D’UNE ASSEMBLEE SYNODALE A UNE AUTRE : LE DEUXIEME SYNODE AFRICAIN Pendant que se déroule au Vatican la deuxième Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Evêques, nous voulons proposer à nos lecteurs une réflexion sur ce sujet. Un aspect a retenu particulièrement notre attention, c’est le lien avec l’Assemblée précédente, convoquée et présidée par le Serviteur de Dieu le Pape Jean Paul II. Il ne saurait y avoir une deuxième assemblée synodale sans une première. Toutes les deux entretiennent un rapport qui peut nous aider à comprendre le cheminement de l’Eglise d’Afrique, entre la fin du siècle dernier et l’entrée dans le troisième millénaire de l’ère chrétienne. C’est en fixant les yeux sur le Christ que l’Eglise-Famille de Dieu qui est en Afrique veut lire la situation qu’elle traverse, faite de tant d’angoisses et de peines, mais aussi de joies et d’espoirs. 1. LA DEUXIEME ASSEMBLEE SPECIALE POUR L’AFRIQUE DU SYNODE DES EVEQUES On ne saurait parler de la deuxième Assemblée sans faire ne serait-ce qu’allusion à la première. D’ailleurs, si on parle de deuxième, c’est qu’il y a eu une première. Celle-ci eut lieu du 10 avril au 28 mai 1994, et avait pour thème : « L’Eglise en Afrique et sa mission évangélisatrice vers l’an 2000 : “Vous serez mes témoins” (Ac 1, 8) ». Depuis lors, quinze ans sont passés, et l’Eglise d’Afrique est convoquée à un autre rendez-vous synodal sous le thème : « L’Eglise en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix : “Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde” (Mt 5, 13.14) ». Par l’Exhortation qui suivit le Synode de 1994, intitulée Ecclesia in Africa (L’Eglise en Afrique), Le Serviteur de Dieu le Pape Jean Paul II voulait insuffler un nouveau dynamisme dans l’Eglise de Dieu qui est en Afrique, pour lui permettre de mener à bien sa mission évangélisatrice dans le continent. Le contexte général de l’époque était celui de la chute du mur de Berlin, intervenue en 1990, et qui marqua la fin de la guerre froide entre les deux grands blocs de l’Est et de l’Ouest. L’Afrique, prise encore dans l’engrenage du néo-colonialisme avec tous ses maux, devait donc se définir au cœur de la nouvelle réalité ainsi créée. Au niveau du continent, beaucoup de pays essaient alors de penser une refondation pour sortir des régimes dictatoriaux de l’époque postcoloniale et organiser l’avenir avec des régimes politiques démocratiques. C’est dans ce sens que l’on assiste, surtout dans la zone francophone, au mouvement des conférences nationales. Ces assises suscitèrent beaucoup d’espoir auprès des peuples. Malheureusement, c’est un espoir qui ne durera pas longtemps. Aujourd’hui encore, une décennie après, le tableau que l’on dessine de l’Afrique, en général, est loin de refléter les espoirs des peuples. L’Eglise, de son côté, essaie d’accompagner, par son assistance spirituelle et humaine, le cheminement de l’humanité. Entre temps, la situation du monde a évolué. Les blocs opposés, disparus dans le courant des événements de 1990, le développement des nouvelles technologies de production et de la communication aidant, l’économie mondiale va vers une globalisation. Les structures des nations se mondialisent. L’Afrique risque bien de rester au bord de la route, à cause d’une globalisation parfois sauvage. De nouveaux phénomènes naissent. L’Afrique, de son côté, poursuit son chemin de croix avec des maux dont les causes sont à chercher aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du continent. Les Lineamenta citent indistinctement les « situations de pauvreté, d’injustice, de maladie, d’exploitation, de manque de dialogue, de division, d’intolérance, de violence, de terrorisme, de guerre ». Il fallait donc convoquer une autre Assemblée Spéciale. D’abord pour faire l’évaluation de la situation depuis Ecclesia in Africa jusqu’à nos jours. Ensuite, pour prospecter des pistes pour l’avenir, capables de faire de l’Eglise un véritable sacrement de la réconciliation, de la justice et de paix, et à l’instar du passage de l’Evangile qui accompagne le thème, sel de la terre et lumière du monde. A l’épiscopat congolais en visite ad limina apostolorum à Rome, en octobre 2008, le Pape Benoît XVI recommandait d’ouvrir ce qu’il appelait des chemins de réconciliation. Après une Assemblée synodale qui s’était penchée sur les problèmes de la mission évangélisatrice de l’Eglise d’Afrique, selon l’ordre du Christ, de faire de toutes les nations des disciples (Mt 28,19), la deuxième Assemblée porte son attention sur les problèmes de réconciliation, de justice et de paix, bref sur un volet plus social. L’Eglise, riche de sa doctrine sociale et de sa tradition vivante, veut présenter à l’Afrique son idéal chrétien illuminé par la Parole de Dieu et sa longue expertise en humanité. Il n’est pas anodin de noter que cette Assemblée se tient pratiquement au lendemain de la publication de la Lettre Encyclique du Pape Benoît XVI, Caritas in Veritate (La Charité dans la Vérité). Cette Lettre Encyclique reprend, en l’actualisant, une intuition forte du Pape Paul VI, qui, au lendemain de la clôture du Concile Vatican II, publia une Lettre sur le progrès des peuples (Populorum progressio). Dans cette Lettre, Paul VI posait une base du service que l’Eglise entend offrir à la société dans laquelle elle se trouve et avec laquelle elle entreprend inéluctablement un rapport. Cette base n’est formée par rien d’autre que le noyau du message du Christ : la charité. Celle-ci est éclairée et soutenue à son tour par la vérité sur Dieu, sur l’homme et sur le monde. Le Pape Paul VI présentait sa synthèse sur un développement harmonieux et intégral de l’homme (de chaque homme et de tous les hommes). C’est donc sur cette base que le Pape Benoît XVI offre à l’Eglise sa réflexion d’ordre social. Après deux Lettres Encycliques sur les problèmes doctrinaux, de teneur dogmatique (sur l’Amour de Dieu et sur l’Espérance en laquelle nous avons été sauvés), le Pape a voulu aborder l’enseignement social. De sorte que celui-ci soit toujours soutenu par des principes doctrinaux clairs. D’une part, il livre sa réflexion sur l’être même de Dieu, l’amour avec ses diverses conséquences sur la nature humaine. D’autre part, il examine ce qui anime de l’intérieur la vie humaine déjà sur cette terre et qui débouche sur un avenir de vision béatifique de Dieu, l’espérance. Il aborde, en conclusion, la manière dont tout cela se concrétise dans une vie basée sur le principe d’amour illuminé par la vérité. Un cheminement similaire peut être appliqué à ces deux Assemblées Spéciales pour l’Afrique. Le premier se basait sur un aspect doctrinal, jusqu’au point où on a appliqué à la réalité ecclésiale africaine un concept qui caractérise la société africaine profonde : le concept d’Eglise-famille de Dieu. Le théologien Paulin Poucouta faisait remarquer, lors des Vèmes Journées théologiques et pastorales du Grand Séminaire E. Biayenda, que l’Instrument de Travail pour la deuxième Assemblée Spéciale pour l’Afrique, dans l’orthographe de cette expression, a ajouté un trait d’union qui n’existait pas avant. Ceci sert à montrer comment on veut donner davantage de contenu à ce concept. Il va falloir aussitôt signaler qu’on ne veut pas dire par là que la première Assemblée du Synode ne s’était pas penchée sur les problèmes d’ordre social. Mais, on ne peut pas perdre de vue le fait que l’Assemblée actuelle veut focaliser son attention sur les problèmes de justice, de pauvreté et de paix, qui minent le continent et qui impliquent une nécessité que l’on s’y penche, qu’on les examine à la lumière de l’Evangile. L’Afrique ne saurait rester trop longtemps sur le marchepied du monde actuel. L’image que Jean Paul II prenait, pour parler de l’Afrique dans Ecclesia in Africa, est celle pitoyable de cet homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho, qui tomba entre les mains des brigands, et qu’on laissa à demi-mort sur le bord de la route, après l’avoir roué de coups et l’avoir dépouillé (Lc 10,25-37). Cependant, le message qu’il voulait adresser à l’Afrique, aux prises avec les affres d’une situation plus que précaire, est un message d’espérance, fondé sur la résurrection du Christ, notre vie et notre espoir. 2. LES GRANDS AXES DE REFLEXION DE LA DEUXIEME ASSEMBLEE SPECIALE Le premier rôle d’une assemblée synodale est d’affermir la foi, la charité et l’espérance d’une Eglise, de consolider la communion et de soutenir son service au monde. Le rôle d’affermir la foi, Jésus l’a assigné à Pierre (Lc 22,31) et à ses successeurs, les Papes qui président à la charité dans l’Eglise. Dans cette fonction, l’Eglise observe attentivement la société dans laquelle elle se trouve en vue d’entamer avec elle un dialogue fructueux dont le but final est le bien des personnes, de la société elle-même. Dans sa Constitution pastorale « L’Eglise dans le monde de ce temps » (Gaudium et Spes), le Concile Vatican II annonce qu’ « il n’y a rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans le cœur des fidèles du Christ ». Aucune de ces douleurs citées précédemment n’épargne les fidèles du Christ qui sont en Afrique. Tout en ayant son rôle spécifique au cœur du monde, l’Eglise entre en dialogue avec la société en y apportant sa contribution spécifique selon la nature de son être. L’Instrumentum Laboris du Synode est divisé en quatre chapitres. D’abord, un bref aperçu de la situation de l’Eglise et de la société africaines de la fin du synode de 1994 à ce jour : L’Eglise en Afrique aujourd’hui (chap. 1). Dans ce chapitre, il s’agit donc d’un état des lieux rapide sur la vie de l’Eglise qui est en Afrique en ces quinze ans qui la séparent du premier Synode. Ensuite, on évalue la réception de l’Exhortation post-synodale Ecclesia in Africa au sein de l’Eglise et de la société. Enfin, on examine le contenu théologique du thème de la deuxième Assemblée. Le chapitre 2, de son côté, porte son attention sur les « ouvertures » et sur les « obstacles » du chemin vers la réconciliation, la justice et la paix en Afrique. Les lieux d’attention sur lesquels il faut travailler pour que l’Esprit de Jésus Ressuscité fasse produire de bons fruits, qui se concrétisent en un engagement résolu au service de la réconciliation, de la justice et de la paix. Beaucoup de situations d’oppression se sont améliorées en Afrique. Mais le chemin à parcourir reste encore long, parce que beaucoup de foyers de tension restent allumés et beaucoup de déséquilibres au sein des sociétés montrent de signe de fragilité. C’est à l’égard de tous ces maux que l’Eglise qui est en Afrique veut proposer les richesses de l’Evangile de salut du Christ. Au chapitre 3, on présente quelques éléments caractéristiques de l’action de l’Eglise-Famille de Dieu en Afrique au service de la réconciliation, la justice et la paix. Le Christ est venu réconcilier les hommes avec Dieu leur Père et entre eux. Et l’Eglise, selon la mission reçue du Christ, veut adresser le même appel que Paul aux Corinthiens : « Au nom du Christ, laissez-vous réconciliés avec Dieu » (2 Co 5,20). Jésus est venu apporter la paix à tous les peuples, en abattant le mur de la division et de la haine qui les séparait et en faisant de tous un seul peuple dans son corps (Ep 2,14-16). Enfin, le chapitre 4 pose en quelque sorte les attentes de cette Assemblée synodale, qui sont pareillement des chemins à parcourir pour une véritable réconciliation, justice et paix. Toutes les composantes sont examinées par rapport à l’œuvre de réconciliation, de justice et de paix. Aucune institution, aucun membre n’est laissé, chacun dans sa nature propre en vue de l’avènement en Afrique d’un règne de justice et de paix. Il pose comme une exigence fondamentale pour tous, en tant que bâtisseurs de paix, le témoignage de vie. L’Eglise est présente dans le monde à la manière d’un ferment, enfoui, caché, mais efficace, agissant à tel point qu’elle fait lever toute la pâte (Mt 13,33). 3. LES ATTENTES DE L’EGLISE-FAMILLE ET DES PEUPLES D’AFRIQUE Sur le sillage du théologien Santedi, nous pouvons penser que la deuxième Assemblée Spéciale du Synode des Evêques pour l’Afrique est un kairos et un kainos. Le kairos, c’est le moment favorable, le moment où se manifeste le salut de Dieu sur et pour les hommes ; c’est un temps de grâce. C’est une occasion qui s’offre à l’Afrique pour recevoir le souffle de Dieu capable de redonner vie même à des ossements desséchés (Ez 37,1-14). Le kainos est, quant à lui, un changement qualitatif, une nouveauté décisive. Dieu est en mesure de faire toute chose nouvelle, comme le dit l’Apocalypse (Ap 21,5). A cette œuvre de Dieu, l’homme doit nécessairement collaborer. C’est dans ce sens que l’appel à la conversion de cœur, de mentalité se fait de plus en plus pressant. Ce n’est qu’en se convertissant que l’homme emboite le pas à Dieu qui agit dans l’histoire individuelle et collective de notre humanité. Beaucoup de pays africains se préparent à fêter les cinquante ans de leur indépendance. Cinquante ans sont un âge de maturité. On peut déjà se permettre de faire un bilan de l’indépendance à ce jour. C’est dans un tel contexte que les chrétiens d’Afrique et les hommes de bonne volonté sont invités à être sel de la terre et lumière du monde. Un sel qui ne perd jamais sa saveur et qui préserve de la corruption, une lumière qui ne peut être cachée sous le boisseau, mais que l’on accroche sur le lampadaire pour mieux briller et mieux éclairer (Mt 5,13-16). Actuellement, les yeux de l’Eglise d’Afrique sont tournés vers le Synode et attend une parole qui soutienne sa marche vers la réalisation du Royaume de Dieu en terre africaine. La parole qu’elle attend concerne avant tout ses propres structures, mais aussi les structures socio-économiques et politiques, elles-mêmes secouées par une crise profonde pour laquelle l’Afrique payera un lourd tribut. Cette crise est plus profonde que l’économie. Elle est une crise qui concerne l’être humain lui-même aux prises avec ses valeurs. L’Evangile est toujours actuel, lui qui interdit de servir deux maîtres à la fois. L’aspect économique est à l’origine de beaucoup d’injustices et d’oppressions de toute sorte et du manque de paix. Réconciliation, justice et paix ont leurs racines et leur raisons d’être véritables en Dieu lui-même. Ce que dit le Seigneur Dieu, selon le Psaume, « c’est la paix pour son peuple et ses fidèles, pourvu qu’ils ne reviennent jamais à leur folie » (Ps 85/84,9). A côté d’une analyse profonde doit voir le jour une ferme volonté de progresser sur ce chemin, pour un vrai service de l’humanité, pour une vraie sacramentalité de l’Eglise en Afrique, surtout dans ces domaines de la réconciliation, de la justice et de la paix. Une autre attente de ce Synode, c’est la diffusion de ses résultats dans un vrai esprit ecclésial. La communion et le service que manifeste un synode ne s’achèvent pas au cours des sessions romaines, mais c’est dans les diverses Eglises particulières qu’elles doivent se vivre pleinement. L’Eglise qui sortira de ses assises devra affronter la quotidienneté de la vie dans le continent. C’est là qu’il faut insuffler un nouveau dynamisme. Pour reprendre l’image de la route vers Emmaüs parcourue par les deux disciples, qui s’applique bien à la marche synodale, le retour à Jérusalem, l’annonce aux onze qui n’ont pas pu prendre part à l’événement font eux aussi partie de ce chemin sur lequel on marche ensemble (Lc 24,13-35). Alors l’Eglise qui est en Afrique pourra jouer pleinement son rôle selon l’identité que lui attribue le concile Vatican II, signe visible et instrument de l’union avec Dieu et des hommes entre eux. Pour conclure cette réflexion, l’Eglise en Afrique poursuit sa marche au seuil de ce troisième millénaire. Elle veut servir de levain dans la pâte (Mt 13, 33) de ce continent trahi par les siens. Elle veut être, pour reprendre l’image du Pape Benoît XVI, « sel de la terre » et « lumière du monde » (Mt 5, 13.14). Il est urgent que l’Afrique saisisse l’occasion du rendez-vous qui lui est fixé. Par ailleurs, l’Eglise universelle continue à montrer sa sollicitude envers la terre d’Afrique, de ses peuples, de son Eglise. Celle-ci saura-t-elle reconnaître le moment où le Seigneur l’aura visitée (Lc 19,41-44) ? Abbé Ildevert Mathurin MOUANGA Professeur de Bible au Grand Séminaire Emile Biayenda de Brazzaville
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