Quand la lectio divina inspire les laïcs, la maison et la rue ne meurent pas L’année pastorale 2010-2011 a été décrétée par la Conférence épiscopale du Congo, Année du laïcat, c’est-à-dire dédiée à tous les fidèles enracinés dans la foi au Christ et engagés dans la gestion de la cité terrestre. Cette année, dense de signification, nous introduit avant tout dans une anamnèse d’un cheminement marqué de bout en bout par la présence incontestable de Dieu, au-delà des consolations et désolations. Qu’au-delà des heurs et terreurs des années marxistes-léninistes, l’enthousiasme pour la Parole de Dieu et le zèle pour la diaconie de la charité aient attiré tant de monde dans les Mabundu, cela doit nous faire croire et confesser que le Seigneur a toujours été un Dieu caché, et toujours à l’œuvre. Point n’est besoin de le redire, le laïcat congolais est parmi les plus dynamiques de l’Eglise qui est en Afrique. Il est debout, solide et en marche, de manière résolue, vers la cité céleste. Sur toutes les paroisses et dans tous les diocèses, les membres des différents Mabundu, confréries et archiconfréries sont « assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Actes 2, 42.). Mais le dynamisme ne doit pas s’arrêter là. Le souffle de la prière et de la réflexion doit accompagner les laïcs, pour que l’Évangile entre dans les différents milieux de la vie quotidienne : au travail, à l’école, en famille et dans l’éducation ; c’est cela la Bible à la maison et dans la rue. Dans la construction du Règne de Dieu sur cette terre des hommes, les laïcs considéreront la Parole de Dieu comme une « arme » indispensable au combat spirituel : quand elle est écoutée et quand on lui obéit, elle agit efficacement et porte du fruit. Le Catéchisme de l’Église Catholique explique : « Obéir (ob-audire) dans la foi, c'est se soumettre librement à la parole écoutée, parce que sa vérité est garantie par Dieu, la Vérité même » (n°144). Salomon, comme Abraham, est un modèle de cette écoute obéissante ; il est simplement ce chercheur passionné de la sagesse contenue dans la parole. Quand Dieu lui propose : « Demande-moi ce que tu veux, et je te le donnerai », Salomon répond : « Donne à ton serviteur un cœur attentif » (1 R 3, 5.9). Le secret, pour avoir « un cœur attentif » aux besoins des autres, c’est de se former un cœur qui sache écouter. On y parvient en méditant sans cesse la Parole de Dieu et en y demeurant enraciné, en prenant l’engagement de la connaître toujours mieux. Un des moyens assurés pour approfondir et goûter la Parole de Dieu, c’est la Lectio Divina. La Lectio Divina La Lectio Divina est une lecture de la Bible ou des auteurs spirituels, lue, méditée longuement et priée, en cherchant à ne pas en déformer le sens et en éclairant la Parole par la Parole (lecture enrichie du contexte immédiat ou de textes parallèles ou en rapport). Pour la règle bénédictine, méditer, c’est lire et relire, mâcher et murmurer, ruminer et réciter, fixer dans l’intelligence et conserver dans le cœur la Parole, pour parvenir non à une discussion (scolastique), ni aux sensations agréables (dévotion moderne) mais à la prière (oraison), à la contemplation, et donc à l’action dans un débordement de l’être. C’est « goûtez et voyez comme est bon le Seigneur », avec le cœur spirituel. Cette lecture aide le laïc à approfondir la parole que Dieu nous adresse, et à entrer en communion avec Lui à travers l’Ecriture. Elle est un chemin pour avancer dans « la connaissance intime du Seigneur », pour reprendre l’expression ignatienne. Dieu s’adresse à moi personnellement, il fait alliance avec moi, aujourd’hui. La Lectio Divina constitue un véritable itinéraire spirituel par étapes. « Elle s’ouvre par la lecture (Lectio) du texte, qui provoque une question portant sur la connaissance authentique de son contenu : que dit en soi le texte biblique ? Sans cette étape, le texte risquerait de devenir seulement un prétexte pour ne jamais sortir de nos pensées ». De la Lectio, qui consiste à lire et à relire un passage de l'Écriture Sainte, en en recueillant les principaux éléments, on passe à la meditatio, qui est comme un temps d'arrêt intérieur, où l'âme se tourne vers Dieu en cherchant à comprendre ce que sa parole dit aujourd'hui pour la vie concrète. Cette étape pose « la question suivante : que nous dit le texte biblique ? Ici, chacun personnellement, mais aussi en tant que réalité communautaire, doit se laisser toucher et remettre en question, car il ne s’agit pas de considérer des paroles prononcées dans le passé mais dans le présent ». Vient ensuite l'oratio, qui nous permet de nous entretenir avec Dieu, dans un dialogue direct « qui suppose cette autre question : que disons-nous au Seigneur en réponse à sa Parole ? La prière comme requête, intercession, action de grâce et louange, est la première manière par laquelle la Parole nous transforme ». Cet entretien nous conduit enfin à la contemplatio, « au cours de laquelle nous adoptons, comme don de Dieu, le même regard que Lui pour juger la réalité, et nous nous demandons : quelle conversion de l’esprit, du cœur et de la vie le Seigneur nous demande-t-il ? Saint Paul, dans la Lettre aux Romains affirme : "Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait" (12, 2). La contemplation, en effet, tend à créer en nous une vision sapientielle de la réalité, conforme à Dieu, et à former en nous "la pensée du Christ" (1 Co 2, 16). La Parole de Dieu se présente ici comme un critère de discernement : "elle est vivante, (…) énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle pénètre au plus profond de l’âme, jusqu’aux jointures et jusqu’aux moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur" (He 4, 12) ». La lecture, l'étude et la méditation de la Parole doivent ensuite déboucher « dans l’action (actio), qui porte l’existence croyante à se faire don pour les autres dans la charité ». Il y a une relation dialectique entre la pratique (action informée par la réflexion) et la Parole, le Logos éternel. Si la Lectio Divina est école de prière, elle est tout autant école de vie et d’évangélisation. En elle, Dieu nous appelle, nous parle, il suscite en nous la réponse docile pour nous envoyer et faire de nous des « missionnaires » dans le monde. La Lectio Divina, selon saint Ambroise, nous conduit à la pratique des bonnes actions. En effet, de même que la méditation des paroles a pour fin leur mémorisation, de sorte que nous nous rappelions les paroles méditées, ainsi la méditation de la loi, de la Parole de Dieu, nous fait tendre vers l’action, elle nous pousse à agir. La Parole de Dieu et le témoignage des laïcs dans la famille : la maison est en paix Saint Jacques nous avertit : « Mettez la Parole en application, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion. Car écouter la parole de Dieu sans la mettre en application, c’est ressembler à un homme qui se regarde dans une glace, et qui, aussitôt après, s’en va en oubliant de quoi il avait l’air. Au contraire, l’homme qui se penche sur la Loi parfaite, celle de la liberté, et s'y tient, celui qui ne l’écoute pas pour l’oublier, mais l’applique dans ses actes, heureux sera-t-il d’agir ainsi » (Jc 1, 22-25). Celui qui écoute la Parole de Dieu et y fait constamment référence, fonde son existence sur des bases solides. « Tout homme qui écoute ce que je vous dis là et le met en pratique - dit Jésus - est comparable à un homme prévoyant qui a bâti sa maison sur le roc » (Mt 7, 24) : il ne cédera pas aux intempéries. La famille qui place la Parole de Dieu au centre, bâtit sur le roc, acquière une nouvelle capacité de se regarder en face, pour communiquer, vivre la communion, se pardonner mutuellement, repartir avec un pacte d'amour renouvelé par l'Esprit de Dieu. Si nos Mbongi ne tiennent plus debout, cela peut s’expliquer du fait qu'il devient toujours plus difficile de communiquer. Les parents et les enfants ne parviennent plus à rester ensemble, et les rares moments passés en commun sont absorbés par les images de la télévision, les messages téléphoniques. Lire la Parole de Dieu en famille signifie introduire dans la vie quotidienne un autre type de message, celui du Divin Maitre, Parole éternelle du Père. C’est aussi dans la Parole de Dieu qu’on trouvera le chemin de croissance des enfants. Les messages les plus divers et les expériences les plus imprévisibles envahissent la vie des enfants et des adolescents. Et, pour les parents, il devient parfois angoissant de faire face aux risques qu'ils courent. Les parents sont souvent déçus en constatant la séduction qu’exercent sur leurs enfants la drogue, l’hédonisme effréné, la violence, les expressions les plus variées du « non-sens » et du désespoir. La Parole de Dieu, placée au cœur de la famille, devient une semence portant en elle la vie. Elle germe dans l’histoire de la famille comme dans la vie personnelle de tout membre ; elle remplit d’une nouvelle présence toute réalité, elle sanctifie ceux qu’elle alimente et ceux qui la reçoivent, elle illumine, car elle dévoile le secret des choses, leur donnant une sagesse, un sens et les conduisant à leur ultime achèvement. Les laïcs doivent développer la prière en famille, l’écoute de la Parole et la connaissance de la Bible. Il est bon « que chaque foyer ait sa Bible et la conserve dignement, afin de pouvoir la lire et l’utiliser dans la prière », et « que les époux se rappellent, en outre, que la Parole de Dieu est aussi un précieux soutien dans les difficultés de la vie conjugale et familiale ». La Parole de Dieu et l’engagement des laïcs dans la société : la rue est en paix Tous les baptisés sont responsables de l’annonce de la Parole, parce que tout le Peuple de Dieu est un peuple « envoyé ». C’est une conséquence de notre baptême. Selon Benoit XVI, « Aucun croyant dans le Christ ne peut se sentir étranger à cette responsabilité qui provient de l’appartenance sacramentelle au Corps du Christ ». Cette conscience, poursuit le Saint-Père, doit être réveillée dans chaque famille comme dans chaque paroisse, communauté, ou association et mouvement ecclésial : « L’Église ne peut ni ne doit prendre en main la bataille politique pour édifier une société la plus juste possible. Elle ne peut ni ne doit se mettre à la place de l’État. Mais elle ne peut ni ne doit non plus rester à l’écart dans la lutte pour la justice ». Jésus indique que « le champ c’est le monde ; le bon grain, ce sont les fils du Royaume ». Les fidèles laïcs, formés à l’école de l’Évangile, ont la tâche d’intervenir dans l’action sociale et politique. Le malheur d’un peuple, c’est de croire que tout est fini, qu’il n’y a plus rien à faire, que les jeux ont été ainsi faits que certains doivent nécessairement gouverner et d’autres, nécessairement assister à leurs efforts de se partager le bien social. La misère d’un peuple commence quand il décide de laisser ceux qui croient savoir et comprendre toute la politique s’occuper de la gestion de la chose publique. Décidant de demeurer dans l’indolence, se familiarisant avec l’inutile et le divertissement, celui qui décide de laisser d’autres s’occuper de son destin s’en fait l’esclave et le complice à la fois, pourvu qu’on ne lui arrache pas sa quête d’une jouissance facile à tout prix et à n’importe quel prix. A en croire Benoit XVI, « La Parole de Dieu pousse l’homme à des relations animées par la droiture et par la justice ; elle atteste la valeur précieuse, face à Dieu, de tous les efforts de l’homme pour rendre le monde plus juste et plus habitable ». Le laïc est un simple instrument, car « C’est la Parole de Dieu elle-même qui dénonce sans ambiguïté les injustices et qui promeut la solidarité et l’égalité ». Le laïc n’a d’autre arme que l’Evangile, comme le disait le Pape Paul VI. Il s’agit « d’atteindre et comme de bouleverser par la force de l’Évangile les critères de jugement, les valeurs déterminantes, les points d’intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie de l’humanité, qui sont en opposition avec la Parole de Dieu et le dessein du salut ». Cela signifie donc la volonté de remettre en question toute vision de l’homme, du monde et de la vie qui ne contribue pas à la joie des hommes et des femmes de notre temps. Comment en effet sortir de « l’éternel retour du même » si l’on n’est pas capable de remettre en question une vision du monde, une conception de la vie comme un absolu inaliénable, une vie qu’on est prêt à vivre, quelle que soit sa déchéance, pourvu que le mauvais me laisse encore en vie ? Dieu se révèle dans l'histoire, il parle aux hommes, et sa Parole est créatrice. En effet, le concept hébraïque dabar, traduit habituellement par « parole », signifie à la fois parole et acte, ce que la Bible grecque traduit par Logos. Le théologien Claude Tresmontant emploie l’expression « information créatrice ». La Parole préexiste en Dieu. L’information créatrice se fait chair dans le Christ. Le catholicisme n’est pas une religion du livre, mais la religion de la Parole faite chair. La Lectio Divina nous fait disciples de la Parole faite chair, le Christ Jésus… pas disciples d’un texte. L’Esprit est inséparable de la Parole. Le texte parle : l’Esprit, qui l’a inspiré, inspire à son tour le lecteur. Le texte devient vivant et actuel. Une des fonctions du Saint Esprit, c'est de nous faire comprendre la Parole du Christ, de nous l'enseigner et de nous conduire à la vivre, à la pratiquer. Lorsque Dieu parle, il crée les choses, il les fait émerger. Lorsque Dieu donne un nom aux choses, il les domine, il étend sur elles sa puissance, il les porte à réaliser leur vocation propre parce que sa Parole est efficace : elle ne revient pas sans avoir produit son effet. Ainsi le texte me transforme. Pratiquer la Lectio Divina n’est pas un simple exercice d’étude ; ce n’est pas de l’exégèse. L’homme ne peut pas, par ses propres forces ou par sa volonté propre, s’élever au-dessus de lui-même. En m’exposant à la Parole créatrice, je me laisse modeler par les deux « mains de Dieu » pour, selon l’expression de St Maxime le Confesseur, « Devenir par grâce, ce que Dieu est par nature ». Le Congo a besoin de laïcs tournés vers l’Absolu, préoccupés par l’union et la réconciliation de tout l’univers avec Dieu, avec l’humanité et avec la nature. Mettre la Parole en pratique, c’est aussi être capable d’influer sur le cours de sa vie et de son destin. Dans ce sens, s’engager, c’est recherche à être présents dans les lieux où se prennent les décisions, c’est laisser se réaliser le désir de ne pas être fermé à tout ce qui concerne le bien-être personnel et communautaire. Nous soignons la vie paroissiale, la vie de nos mouvements d’apostolat, mais nous considérons souvent, de manière superficielle, la vie dans la polis, comme si elle était sans importance pour Dieu. Au contraire, l’Évangile nous rappelle que chaque instant de notre existence est important et doit être vécu avec intensité, sachant que chacun devra rendre compte de sa propre vie. Le chapitre 25 de l’évangile selon saint Mathieu ne nous rappelle-t-il pas la nécessité de notre engagement dans le monde et notre responsabilité face au Christ, Seigneur de l’Histoire ? Ça vaut la peine… Le Concile Vatican II a porté une grande attention au rôle des fidèles laïcs, en leur consacrant un chapitre entier – le quatrième – de la Constitution sur l’Eglise, Lumen gentium, en définissant leur vocation et leur mission, toutes deux enracinées dans le Baptême et la Confirmation, et en les invitant à « chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles qu’ils ordonnent selon Dieu » (n°31). Cette tâche, qui vient du Baptême, doit pouvoir se développer à travers une vie chrétienne toujours plus consciente, capable de rendre raison de l’espérance qui est en nous (Cf. 1 P 3, 15). En novembre 1965, les Pères du Concile approuvèrent un Décret spécifique sur l'apostolat des laïcs, Apostolicam actuositatem. Le décret souligne avant tout que « la fécondité de l'apostolat des laïcs dépend de leur union vitale avec le Christ » (n° 4), c'est-à-dire d'une spiritualité robuste, nourrie par la Parole de Dieu. Alors, fondés sur la Parole, les engagements des laïcs, la compétence professionnelle, le sens de la famille, le sens civique et les vertus sociales deviendront une lumière pour tous les hommes et toutes les femmes de notre temps. Raphael BAZEBIZONZA, sj. Hekima College (Kenya)
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