pas même celui de la souffrance ou de la mort. La réaction de Pierre, toute humaine, ne se fait pas attendre. Matthieu en rapporte même les paroles (Mt 16,22). Mais Jésus est aussi prompt à réajuster la barre. On passe d’une réprimande à une autre (Mc 8,30.32.33). Pierre reçoit le qualificatif de Satan, l’Accusateur (Job 2,2-7 ; Ap 12,10) et l’ordre sévère de se remettre à sa place de disciple, derrière le Christ (Cf. Mc 1,17). Pierre, en effet, est l’un des premiers disciples du lac de Galilée à avoir entendu ces paroles : « Allez ! derrière moi ! » (Mc 1,17), et à avoir suivi le maître. Il devra toujours apprendre de lui, parfois au prix de vives réprimandes. « Le disciple n’est pas au dessus de son maître », dira Jean peu avant la passion (Jn 13,16 ; Cf. Lc 6,40). A l’approche de la célébration du deuxième Synode pour l’Afrique, l’Eglise de notre continent est appelée à assumer le courage de sa mission de dire le Christ à elle-même et au monde. Et la théologie dans sa perspective africaine s’attèle à la tâche. Elle a pris une marche irréversible. Elle est aussi vivement interpellée à se mettre résolument à l’écoute du Christ pour apprendre de lui qui il est vraiment. Dans un continent meurtri par des souffrances de tout genre, le Christ s’offre en compagnon de route et en libérateur dans la souffrance. Le Christ a souffert pour que l’homme ne souffre plus, pour que toute souffrance humaine trouve soulagement dans le Christ. Abbé Ildevert Mathurin MOUANGA
|