Paul de Tarse : source de la pédagogie catéchétique La présente réflexion s’inscrit dans la suite de l’Année de Saint Paul (2008-2009), qui fut décrétée par le Pape Benoît XVI. La consécration d'une année liturgique à Saint Paul était en effet une occasion pour le monde chrétien de revisiter la vie et la mission de « l’Apôtre des nations ». Aussi revisiter les préocédés d'annonce de l'Evangile mobilisés par ce grand catéchiste, que fut Paul, afin de pouvoir nous en imprégner pour notre propre catéchèse d’aujourd’hui, s’avère-t-il utile. C’est ainsi que nous voudrions simplement évoquer ici ce que nous appelons, dans notre jargon, la pédagogie de Dieu, du Christ et de l’Eglise, pour mieux comprendre la manière de communiquer chez Paul, ainsi que sa pédagogie catéchétique. Car annoncer Jésus-Christ aux hommes nécessite une bonne pédagogie. Et la pédagogie de Paul de Tarse est encore utile pour notre temps. I – La pédagogie de Dieu, du Christ et de l’Eglise La pédagogie est la science de l’éducation et de l’art de l’enseigner, en tenant compte du milieu. La pédagogie de la foi, c’est évangéliser en éduquant et éduquer en évangélisant. - La pédagogie de Dieu (Cf. Directoire général de la catéchèse, n°139) La pédagogie de Dieu est l’action de l’Esprit Saint en chaque chrétien. En effet, c’est en fils que Dieu traite les hommes (Cf. Tte 12, 7). Dieu est présenté dans l’Ecriture comme un Père Miséricordieux. C’est aussi un Maître, un Sage qui prend la personne dans la condition où elle se trouve. Dieu, en éducateur génial et clairvoyant, transforme les vicissitudes de la vie de son peuple en leçon de sagesse. Faire vraiment rencontrer Dieu à une personne, c’est la tâche de la catéchèse et de tout catéchiste. C’est faire de sa relation avec Dieu une relation centrale et personnelle, pour se laisser guider par la foi. Comment Dieu conduit-il son peuple ? La relation entre Dieu et son peuple est comparée, dans la Bible, à celle du berger et son troupeau (Cf. Gn 48,15 ; Is 40, 11 ; Ps 23, 80 ; 95,7 ; Ez 34). Concrètement nous pouvons noter chez le berger deux manières de cheminer avec son troupeau : soit il se met devant lui, soit il se met derrière lui. L’examen, dans le Bible, de la manière de faire de Dieu nous donne à dire que la méthode de Dieu est bien celle du berger qui marche devant son troupeau. Appelons celui-ci « berger-guide », et celui qui marche derrière, « berger-surveillant ». Le guide montre le chemin à suivre en l’empruntant le premier, tandis que le surveillant observe de derrière si la marche se déroule correctement. Le premier prend le devant en donnant l’exemple, le second, de derrière, indique ce qu’il faut faire et en surveille l’exécution. A notre avis, l’image biblique qui semble la meilleure est celle du « berger-guide », et non pas du « berger-surveillant » (Ex 14, 19 ; 23, 20-23 ; Nb 10,33 ; 14, 14). - La pédagogie du Christ (Cf. Directoire général pour la catéchèse, n°137-138) « Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya à l’humanité son fils Jésus Christ », dit l’Ecriture. Les disciples ont en effet fait l’expérience directe à travers ses signes, ses paroles, ses œuvres, de ce que sont les traits fondamentaux de la pédagogie de Jésus. En invitant ses disciples à le suivre totalement, le Christ leur remet sa pédagogie de la foi en signe de partage total de son identité et de son destin. Nous approuvons alors le Directoire général pour la catéchèse en son n°137, quand il dit que Jésus a soigné la formation de ses disciples avant de les envoyer en mission. Il a exercé un véritable enseignement à travers toute sa vie. En les stimulant par des questions appropriées, il leur a expliqué de manière approfondie ce qu’il annonçait. Il les a initiés à la prière et envoyé l’Esprit Saint pour qu’il les introduise dans la vérité toute entière. A l’école de Jésus, tout catéchiste unit son action à celle mystérieuse de la grâce de Dieu. La catéchèse est un exercice d’une pédagogie originale de la foi. Jésus formait aussi ses disciples par l’exemple qu’il leur donnait. Ainsi leur a-t-il communiqué le goût de la prière, en priant lui-même (cf. Lc 11, 1-13). Et l’exemple le plus éloquent, c’est le lavement des pieds (cf. Jn 13, 4-17). Jésus a donc lui aussi adopté la méthode du berger-guide, la formation par l’exemple. - La pédagogie de l’Eglise (Cf. DGC n°14) Depuis ses origines, « l’Eglise qui est dans le Christ comme un sacrement » vit sa mission comme la continuité visible et actuelle de la pédagogie du Père et du Fils. Etant notre mère, elle est aussi l’éducatrice de notre foi. C’est pour ces raisons que la communauté chrétienne est elle-même une catéchèse vivante. Ainsi, en vertu de ce qu’elle est, elle annonce, célèbre et demeure toujours le bien vital, indispensable et premier de la catéchèse. L’Eglise a produit tout au long des siècles un trésor incomparable de pédagogie de la foi : tout d’abord, dans le témoignage des saints et saintes - qu’ils soient catéchistes ou non -, mais aussi dans la mise en œuvre de toute une variété de moyens et de formes originales de communication religieuse, comme le catéchuménat, les catéchismes, les itinéraires de vie chrétienne, constituant un précieux patrimoine d’enseignements catéchétiques, d’instruction et de services de la catéchèse. Autant d’aspects qui nous disent comment l’Eglise s’est très tôt attelée à se construire une bonne méthode de transmission de la foi. II – La communication du message chez Paul Comme nous le savons, pour en avoir hérité dans la Bible, il a fallu à Paul pas moins de 13 lettres pour organiser ses communautés et leur transmettre ainsi le message qu’il avait lui-même reçu (1 Tm 1, 11). Mais quel est ce message de Paul ? C’est l’Evangile du Christ, dont la proclamation lui est confiée, comme il le dit lui-même à plusieurs reprises. En Rm 1, 1 - et aussi pratiquement au début de chacune de ses Epîtres -, il dit être mis à part pour annoncer l’Evangile de Dieu ou de son Fils (Rm 1, 9). Et tout son désir se réduit à l’annonce de cet Evangile dont il n’a pas honte (Rm 1, 15-16). Ainsi, depuis Jérusalem, en rayonnant jusqu’au bout du monde d’alors, il a pleinement assuré l’annonce de l’Evangile du Christ (Rm 15, 19). En effet, estime-t-il, le Christ ne l’a pas envoyé baptiser, mais annoncer l’Evangile (cf. 1 Co 1, 17). Il considère d’ailleurs ce ministère comme une nécessité qui s’impose à lui : « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile » (1 Co 9, 16). Au total, dans ses 13 lettres, Paul mentionne 70 fois l’Evangile qu’il est chargé d’annoncer, pour souligner l’importance de ce thème dans son œuvre. C’est à se demander si son œuvre ne se réduit pas à l’annonce de l’Evangile ! Un texte de Saint Paul (2 Co 11, 23-30) nous dit, par exemple, ce que lui a coûté l’annonce de l’Evangile. Et toutes les épreuves que Paul a endurées pour cet Evangile tiennent de l’amour qu’il avait pour le Christ, dont il assurait effectivement l’annonce du message. Saint Jean Chrysostome loue ainsi Paul : Ce que Paul tenait pour supérieur à tout, c’est l’amour du Christ ; avec cela, il estimait qu’il était le plus heureux des hommes. En dehors de cela, il souhaitait d’être ni parmi les souverains, ni parmi les chefs, ni parmi les autorités ; mais il préférait être parmi les derniers et même au nombre des condamnés avec cet amour, plutôt qu’en dehors de lui parmi les hommes placés et couverts d’honneurs. Il n’y avait pour lui qu’un supplice : perdre cet amour. En revanche, jouir de cet amour, c’était pour lui posséder la vie, le monde, le présent et l’avenir, la royauté, la promesse, le bonheur infini : tout ce qui peut nous arriver ici-bas, en dehors de cela, il ne le jugeait ni pénible, ni agréable. Les tyrans et les peuples pleins de fureur, lui semblaient des moucherons ; la mort, les châtiments, tous les supplices : des jeux d’enfants, du moment qu’il avait à souffrir pour le Christ. L’essentiel de l’œuvre de Paul, c’est la fondation de nouvelles communautés chrétiennes, l’instruction ou l’enseignement catéchétique et tout ce qui est relatif à l’entretien de la foi des fidèles. Pour cela, il organise les jeunes Eglises en plaçant à la tête de chacune, une structure capable de la gérer (Cf. Tite, Timothée, Episcopes, Presbytres …). Ne disait-il pas à Tite : « Si je te laisse en Crète, c’est pour que tu achèves l’organisation et que tu établisses dans chaque ville des anciens suivant mes instructions » ? En Saint Paul, nous avons donc un pionnier dans la pastorale des communautés ecclésiales de base et dans la réalité de l’inculturation dans son aspect le plus pratique. Nous reconnaissons à Paul, le sens de la collaboration tout au long de sa mission d’Apôtre. III – Pédagogie et méthode paulinienne Les titres que Paul se donne lui-même en 1 Tm 2, 7 et 2 Tm 1, 11 nous disent trois aspects en quoi consistait sa diakonie, c’est-à-dire son service. Il dit avoir été établi héraut, apôtre et docteur des nations, dans la foi et la vérité. Et en Tt 1, 1-3, il est question du ministère apostolique de Paul, dont nous pouvons dégager principalement deux orientations qui correspondent à deux des trois titres qu’il s’est donné dans les deux épîtres à Timothée. - amener les élus de Dieu à la foi - et à la connaissance de la vérité conforme à la piété. Ainsi, le titre d’apôtre institue l’appartenance de Paul à Jésus et son mandat pour la mission. Comme héraut, Paul suscite « la foi des élus de Dieu ». Et, comme docteur, il approfondit la connaissance de la vérité par l’enseignement catéchétique. D’où, nous semble-t-il, le but de toute catéchèse qui consiste à « mettre quelqu’un non seulement en contact, mais en communion, en intimité avec Jésus Christ ». Dans le cas particulier de Paul, nous pouvons affirmer que : • le premier volet de la mission apostolique de Paul, il le réalise comme héraut qui proclame l’Evangile chez les païens, pour les amener à adhérer au Christ dans la foi. C’est la phase de la proclamation kérygmatique, qui nécessite une autre étape de suivi ; • après avoir reçu l’annonce du Kérygme et adhéré au Christ dans la foi, les élus de Dieu devaient passer à l’étape d’approfondissement. L’Apôtre passe alors de héraut à docteur, parce que, ceux qu’il a amenés à la foi par la proclamation du Kérygme, il doit les conduire maintenant à la connaissance parfaite de la vérité par son enseignement catéchétique. De nos jours, on parlerait du néophytat où, après le baptême, les néophytes, avec la communauté, progressent dans une perception plus profonde du mystère pascal ; ils acquièrent une compréhension plus approfondie et une intelligence plus intime des mystères, grâce à la nouveauté de l’enseignement et surtout à l’expérience des sacrements reçus, ainsi que l’exercice de la charité. L’exercice de la mission apostolique de Paul suit donc une évolution en deux étapes ; nous le retrouvons en 1 Co 3, 2 ; • pour susciter la foi, Paul proclame le message sous forme de kérygme ; d’où son titre de « kêrux » (héraut) ; • et pour approfondir la connaissance de la vérité chez les croyants, l’Apôtre donne un enseignement qui va au-delà de l’annonce kérygmatique ; c’est la phase didactique, qui explique le titre de « didaskalos ». Mais un didaskalos envoyé aux nations, conformément à ce que dit Ga 2 ; 7 ; 9, qui fait de Paul l’Apôtre des nations : «Voyant que l’évangélisation des incirconcis m’était confié, comme à Pierre celle des circoncis - car celui qui avait agi à Pierre pour faire de lui l’Apôtre des circoncis, avait pareillement agi en moi en faveur des païens - et reconnaissant la grâce qui m’avait été départie, Jacques, Cephas et Jean, ces notables colonnes nous tendirent la main, à moi et à Barnabé, en signe de communion : nous irions aux païens, eux à la circoncision ». A l’école de Paul, la « périautologie » paulinienne, c'est-à-dire les éloges qu’il se fait lui-même, semble passer pour une méthode d’enseignement qui lui est propre. Par exemple, après avoir raconté aux Galates comment il s’est comporté lui-même dans le passé, il leur demande de l’imiter : «Devenez semblable à moi, puisque je me suis fait semblable à vous » (Ga 4, 12). Paul se sent un exemple à imiter (Cf. 1 Co 4, 16 ; 1 Th 1, 6 ; 2 Th 3, 6-9). Il se permet de se donner en exemple parce que lui-même prend le Christ comme exemple (Cf. 1 Co 11, 1). La pédagogie de Paul est donc l’enseignement par l’exemple ; elle s’appuie sur la pédagogie biblique du berger-guide. IV – Quels enseignements tirés de la pédagogie catéchétique paulinienne ? Paul, catéchiste par excellence en son temps, nous inspire nécessairement des voies utiles à notre action catéchétique aujourd’hui : • « Soyez mes imitateurs » : au-delà de l’exemplarité dans la vie du catéchiste, ce dernier ne doit pas se limiter à l’enseignement verbal mais aussi au témoignage de vie. Ainsi, comme Paul, le catéchiste devra d’abord vivre lui-même ce qu’il enseigne, avant de le proposer aux autres ; • « Lorsque Céphas vint à Antioche, je me suis opposé à lui ouvertement, car il s’était mis dans son tort.» : le catéchiste devra faire sien le souci de la vérité qui animait Paul dans son enseignement ; ne devra pas édulcorer le message à transmettre, ni à cause de sa situation personnelle ni à cause de celle des catéchisés. Le catéchiste n’est que le serviteur de la Parole, et il devra s’efforcer de lui rester fidèle. Il ne devra pas non plus avoir peur de prêcher l’Evangile : « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile » ; • « C’est du lait que je vous ai fait boire, non de la nourriture solide : vous ne l’aurez pas supportées » (1 Co 3, 2) : Paul ne nous invite-t-il pas ici, dans l’enseignement de la catéchèse, à partir du plus simple pour cheminer progressivement vers le plus complexe ? Ceci devra se traduire dans nos parcours catéchétiques et dans la formation destinée à nos catéchistes ; • « Voilà le but de nos prières : votre affermissement » (2 Co 13, 9b) : ce souci de Paul, par rapport à ceux à qui il avait transmis la foi, devra être celui de nos catéchistes quant à l’approfondissement de la foi de nos catéchisés. Voilà qui nous pose le problème du suivi des néophytes et des autres catéchisés qui « pensent avoir fini» ; • « Je me suis fait tout à tous » (1 Co 9, 22) : dans son comportement ainsi exprimé, Paul nous enseigne qu’aujourd’hui encore, dans la catéchèse, nous devons connaître nos catéchisés, être proche d’eux et veiller à ne point cultiver des différences pour des raisons d’ordre ethnique, socioculturelle ou encore économique ; • de nos jours, le catéchiste, appelé à être modèle et témoin, est invité à s’inspirer de la méthode du berger-guide que Paul lui-même n’avait pas manqué d’assumer, pour plus d’efficacité dans sa mission en catéchèse. Le catéchiste vivrait mieux sa mission comme éclaireur de la route qui assure le chemin et écarte les dangers ; il devra être prompt à former à la liberté et à la responsabilité personnelle. Mais il devra aussi veiller à éviter de favoriser un certain « suivisme » et même d’étouffer l’initiative personnelle ; • Paul est aussi, pour notre catéchèse des temps modernes, le modèle de celui qui cherche à « inculturer » son message. En effet, notre mission consiste dans l’inculturation de l’Evangile de Jésus Christ dans chaque milieu. Saint Paul avait vite senti la nécessité d’« inculturer » son message. L’épisode de son intervention devant l’aréopage d’Athènes est le plus marquant de cette préoccupation (Cf. Ac 17, 22-34). Même si cette tentative de Paul est souvent considérée comme un fiasco, il faut noter qu’elle lui avait valu des convertis, dont un philosophe de renom, Denys l’Aréopagiste. Comme Paul, nos catéchistes devront essayer d’établir une certaine cohérence entre le message qu’ils portent et les traditions religieuses et culturelles de leur milieu d’annonce.
Conclusion Que retenir de la pédagogie catéchétique de Paul ? Qu’elle reste tributaire de son identité à lui : de sa brillante formation reçue auprès de grands maîtres Juifs de l’époque, mais aussi de la pédagogie divine déjà à l’œuvre dans l’Ancien Testament et l’enseignement de Jésus lui-même. Paul a surtout enseigné par la Parole transmise, mais il a aussi prêché par l’exemple qu’il a toujours laissé à ses communautés. Il a ainsi incarné l’image du berger-guide qui est tant appréciée dans la Bible. Nous pouvons admirer en Paul sa conviction à toujours imiter Jésus seul et son évangile, et admirer également sa fidélité au Christ et son attachement à la Parole transmise. Saint Paul Apôtre nous apparaît donc comme le paradigme du disciple de Jésus missionnaire et trace, à la suite du Christ – son unique maître -, la voie à suivre dans la manière de dire encore Dieu aux hommes de notre temps. C’est autant dire que nous avons à mettre en œuvre des méthodes qui assument notre milieu de vie et ses réalités. Ne sommes-nous pas appelés aujourd’hui à mieux vivre nous-mêmes, en tant que missionnaires et catéchistes, le message que nous annonçons aux hommes et femmes de notre temps ? Notre monde d’aujourd’hui n’a-t-il pas autant besoin de maîtres que de témoins ? Notre catéchèse gagnerait plus en pédagogie et en crédibilité, en faisant des messagers de la Bonne Nouvelle du Christ, des « catéchistes-accompagnateurs ». Claude-Mendel DIAKABANA sj Paroisse Saint Pierre Claver, Tambacounda (Sénégal)
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