La communauté des frères, lieu d'expérience de la réconciliation

 

La communauté des frères, lieu d'expérience de la réconciliation (23ème dimanche du temps ordinaire - Année A)

 

Textes : Ez 33, 7-9 ;  Ps 94, 1-2.6-9 ; Rm 13, 8-10 ; Mt 18, 15-20.

 

Le prophète Ezéchiel reçoit de Yahvé la charge de sentinelle. Il doit veiller sur la communauté des fils d’Israël, pour lui montrer son mal afin que le peuple se convertisse et vive (s’il ne se convertit pas du mal, il meurt). Ceci devient une responsabilité importante enracinée dans le ministère prophétique que la Bible ne cesse de relever ; responsabilité vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis du peuple. Le fils d’homme (lui-même fragile), prophète sentinelle de la maison d’Israël, doit prêter attention à la parole qui lui vient de Yahvé (Ez 33,7 ; cf. Dt 18,15-18) et qu’il doit annoncer. La responsabilité du prophète est telle que le refus, sinon l’oubli, voire la négligence d’annoncer au méchant la parole entendue de Yahvé engage pleinement son propre sort. Cette responsabilité attribuée à Ezéchiel, sera ressentie et présentée dans l’Evangile comme responsabilité du frère envers l’autre dans l’Eglise. On ne dira plus comme Caïn : « suis-je le gardien de mon frère ? » (Gn 4,9).

 

Le Psaume responsorial (Ps 94) est une invite à se réjouir, à acclamer le Seigneur qui est salut pour son peuple. Une invite aussi à toujours écouter sa voix, sa parole, sans fermer son cœur comme le firent les pères au désert. La raison de cette acclamation/adoration de Dieu est le fait que nous lui appartenons, comme un troupeau à son berger. C’est donc lui qui prend soin de nous, qui nous guide. Et nous savons que c’est sur des verts pâturages qu’il nous fait reposer ; lui notre berger (Ps 22,2-3).

 

Dans l’Epître aux Romains, Paul rappelle un principe cardinal relatif à l’amour mutuel qu’il présente comme l’unique dette que les frères doivent avoir les uns envers les autres : qui aime accomplit toute la loi… L’amour est la plénitude (accomplissement plein) de la loi (Rm 13,10). En l’espace de trois versets, Paul emploie cinq fois le terme amour-agapè qu’il veut comprendre en relation avec la loi mosaïque, cœur de la religion vétérotestamentaire. Tout en ne faisant pas partie des dix commandements (Ex 20,2-17 ; Dt 5,6-22), le précepte de l’amour de Dieu (Dt 6,4-6) et du prochain (Lv 19,18) sera compris par l’Eglise naissante comme résumé de toute la loi ; celui qui contient tous les commandements (cf. Lc 12,28-31). Le Serviteur de Dieu le Cardinal E. Biayenda rappelait aux chrétiens du Congo, avant sa mort, que le chrétien n’avait reçu qu’un seul commandement, celui de l’amour.

 

Le chapitre 18 de Matthieu reporte ce qu’on peut appeler, dans le contexte de cet Evangile, le discours sur l’Eglise. Certains biblistes, en effet, considèrent qu’il y a cinq discours qui structurent tout l’Evangile de Matthieu (le sermon sur la montagne : Mt 5-7 ; le discours missionnaire, apostolique : Mt 10 ; les paraboles du Royaume : Mt 13 ; le discours ecclésiastique : Mt 18 ; le discours eschatologique : Mt 24-25). En disant discours ecclésiastique, il ne faut pas penser à un traité d’ecclésiologie, mais plutôt à certains principes qui doivent animer la communauté des frères (l’enfance spirituelle : Mt 18,1-5 ; mise en garde contre le scandale : Mt 18,6-9 ; la parabole de la brebis égarée et retrouvée : Mt 18,10-14 ; la correction fraternelle : Mt 18,15-18 ; la force de la prière commune : Mt 18,19-20 ; le pardon entre frères : Mt 18,21-22 ; la parabole du débiteur impitoyable : Mt 18,23-35).

 

Cette séquence comprend deux moments principaux : la correction fraternelle en Eglise (Mt 18,15-18) et la force de la prière commune (Mt 18,19.20). Les deux semblent s’opposer, mais dans le fond se complètent. Le premier pose la nécessité de la réconciliation ; le second la reconnaît et présente les fruits d’une communauté réconciliée qui vit en harmonie, pour reprendre les termes de l’Evangile, en symphonie (Mt 18,19).

 

« Si ton frère a péché contre toi » (Mt 18,15). La communauté des frères n’est pas exempte de péché (que ce soit le péché en général, ou le péché commis envers un autre frère) ; et nous en faisons toujours la douloureuse expérience. L’Eglise porte la responsabilité de l’expérience du péché des frères. En effet, il y a deux leçons possibles de ce texte : 1- « si ton frère a péché ». 2- « si ton frère a péché envers toi ». Le principe est déjà presque présent en Lv 19,17. Mais l’Eglise est aussi et surtout le lieu par excellence où la réconciliation est active, en marche, vécue et expérimentée. L’Eglise est sainte, non parce qu’elle manque de péché ou de pécheur, mais parce qu’elle est appelée à vivre le pardon qui lui vient de Dieu, obtenu par la croix du Christ et partagé entre frères.

 

Le pécheur n’est pas aussitôt exclu, comme auraient pu le faire des esséniens. Il est plutôt aidé, accompagné, pour que se réalise la réconciliation. Et, l’autorité de la communauté en matière de rejet est telle qu’elle implique la réalité cosmique dans sa totalité (le ciel et la terre). Mt 5,23-24 pose pareillement la nécessité, l’urgence de la réconciliation avec son frère. L’Eglise est vraiment signe de la présence de Dieu au milieu du monde lorsqu’elle vit la grâce de la réconciliation, la seule capable de créer l’harmonie qui rend Dieu présent (Mt 18,20).

 

                                                                                                                

                                                                                                              Abbé Ildevert Mathurin MOUANGA