L'Eglise: une communauté fraternelle en prière et en mission Introduction : Un regard attentif sur notre société (ou nos sociétés) nous donne aujourd'hui un tableau assez sombre sur les questions vitales, telles que la vie, la fraternité, la paix, le partage, etc. Il est aussi surprenant de constater qu’au sein de cette même société foisonnent des « maisons de prière » où Dieu est invoqué à temps et à contre temps, sans que cela n’apporte plus de convivialité dans nos biotopes. Ici et là, l’on s’exclut mutuellement sur la base d’une critériologie traditionaliste, ethnique, tribaliste, etc. Cela nous permet de souligner qu’il y a encore certainement, en nous et autour de nous, beaucoup de lenteur à admettre que prier Dieu nous engage résolument à la rencontre de l’autre, comme un prochain à aimer. Quelles valeurs peuvent avoir nos rencontres de prière, si elles ne nous ouvrent pas à l’autre comme icône de Dieu ? Prier et refuser de cohabiter avec l’autre, n’est-ce pas là une entorse à la prière du « Notre Père », que nous récitons pourtant avec « ferveur et frénésie » ? Si Dieu est réellement notre unique Père, d’où viennent alors les querelles, les meurtres, les vols, les pillages, les détournements, la convoitise, la haine… ? N’est-ce pas là une mauvaise conception de la famille que nous sommes toujours appelés à former sous l’unique et exclusive paternité de Dieu, notre Père ? C’est forts d’une telle perturbation langagière, et même comportementale, que nous nous proposons, dans cet exposé, de revisiter tant soit peu la paternité de Dieu, en vue de repréciser, pour nous-mêmes et pour la postérité, les exigences de fraternité et de famille qui en découlent nécessairement. Et cette famille où sont réunis tous ceux qui ont Dieu pour Père, c’est bien l’Eglise-Famille. Sa signification, ses caractéristiques, sa mission, sont autant de questions qui méritent encore d’être rappelées. 1. L’Eglise-Famille : signification Dans son exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa, le Pape Jean-Paul II affirme ce qui suit : « Non seulement le Synode a parlé de l’inculturation, mais il l’a appliquée en prenant, pour l’évangélisation de l’Afrique, l’idée-force de l’Eglise- Famille de Dieu. Les Pères y ont vu une expression particulièrement appropriée de la nature de l’Eglise pour l’Afrique. L’image, en effet, met l’accent sur l’attention à l’autre, la solidarité, la chaleur des relations, l’accueil, le dialogue et la confiance ». Avec cette assertion, le Pontife romain nous montre encore aujourd’hui combien il nous faut prendre au sérieux nos propres acquis naturels, en vue de la solidification de la communion entre nous. On le voit, admettre que l’Eglise est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain, implique de notre part une conscience intelligente face à une telle vérité. Christ est la tête immuable de l’Eglise dont nous formons les membres. Par lui et en lui Dieu, le Père nous agrège, par le truchement du baptême, à lui comme des fils adoptifs. Toute la consistance et même la profondeur de cette adoption sont l’œuvre du Fils qui, en vertu de son obéissance au Père, est devenu l’aîné d’une multitude de frères. Aucune famille n’est possible sans père. C’est donc Dieu lui-même qui nous veut ensemble au sein d’une même et unique famille dont il est l’éternel Père : la famille des enfants de Dieu. Cette note de chaleur et d’universalisme caractérise la révélation de la paternité divine. Le mot Père ne reste pas conventionnel, il suscite plutôt dans le cœur humain une nouvelle attitude religieuse. Dans l’exercice de sa providence, Dieu agit réellement comme un père à l’égard de tous, sans distinction entre bons et méchants (Mt 5, 45 ; Lc 12, 22-31). La prière confiante de ses enfants ne peut rester sans réponse (Lc 11, 11-13). Il pardonne sans cesse leurs fautes et leur prescrit d’agir de même entre eux (Mt 6, 12-15). Et c’est parce que Dieu aime qu’il est réellement Père. En conséquence, c’est par son Fils que toutes ces qualités paternelles de Dieu nous sont données à découvrir sans cesse. Dans ce sens, le Fils est le théologien du Père auprès de l’humanité que nous sommes. Se réclamer d’un tel Père nous engage résolument à l’imiter. D’une manière logiquement chrétienne, redécouvrir notre attachement au Père, solidifie notre fraternité. Au sein de l’Eglise, surtout à la fraction du pain, nous découvrons davantage ce que nous sommes : une communauté de frères et de sœurs. C’est cela l’Eglise qui vit comme une réelle famille voulue par Dieu et vivant de et par sa grâce. C’est l’Eglise que le Christ a fondée : une famille vivant de l’amour qui lui vient du Père. 2. L’Eglise-Famille : caractéristiques Pour qu’elle demeure famille des enfants de Dieu, l’Eglise doit avoir des caractéristiques qui témoignent au mieux possible son identité. Cette identité est toujours la résultante de certaines caractéristiques. 2.1. Une Eglise qui aime La prise en compte de l’amour, qui rend possible la communion entre les enfants de Dieu, est une exigence chrétienne. L’amour du Fils, qui a souffert et mort pour nous, devient donc le critère d’action de l’Eglise. Le Christ qui nous a aimés le premier, selon le témoignage de saint Jean (1Jn 4, 19), nous invite à le suivre sur ce chemin de vie. L’Eglise en vit profondément et totalement. Et cet amour, c’est le don de lui-même qu’il nous fait dans son Eucharistie. Une foi ecclésiale authentique doit s’enraciner dans l’offrande du Christ. En effet, « la possibilité, pour l’Eglise, de faire l’Eucharistie est complètement enracinée dans l’offrande que le Christ lui a faite de lui-même ». C’est ce que nous fait comprendre F.X. Durrwell, convaincu que « Le Christ offre dans son sacrement, ce qu’aucun amant ne pourrait donner à celle qu’il aime : de devenir un même corps avec lui, dans le partage de ce qu’il a de plus personnel, de plus impartageable, la mort et la naissance. De telles épousailles sont celles d’un amour absolu, elles appartiennent au monde de l’eschatologie. L’Eucharistie les célèbre dans le temps terrestre, pour l’emplir de la plénitude future et pour que l’entière vie de l’Eglise soit, autant que possible, saisie dans cet instant de l’amour ». Cela ne peut être saisi que dans la mesure où l’on parvient à accéder à la profondeur de la dynamique de l’amour qui caractérise l’Eglise. Dans cette perspective, considérant sa spécificité exceptionnelle, l’Eucharistie procure à la communauté des croyants une nouvelle manière d’être Eglise, une Eglise-Famille au sein de laquelle une humanité nouvelle est appelée à voir le jour, une humanité eucharistique faite de fraternité authentique. 2.2 Une Eglise qui croit et espère En tout lieu et en tout instant, hier et aujourd’hui encore, l’Eglise revit son engagement unique et perpétuel, celui de la foi. En effet, croire est toujours une affaire de rencontre, d’adhésion, d’attachement, comme à notre propre avenir absolu, au Christ notre Seigneur, en qui Dieu est notre salut. Notre prière communautaire, à cet effet, fonde la rencontre et l’accueil, et donc la foi des hommes. En elle, Dieu devient celui qui est le proche parce qu’il est le plus lointain. Dans le contact du corps et des plaies du Christ, le disciple peut s’écrier comme saint Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20, 28). Vivre dans la rencontre permanente avec le Maître constitue, par-dessus tout, la condition pour surmonter les diverses tentations des temps messianiques. Ceci marque le début de l’évangélisation des chrétiens, où le Christ lui-même partage sa propre foi avec tous les communiants. L’adhésion à l’Eglise n’est pas l’acceptation aveugle d’un dire, mais une adhésion et une connaissance qui naissent dans la rencontre, dans un début de possession mutuelle. Elle voit donc avec les yeux intérieurs, ceux du cœur qui communient (Ep 1, 18). De ce point de vue, si son advenir est une grâce aimante de Dieu, comme nous l’avons signifié plus haut, l’Eglise est donc aussi et surtout un lieu de communion. 3. L’Eglise-Famille : mission Toute théophanie, toute monstration de Dieu, disons mieux, toute révélation divine constitue toujours, pour l’homme, un envoi en mission. Si l’Eglise en est une, il nous faut donc considérer dans la foi une telle évidence. Se reconnaître du Père, et par conséquent disciple du Christ, fait de nous une communauté, avons-nous déjà signifié. Cette Eglise, où qu’elle soit, ayant cette conscience d’appartenance, se veut donc missionnaire. Ne pas l’être à temps et à contre temps constitue pour elle une infidélité à son Fondateur et une perte d’identité par rapport au monde où elle est tout le temps invitée à rayonner de la splendeur du Christ. « Aller dans le monde entier, proclamer l’Evangile à toute la création » (Mt 16, 15), tel est le mandat que lance le Christ Ressuscité à ses disciples. Et, « pour eux, ils s’en allèrent prêcher en tout lieu » (Mc 16, 20). En toute évidence, il n’y a pas meilleure manière de prouver notre attachement au Christ que de vivre ce qu’il nous a laissé comme exemple. S’en laisser convaincre nous ouvre à une certaine dynamique de mission. Cette mission est dans l’Eglise un critère d’authenticité « fidéique ». Tel est le Christ, tel nous devons être. Témoigner de lui est une véritable démarche d’évangélisation. En guise de conclusion, nous réaffirmons que « la tâche d’évangéliser tous les hommes constitue dès lors la mission essentielle de l’Eglise, tâche et mission que les vastes et profondes mutations de la société actuelle ne rendent que plus urgentes. Evangéliser est, en effet, la grâce et la vocation propre de l’Eglise, son identité la plus profonde ». Cependant, comment évangéliser lorsque soi-même l’on ne prend pas la mesure de ce que l’on annonce comme Bonne nouvelle ? Y réfléchir aujourd’hui constitue un réel défi de notre temps. Père Aimé Thierry HEBAKOURILA
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