Veillez, car vous ne savez pas quand sera le moment (1er Dimanche de l’Avent – Année A)
Textes: Is 63, 16b-17.19b; 64, 2b-7; Ps 79 (80); 1 Co 1, 3-9; Mc 13, 33-37. Au moment où l’Église universelle se met à l’école de la troisième Édition du Missel romain, la liturgie, quant à elle, nous fait entrer dans un temps spécial : le temps de l’Avent, temps de l’attente. Les textes mettent en relief les différentes formes de l’attente du jour. Un mot en ravive la signification: veillez. Pourquoi faut-il veiller? La réponse est sans équivoque : «car vous ne savez pas quand sera le moment» (Mc 13, 33). Le «moment», le «jour», l’«heure», sont des catégories suggestives du temps chronologique. La conscience biblique s’attache à retrouver, à l’intérieur du temps chronologique, des instants privilégiés. Ceux-ci dévoilent le temps de Dieu, c’est-à-dire l’instant précis de l’évènement de salut. L’usage des termes requiert ici une allure eschatologique. Le concept d’eschatologie ne veut nullement enjoindre un temps indéterminé, mais un temps «favorable», Kaïros. Le «temps favorable» relève de la mainmise de Dieu. Il en est le Maître et le Régisseur. Dans le Nouveau Testament, et cela de manière générale, l’attente du «moment» est liée à la Parousie du Seigneur. Elle est essentiellement une réalité des «fins dernières». Elle sollicite, par ce trait, une impulsion dynamique et non fixiste du temps. Le « temps de la fin » a déjà commencé. C’est à se demander si l’Avent, comme l’indique son étymologie latine, adventus (arrivée), n’est pas aussi ce « temps de la fin ». A ce stade, il marquerait avec appoint l’attente permanente de l’Église. Il pourrait alors relier les deux pôles extrêmes du mystère chrétien : l’incarnation du Verbe et le retour en gloire du Christ. Communément admis, l’Avent est un temps liturgique de préparation spirituelle. Les baptisés y sont appelés à fixer leur regard sur Celui qui vient. Objectivement, il s’agit de la préparation qui les relie au mystère de l’Emmanuel. Mais, dans une perspective de théologie biblique, le temps de l’Avent circonscrit une double portée de l’attente, actuelle et à venir. La conséquence, dans l’interprétation de Mc 13, 33-37, renvoie à deux niveaux de compréhension. Premièrement, le fameux «veillez» requiert une signification large. Jésus recommande à ses disciples de «veiller», en toute probabilité, pour les garder en « relation permanente » avec lui, et ce, jusqu’à son retour; pour les préserver des somnolences actuelles du péché qui ternit la ténacité dans l’attente. Cette première conséquence nous fait conclure ceci : l’attente chrétienne a fondamentalement un contenu eschatologique. Le Christ en est le centre; il est le maître de maison qui, à tout moment, risque de trouver les disciples endormis (Mc 13, 36). Ceux-ci en sont avertis. Deuxièmement, la recommandation de «veiller » inclut une acception bien ciblée : l’imminence du salut; c’est aujourd’hui qu’il faut «veiller», et non pas demain. Car le Seigneur vient. Ce qui justifie, en rétrospective, l’insistance de Jésus et sa réserve quant aux indications précises du «moment». Est-ce la nuit, le soir, à minuit, le matin ou à l’improviste? Tous les Évangiles s’accordent sur une récurrence dans l’attitude de Jésus : en cette matière, il ne cède pas à la curiosité des disciples. Même comme Fils de Dieu, il ignore le jour et l’heure, qui sont connus du Père seul. L’attente devient, de la sorte, une relation de confiance au Père dont la synthèse est la prière du Notre Père: que ton Règne arrive. Pour tout dire, la discrétion de Jésus sur le « temps de la fin » est une démarche pédagogique. Elle focalise l’attention des disciples non pas sur les signes avant-coureurs, mais sur les impératifs de l’attente elle-même. Les évènements doivent se produire. Les disciples ont néanmoins l’aptitude à en lire les signes. Au surplus, la puissance d’agir en conséquence leur est donnée. Une variante le stipule d’ailleurs : « Soyez sur vos gardes » (Mc 13, 33). Paul a compris, comme don de la grâce, cette puissance d’agir qui souscrit l’attente à une détermination de la persévérance du disciple. Cette conception est très prégnante dans le passage de 1 Cor 1, 3-9. Le croyant attend le Jour du Seigneur, en mettant à profit toutes les potentialités du vouloir et les ressources du savoir-faire. L’on comprend aisément cette double évidence. Primo, l’attente est toujours active. Secundo, autant le croyant en a l’entière responsabilité, autant son implication relève du don de la grâce; il s’agit du don de la grâce de celui qui affermit jusqu’au bout et rend irréprochables les cœurs fidèles. En conséquence, l’attente n’est pas seulement une puissance d’action; elle est aussi une puissance d’être et d’appartenance, un acte de foi et de confiance, une relation de communion et d’union à Dieu par Jésus Christ. Voilà pourquoi, elle reste formellement un temps de prière. Le disciple sera constamment invité à ce diptyque : veiller et prier. Cette confiance en Dieu éclate dans la première lecture. Devant les difficultés liées au retour de l’exil, telles que la tiédeur de la foi et le découragement, le Trito-Isaïe, en Is 63, 16b-17.19b, implore la compassion de Dieu pour son peuple. L’expression de Yahvé « père » d’Israël apparaît comme en marge des nomenclatures traditionnelles des noms de Dieu. Mais, avec bonheur, elle ouvre à une originale saisie de l’attente du jour. Certes, le temps de l’attente peut être aussi un temps de l’absence-présence de Dieu, un temps éprouvant pour le discernement. Mais, il ne sera jamais un temps implacable où le croyant est livré à lui-même. Dieu est présent au cœur même de l’attente comme un Père plein de miséricorde. Trois messages se rapportent aux textes liturgiques que nous venons de méditer : -Veiller dans l’être et l’agir. Nous sommes au début du temps de l’Avent. La direction que nous prendrons pour nous y préparer dépendra de la manière dont nous comptons « veiller ». Comment veillons-nous? Nous veillons avec nos cœurs, notre intelligence, nos talents, notre volonté d’être et d’agir, notre ouverture d’esprit à une transformation de vie, etc. Le Seigneur nous donne le temps nécessaire et nous laisse à notre libre conseil pour vivre en conformité avec lui. - Se mettre sur ses gardes quant à la somnolence. Notre époque est marquée par un courant de somnolence permissive sous la forme de sarcasme religieux. On doute de tout. On pose contrevaleurs en valeurs. On réduit les mises en garde de l’Évangile à des contes de fée. En dehors de la vie matérielle, rien n’est envisageable. Certes, la foi ne nous donne aucune certitude de la fin : personne ne sait ni le jour ni l’heure. Mais, parce que nous vivons en hommes et femmes avertis, nous goûtons déjà les fruits qui résultent de notre ancrage dans ce qui plait à Dieu. De fait, l’invitation de Jésus à « veiller » apparaît comme une promesse de ce que l’espérance réserve aux cœurs qui restent fidèles jusqu’au bout. -Accueillir Celui qui vient dans la foi et la confiance. Le temps de l’Avent nous invite à une plus grande intimité de vie avec Dieu. Nous ne devons donc rien négliger quant à ce qui pourrait enrichir et affermir cette relation: une vie de prière persévérante, une fréquentation régulière des sacrements, un effort constant à vivre l’Évangile comme une proposition à une rectitude de vie « irréprochable ». Abbé Luc Augustin SAMBA
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