Celui-ci est le roi des Juifs (Solennité du Christ Roi de l’univers-Année C) Textes: 2S 5, 1-3; Ps 122; Col 1, 12-20; Lc 23, 35-43 Dans le Nouveau Testament, le Christ a reçu tous les titres possibles. Mais, aujourd’hui, il est afflublé d’un titre où l’ironie se mêle au ridicule : celui-ci est le roi des Juifs. Lorsque nous célèbrons la solennité du Christ-Roi de l’univers, nous nous trouvons devant un dilemme. D’une part, Jésus lui-même ne s’est pas donné ce titre. D’autre part, les disciples sont quelque peu réservés pour son emploi. La réalité historique autour de ce titre est la suivante : le Christ est un roi méprisé, flagellé, puis crucifié sur le bois de la honte; son royaume n’est pas de ce monde. Comment une telle figure de la messianité du Christ donne de mieux comprendre l’identité du chrétien face à la contradiction et l’indifférence? Ce roi que l’on appelle Christ Jésus est appelé, par ses disciples, «Christ», c’est-à-dire l’«Oint » de Dieu. Il s’agit dès le début d’un nom personnel (Mt1, 16; 16,16; 27, 17.22, Mac1, 1, etc.). Paul n’hésite pas à l’attribuer à Jésus comme son second nom propre (Rm 6,4.8s ; 8,17 ;9, 1 ; 1Cor 1,12s; 17, 23; 1P1, 11). Par mépris, les Juifs préfèrent celui de «Nazaréen». Ils voient dans l’usage du nom «Christ» un affront ( Mt2, 23; Lc18, 5.7; 19,19, etc.). Pour eux, le «Nazaréen» désigne juste l’homme Jésus qui a été pendu sur le bois de la croix (Mt 27, 23; Mc 15, 22; Jn 19, 17). L’Évangile de Lc 23, 35-43 confirme ce contexte polémique juif. Jésus est tourné en dérision par les chefs juifs: «qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ de Dieu, l’Élu » (Lc 23, 35). La parodie des soldats romains, qui s’y ajoute, illustre le contexte général d’indifférence de l’administration romaine et des hommes lettrés. Pour l’historien avisé, l’instruction de l’affaire «Christus» par Ponce Pilate a été bâclée. En effet, ce dernier ne trouve en lui aucun motif de condamnation (Lc 23, 13). La condamnation est retenue par le pouvoir romain dans une situation inconfortable et inextricable. Inconfortable : elle révèle l’opportunisme politique et l’impopularité de Ponce Pilate ; celui-ci finit par livrer Jésus au traitement burlesque. Inextricable : «l’affaire» Jésus enjoint de sacrifier le leader pour dissuader les adeptes. Telle semble être la stratégie machiavélique qui rapproche Pilate et Hérode. Lc 23, 12 nous renseigne avec parcimonie sur les dessous politico-religieux de la condamnation de Jésus. Le fait devient plus explicite et plus général en Ac4, 27 : «Oui, vraiment, ils se sont rassemblés dans cette ville contre ton saint serviteur Jésus, que tu as oint, Hérode et Ponce-Pilate avec les nations païennes et les peuples d’Israël ». Tout ceci confirme l’idée que la célébration de la royauté du Christ est à regarder dans le contexte saugrenu d’ignominie de la croix. Le Christ est donc un roi crucifié. Ce contenu risible et trivial de la croix est retenu padoxalement par les historiens romains. Tacite (v.55 ap.J.C.-v.120), vers 115/116, évoque le nom des «chrétiens», dans ses Annales, 15, 44, relatives à l’incendie de Rome, survenue en 65; il mentionne la cruxifiction de Christus qui, sous le règne de Tibère, fut condamné au supplice par le procurateur Ponce Pilate [...]». Ce roi pour le monde selon le coeur de Dieu Il y a dans l’appelation du Christ comme l’«Oint» de Dieu une dimension royale tacite. Si la chrétienté a pu tolérer la titulature de «roi des Juifs» (Mt2, 2), c’est sans nul doute dans le contexte plus large de la royauté davidique. La tradition royale de l’onction y prend racines. La lecture de 2 S 5, 1-3 donne l’exemple du roi David comme celui qui a plu à Dieu. La réorientation chrétienne tend à dépasser le particularisme de la royauté davidique. Elle tient à l’égale distance la singularité du Christ comme Messie promis à Israël (Ac26, 23) et son universalité comme sauveur du monde, l’Emmanuel (Mt1, 23). Paul exprimera très adroitement cette ouverture messianique en posanrt le Christ comme premier-né de toute créature et Tête du Corps, c’est-à-dire de l’Église (Col1, 15.18). Le Christ est Roi pour un nouveau peuple de Dieu : peuple de toutes langues, races et nations. Quel est le message qui se dégage de ces lectures ? Trois visions des choses attirent notre attention : 1- La solennité du Christ-Roi est une confession audacieuse de la forme de liberté dont jouit le chrétien en face des pouvoirs hégémoniques. Si Jésus est Christ et Roi, le chrétien est celui qui en mesure les fruits en restant ferme dans la foi qui libère de toute servitude. Beaucoup de chrétiens d’Afrique sont de plus en plus engagés dans la vie politique. C’est ici une invite à considérer leur engagement comme un témoignage au Christ crucifié. Le chrétien fait la différence lorsqu’il passe d’un pouvoir qui écrase à un pouvoir qui sert, un pouvoir du droit et de la justice. 2- La solennité du Christ-Roi est une affirmation claire du type de relations fraternelles qui doivent régir le peuple de croyants. L’acceptation du règne du Christ dans nos coeurs nous fait prendre conscience de notre mission royale à considérer tous les humains comme frères et soeurs, au-delà de tout clivage ethnique, linguistique, racial, etc. Le chrétien sent ici le devoir d’être réellement un témoin de la tolérance. 3- La solennité du Christ-Roi est une invite à la prière constante au Dieu-Père de régner sur les nations, les sociétés, nos familles, nos milieux de vie, nos espaces d’activité, pour y apporter l’amour, la paix, la joie et le pardon. Ceci nous intime de dire toujours avec ferveur la prière du Notre Père comme une prière qui transforme. Père, que ton règne vienne.... Amen ! Abbé Luc Augustin SAMBA
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