Choisis pour servir en sa présence : les défis de la vie consacrée en Afrique Une des paroles liturgiques clés pour comprendre la sequela christi et sa raison d’être, c’est celle que le prêtre prononce après la consécration : « … nous te rendons grâce car tu nous as choisis pour servir en ta présence » (Préface eucharistique no 2). Qu’est-ce que cela veut dire, en réalité ? Nous n’avons pas été choisis pour servir en présence d’un autre homme qui ne soit pas Dieu ! Aussi puissant qu’il puisse paraître, aussi friqué qu’il soit pour nous corrompre, aucun homme sur cette terre des mortels ne mériterait toute notre énergie, tout l’espace intérieur qu’Il a voulu comme un sanctuaire, où il nous rencontre pour nous donner sans cesse l’être et le mouvement. Servir en présence d’un autre homme, c’est ce que le langage biblique appelle l’idolâtrie. Et notre espace public est aujourd’hui asservi par le culte des idoles. Ces erreurs du paganisme, que dénonce la sequela christi, constituent une puissante aliénation qui nous détourne de notre véritable destinée, de la capacité à reconnaître en Jésus l’unum necessarium. « Servir en présence du Seigneur », c’est ce que voudrait signifier cette année dédiée aux personnes consacrées, à l’occasion du cinquantenaire de la promulgation du décret conciliaire Perfectae Caritatis, sur le renouveau de la vie religieuse. Il s’agit donc d’une occasion opportune pour se remettre en présence du Seigneur et lui rendre grâce pour le don inestimable que représentent nos vies fragiles mais consacrées pour réveiller le monde assoupi. Une telle vérité résonne avec force dans le contexte actuel marqué par le paganisme religieux ou politique et partagé entre la fidélité au Dieu de Jésus et la pratique des croyances inutiles dont on ne comprend même pas le secret, des fantômes hérités de la mondialisation et des prophètes aux bouches sales. C’est le culte des idoles dont parle Paul aux Corinthiens (1 Co 10, 14). Dans ce sens, servir en sa présence, veut dire cesser d’honorer les divinités de l’Olympe et de leur offrir des sacrifices sanglants. Être et servir en sa présence, c’est se mettre à l’école des prophètes de l’Ancien Testament qui dénonçaient la tendance humaine à se forger de fausses représentations de Dieu qui, comme dit le psalmiste, ne sont qu’« or et argent, ouvrages de mains humaines. Elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas, des narines et ne sentent pas » (Ps 113, 4-5). Nous comprenons donc que ce rappel de la prière eucharistique, auquel nous ne prêtons peut-être pas trop attention, est à prendre au sérieux. Le monde contemporain ne se crée-t-il pas ses propres idoles ? N’imite-t-il pas, peut-être à son insu, les païens de l’Antiquité, en détournant l’homme de sa mission et de sa fin véritable ? C’est la question importante que devraient se poser les personnes consacrées et, avec elles, tous les fidèles chrétiens en cette année consacrée au don de la vie consacrée. En présence de qui je fais vœu ? Devant quel dieu j’offre le sacrifice de louange ? Le concept « idole » vient du grec et signifie « image », « figure », « représentation », mais aussi « spectre », « fantôme ». L’idole est un leurre, car elle nous détourne de la réalité pour nous cantonner dans le monde de l’immédiat, du semblant et de l’apparence. Or, n’est-ce pas une tentation propre à notre époque, la seule sur laquelle nous puissions agir efficacement ? La tentation de diviniser les chefs (la 10ème maladie curiale selon le Pape François), de courtiser les supérieurs en espérant obtenir leur bienveillance. C’est la tentation de ceux et celles qui sont victimes du carriérisme et de l’opportunisme, qui honorent les personnes et non Dieu (Cf. Mt 23, 8-12). Mais la soif du pouvoir, tout comme de l’avoir ou de l’argent – très souvent à vil prix – amoindrit la pleine appartenance à Jésus. La reconnaissance pour le don de Dieu, caché « dans des vases d’argile », et qui, à travers toute la faiblesse humaine, rend concret son amour en ce monde, devient aussi devoir de purification, recherche d’une identité qui annonce clairement et fortement la présence de Dieu avec des mots et des gestes qui, au moment favorable et bien discerné, profitent à soi et au prochain. Mais comment parvenir à cela ? Le pape François a donné trois consignes complémentaires pour vivre cette année avec un vrai bénéfice spirituel : la joie, le courage et la communion. La joie, c’est le signe distinctif de ceux qui ne regrettent rien d’avoir remis toute leur vie entre les mains du Divin Maître. Les nuits de l’esprit, les déceptions, les maladies et les injures du froid n’attiédissent en aucun cas leur ardeur. Dieu, comme les pauvres qu’ils servent, comble à fond leur cœur. Servir en présence du Seigneur, c’est refuser le visage triste, le cœur insatisfait et les yeux curieux qui vont chercher ailleurs le bonheur qu’on convoite chez les autres. La deuxième consigne, c’est le courage, le témoignage prophétique des hommes et des femmes « astres » et non « désastres » ; des personnes faites d’argile mais envoyées pour donner une secousse agréable au monde. La mission de la personne consacrée, comme celle du prophète, n’est-elle pas de scruter les temps, de discerner les esprits contraires pour dénoncer les ravages du péché ? Si réellement nous servons en présence de Dieu, nous serons libres parce que nous ne répondons à d’autre maître que Dieu. Qu’est-ce que cela veut dire ? La personne consacrée ou simplement le chrétien est un homme de parole dans tous les sens du terme ; il doit fournir de la parole. Et sa parole doit rassurer, quelque soient ses questions personnelles ou ses défauts. Tant il est vrai que l’essentiel de ce qu’il fait, ce n’est pas seulement de causer – ce qui peut être aussi une façon d’utiliser la parole –, mais de dire des paroles qui changent la réalité. Tout le monde peut dire ce qu’il veut, mais tout le monde ne peut pas changer la réalité. La troisième consigne, c’est la communion. Tout consacré est appelé à être témoin et artisan du projet de communion qui se trouve au sommet de l’histoire de l’homme selon Dieu. L’ethnie, la tribu et la région ne sont pas de valeurs absolues et ne doivent donc pas constituer la principale référence pour le discernement des actions à entreprendre. Le défi, c’est celui de l’acceptation mutuelle, de l’estime réciproque dans la diversité des langues et des cultures. Ce courage est la capacité de savoir dire non aux complicités maléfiques qui justement prennent origine dans la cristallisation de l’ethnie. On vient de quelque part certes, mais il faut avoir toute la liberté intérieure pour pouvoir se désolidariser des autres dans le mal. Cette ouverture est l’antidote le plus naturel contre l’engrainage de la haine et de l’autodestruction des peuples. Heureuse la personne consacrée qui sait rire de la vie, qui ne voit pas le diable dans tous les sens, pour que sa communauté religieuse et sociétale connaissent la sérénité intérieure et le bonheur de l’« être-avec ». Heureuse la personne consacrée qui renonce à sa réputation et même à sa propre vie pour crier justice pour le plus grand nombre. Heureuse la personne consacrée qui refuse le cloître tribal et les alliances ethniques pour exclure et s’exclure : la nation qu’elle foule prospèrera et deviendra une terre féconde, lieu du mariage véritable et réussi de l’humanité et du divin. Raphaël Ndaphet BAZEBIZONZA, sj.
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