Ma demeure sera chez eux (Dédicace de la Basilique du Latran)
Textes : Ez 47, 1-2.8-9.12 ; Ps 45 ; 1 Co 3, 9b-11.16-17 ; Jn 2, 13-22 « Ma demeure sera chez eux » (Ez 37, 27), promet le Seigneur à son peuple ; telle est sa volonté pour Israël, pour nous. « Ma demeure sera chez eux ». Cette promesse peut être considérée comme la clé pour comprendre le message qui vient de la fête de la Dédicace de la Basilique du Latran. Le prophète Ézéchiel, dans la première lecture de ce jour de fête, nous parle de l’eau et du Temple, donc de la demeure, de la maison et ce qu’elle peut offrir : l’eau. Dans le langage biblique, l’eau tient une grande place. Dès la Genèse, le souffle de Dieu plane sur les eaux. Puis, il y a les eaux du déluge et celles de la Mer rouge. Dans le nouveau testament, c’est sur le lac de Galilée que Jésus appelle ses premiers disciples, à la suite justement d’une pêche miraculeuse, signe des eaux rendues fécondes par l’action de Dieu (Cf. Lc 5, 1-11 ; Jn 21, 1-24). L’eau est aussi le signe principal du sacrement du baptême. Dans la vie ordinaire, l’eau étanche notre soif, lave et purifie nos corps et fait pousser les semences. Quant à la demeure ou la maison, emblème de la protection, elle s’accomplit en qualité d’abri. Mais qu’abrite-t-elle ? De quoi protège-t-elle ? La maison nous protège de la violence des intempéries et des fatigues de cette vie terrestre. Elle symbolise donc le repos et la tranquillité, l’hospitalité et la guérison. La vraie maison – parce qu’il y a des maisons qui ressemblent à des prisons – distille une profonde intimité protectrice qui assure la conscience d’être en paix. L’eau dont nous parle Ézéchiel jaillit curieusement du côté droit de la façade du Temple, de la maison. C’est en fait l’eau du côté du Christ qui est le véritable Temple. Et partout où elle passe, elle assainit et fait éclater la croissance, la vie. Les animaux foisonnent et les arbres poussent et portent du fruit. C’est cela la vocation du Temple, de la maison ou d’une famille véritablement humaine : être une source qui donne à boire, qui donne la vie ; être une Église « oasis dans le désert », prête à étancher la soif des voyageurs désireux de savoir ce qui se vit exactement dans la terre qu’ils foulent pour la première fois. Dans les traditions ouest-africaines, on accueille un visiteur ou un étranger avec une calebasse d’eau. On suppose qu’il a fait l’expérience de périples et de péripéties, des aventures sans cesse en courbures et en quête d’un centre pour qu’enfin il se repose et retrouve un ordre intérieur. Ainsi, la maison et l’eau représentent l’abri sous lequel vient s’unifier l’être. Sans la maison et l’eau, l’homme serait un être dispersé, assoiffé. L‘Église, qui représente pour nous la maison des enfants de Dieu, nous unifie. Elle est le refuge et la force, le secours dans la détresse pour l’homme (Ps 45 ; Ap 21, 2), le lieu où l’on enseigne, où l’on partage, où l’on sert et où l’on est servi, mais plus encore, c’est le lieu où Jésus s’offre aux siens comme pain et présence de Dieu. Nos familles, qui constituent pour nous de petites églises domestiques, sont cette maison où les enfants peuvent grandir et s’épanouir. Il y a cependant ceux qui trouvent cette vie ennuyeuse, non satisfaisante : ces jeunes et ces enfants dans la rue, ces adultes qui font le tour des rues pour rien. Ils désirent expérimenter une autre vie dans laquelle ils seraient réellement libres de faire ce qui leur plaît, une vie libérée de la discipline d’une maison et des commandements de Dieu. On peut errer, c’est possible, parce qu’il y a aussi des gens qui, par leur insolence et imprudence, peuvent nous chasser loin de nos maisons – Église, famille, communauté religieuse. Il y a des milliers d’enfants de la rue qui ne savent plus vivre que dans des familles d’accueil, parce que leurs propres parents ressemblent à la biche du livre d’Isaïe qui met bat le petit et l’abandonne à la merci du premier passant, faute de verdure, de maison. Oui, on peut errer, mais nous ne devons jamais considérer la maison comme une auberge, un simple lieu de passage, un espace de trafic (Jn 2, 14-16), ce que le Seigneur condamne, c’est-à-dire cette conception utilitariste de sa maison, de nos maisons. La vocation de sa maison, qui est celle d’être « un lieu de prière pour tous » (Is 56, 7), reste évacuée au profit de la dimension (autant nécessaire qu’incomplète) d’une éthique matérielle de la demeure. La maison, c’est le lieu de la rencontre avec Dieu. L’antienne d’ouverture affirme sans-ambages que cette maison descend du ciel, d’auprès de Dieu. Bonne nouvelle pour nous ! L’Évangile johannique nous invite à nous laisser dévorer « par le zèle de cette maison », c’est-à-dire par la nostalgie de la maison du Seigneur. Nostalgie vient du grec nostos, « revenir », « dont le retour est possible », et algos, « douleur ». La nostalgie est proprement la douleur languissante du retour à la maison. Aujourd’hui, il y a trop de gens qui quittent l’Église, qui quittent leurs familles sans regret, sans amertume ; il y a des gens qui préfèrent rester dehors, ne vivant apparemment pas la nostalgie de leur milieu naturel et oubliant qu’ils sont eux-mêmes cette maison, ce Temple de Dieu (Cf. Seconde lecture). Il se dégage de la célébration de la Dédicace de la Basilique du Latran un appel à « demeurer ». Demeurer en Jésus, l’unique pierre angulaire sur laquelle nous devons bâtir nos vies ; demeurer dans l’Église, sacrement du Christ, pour boire à sa Parole et pour nous reposer ; demeurer dans nos maisons familiales ou religieuses, en dépit des forces qui poussent à aller ailleurs. L’essence du demeurer est de rester là présent à soi-même, dans un mouvement qui prépare un nécessaire retour vers Dieu. Demandons au Seigneur une chose, la seule chose que nous pouvons chercher : habiter sa maison tous les jours de notre vie, pour admirer sa gloire. Amen. Père Raphaël BAZEBIZONZA, sj.
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