La seule image qui vaut la peine qu’on s’essouffle pour elle (29ème Dimanche du temps ordinaire – Année A)
Textes : Is 45,1.4-6 ; Ps 96(95) ; 1 Thess. 1, 1-5b ; Mt 22, 15-21 Nous célébrons aujourd’hui la journée missionnaire mondiale. Cette liturgie marque, à Rome, la conclusion du Synode extraordinaire des évêques sur les défis pastoraux de la famille dans le contexte de la nouvelle évangélisation, un chemin synodal qui prévoit un autre moment, celui du Synode ordinaire, qui se tiendra en octobre 2015. Cette liturgie marque aussi, la béatification du pape Paul VI, l’un des premiers papes qui inscrivit les voyages à son agenda, se faisant ainsi un missionnaire mondial de l’Évangile. Pour ce pape, l’Église est ontologiquement missionnaire ; elle évangélise, c'est-à-dire, elle témoigne de façon simple et directe, du Dieu révélé par Jésus-Christ, dans l’Esprit Saint (Evangelii Nuntiandi, no26). S’essouffler pour l’image de Dieu dans son cœur et au cœur du monde, sortir pour révéler Dieu aux hommes et aux femmes de notre temps, c’est le message clé des textes liturgiques que nous écoutons aujourd’hui. La première lecture, tirée du Livre d’Isaïe, nous dit que Dieu est un, unique ; il n’y a pas d’autres dieux en dehors du Seigneur, et même le puissant Cyrus, empereur de Perse, fait partie d’un dessein plus grand que Dieu seul connaît et réalise. Cette lecture nous explique le sens théologique de l’histoire : les tournants historiques, la succession des grandes puissances sont sous la domination suprême de Dieu ; aucun pouvoir terrestre ne peut prendre sa place. Celui ou celle qui vend son image pour accroître son prestige et son pouvoir personnel, celui ou celle qui, pour réaliser sa propre ambition ou prolonger une idéologie civile ou religieuse, se fait appeler « seigneur », se prive du rapport vital avec la vérité. Celui ou celle qui ne veut plus se nourrir à la sueur de son front, et qui a fait de l’adoration des puissants ou des hommes friqués son gagne-pain favori, n’aime pas vraiment Dieu et les autres, mais seulement lui-même et, paradoxalement, il se perd lui-même. On ne peut pas rendre à César ce qui est à Dieu, sans perdre la paix intérieure. « Rendez au Seigneur la gloire de son Nom », nous dit le psalmiste. Et l’épiphanie de cette gloire, c’est Jésus. C’est Jésus la vraie image du Dieu invisible (Col. 1, 15). Dans l’Évangile de ce jour, les disciples des Pharisiens et les Hérodiens s’adressent à Lui en des termes élogieux, en disant : « Nous savons que tu es véridique et que tu enseignes la voie de Dieu en vérité sans te préoccuper de qui que ce soit » (v. 16). Cette affirmation, bien que suscitée par l’hypocrisie (ils l’affirment uniquement comme une captatio benevolentiae pour se faire entendre, mais leur cœur est bien loin de cette vérité ; ils veulent attirer Jésus dans un piège pour pouvoir l’accuser.), nous interpelle. Jésus est vrai, et il nous montre le chemin de Dieu. C’est cela la mission pour laquelle « nous avons été choisis » (Cf. la seconde Lecture, v. 4) : confesser l’unique Dieu qui, en Jésus, s’est manifesté à nous en surabondance – pleroforìa en grec –, c'est-à-dire dans la plénitude, la fidélité, la totalité. Notre mission consiste essentiellement à faire briller l’image de Dieu, à claironner sa souveraineté, à rappeler à tous le droit de Dieu sur ce qui lui appartient, c’est-à-dire notre vie. « Rendez au Seigneur la gloire de son nom ». Cela ne veut pas dire que le Seigneur banalise la chose publique, mieux la légitimité de l’impôt à payer à César. Jésus, dans notre péricope, répond par un réalisme politique surprenant, lié au théocentrisme de la tradition prophétique. L’impôt à César doit être payé, car l’effigie sur la pièce de monnaie est la sienne. Cela veut dire que nous devons aussi respecter l’autorité politique. D’ailleurs, saint Paul nous demande de prier pour ceux qui nous gouvernent afin que le Règne de justice et de paix advienne un peu plus concrètement auprès des hommes. Et plus, encore aujourd’hui, dans un contexte de remous électoral où le mécontentement et l’insatisfaction agitent nos peuples, le souci pour une gouvernance qui transpire pour le bien le plus universel, nous place devant le défi d’accompagner autrement les efforts politiques et économiques initiés par nos gouvernants pour la plupart desquels le visage du Seigneur ne constitue point un essentiel immédiat et référentiel. Oui, respect, prière et accompagnement, parce que c’est l’image de l’empereur qui est frappée sur la pièce de monnaie de l’impôt, parce que nous habitons la cité. Mais tout en sachant que chaque homme porte en lui une autre image, celle de Dieu, et c’est donc à Lui, et à Lui seul, que chacun doit sa propre existence. Un auteur anonyme a interprété cet évangile à la lumière du concept fondamental d’homme-image-de-Dieu, contenu dans le premier chapitre du Livre de la Genèse. L’effigie de Dieu, écrit-il, n’est pas frappée sur l’or, mais sur le genre humain. La monnaie de César est l’or, celle de Dieu est l’humanité. Donne donc ta richesse matérielle à César, mais réserve à Dieu l’innocence unique de ta conscience, où Dieu est contemplé. En effet, César a exigé que son effigie apparaisse sur chaque pièce, mais Dieu a choisi l’homme qu’il a créé pour refléter sa gloire. (Anonyme, Œuvre incomplète sur Matthieu, homélie 42). Nous sommes des chrétiens en route vers Dieu, nous sommes aussi des chrétiens contradictoires et incohérents, pécheurs, tous. Mais comme Paul VI et tous les amis de Dieu, nous voulons marcher sous le regard de Jésus. Ne cherchons jamais dans cette vie un nom qui ne nous rattache pas à celui de Jésus (Saint Pierre Favre, sj). Prions pour que le Seigneur imprime son visage dans nos cœurs, afin que nous puissions le rencontrer et montrer au monde son image. Oui, la seule image qui vaut la peine qu’on s’essouffle pour elle ! Amen. Père Raphaël BAZEBIZONZA, sj
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