Le Seigneur envoie tout le monde à sa vigne

 

Le Seigneur envoie tout le monde à sa vigne (25ème dimanche ordinaire – Année A)

 

Textes : Is 55, 6-9 ; Ps 144 ; Phil 1, 20-27 ; Mt 20, 1-16.

 

Les derniers oracles du 2ème livre d’Isaïe (Is 40-55) attirent l’attention de l’homme pour qu’il se tourne vers Yahvé (par exemple, Is 55,1-5). Dans ce texte, on peut noter des ordres positifs (prédominance du mode impératif : versets 6-7), suivis de justifications (introduites pas « car » : versets 8-9). Les ordres portent sur des actions comme chercher (verset 6a), se rapprocher (verset 6b), abandonner (verset 7a), se retourner (verset 7b). Ces ordres correspondent avec des actions du Seigneur : il se laisse trouver (verset 6a), il est proche (verset 6b), ou avec l’état de son cœur : il a compassion et il pardonne (verset 7b). Puis, vient une affirmation de transcendance de Dieu qui se comprend dans un lien avec ce qui précède : son rapprochement, sa compassion, son pardon. Transcendance de par son être, immanence de par son agir. Dieu est le Tout autre, le tout insondable, parce qu’il est le Tout proche ; se laisse trouver par qui le cherche ; il est plein de miséricorde pour qui se détourne de son chemin pervers et se rapproche de lui. C’est cela qui déroute de Dieu. Mais c’est cela son être.

 

Compassion, miséricorde, justice, amour, etc., en ce qui concerne Dieu, retrouvent leur écho dans le Psaume 144/145 et deviennent un motif de louange au Seigneur ; ce qu’une génération raconte à l’autre et devient raison de confiance indéfectible en Lui. Israël, dans sa prière, cherche à faire mémoire de toute l’action salvifique de Dieu qui s’enracine profondément dans la libération de l’Egypte.

 

L’Epitre aux Philippiens montre le désir contrastant de Paul qui aurait bien voulu être déjà avec le Seigneur, mais doit plutôt encore rester à travailler dans sa vigne pour le bien de ses destinataires (verset 23). Mais dans l’un ou l’autre cas, c’est la gloire du Seigneur qui prime. L’identification de sa vie au Christ devient ce qui donne sens à tout. Et il œuvre pour que dans la communauté de Philippes, qu’il y soit ou non, le Christ soit pareillement glorifié. Paul devient pour nous le modèle de l’ouvrier dans la vigne, conscient de l’enjeu de sa mission : la gloire du Christ.

 

L’Evangile de ce jour nous rapporte la parabole communément appelée des « ouvriers de la onzième heure ». Normalement, l’Evangile de Matthieu a regroupé les paraboles sur le Royaume des cieux au chapitre 13. Mais cela ne signifie pas qu’on n’en rencontre plus d’autres au long du texte. Le discours du chapitre 13, tout en paraboles, donne un certain relief à cet endroit, mais n’épuise pas le genre « parabole » dans l’Evangile. En fait, la réalité du Royaume des cieux est tellement immense qu’aucun discours ne peut l’épuiser.

 

Comme l’indique bien le titre, la parabole traite de travail. Le mot ouvriers (pluriel) est mentionné trois fois (versets 1.2.8), et s’oppose au manque de travail qui peut aussi être compris comme fainéantise. L’adjectif revient deux fois (versets 3.6). S’il y a travail, qui fait éviter l’oisiveté ou la fainéantise, il s’ensuit logiquement qu’il y a aussi un salaire. C’est autour de ce « tryptique » que tourne la parabole. Des questions surgissent aussi qui restent sans réponse : pourquoi, le Seigneur de la vigne, comme il est appelé vers le milieu de l’Evangile (verset 8), commence-t-il à payer les derniers ?

 

Deux grands moments ponctuent cet Evangile : l’appel au travail (Mt 20,1-7) et la récompense après le travail (Mt 20,8-16). Chacun d’eux donne une idée du Royaume, mais fait appel à l’autre pour obtenir un cadre complet. Dans les deux parties sont mises en relief les actions et les paroles des protagonistes : le maître du domaine et les ouvriers. L’auteur ne perd rien des détails. Il veut par là susciter l’intérêt du lecteur, stimuler sa compréhension et motiver sa décision à travailler lui aussi à la vigne du maître, ou bien accepter sans récriminer la juste récompense concordée au départ.

 

Le maître de maison (verset 1), qui est aussi le Seigneur de la vigne (verset 8), sort pour rechercher des ouvriers en vue de sa vigne. Jusqu’au verset 7, il sortira au total cinq fois. Pour sa vigne, le propriétaire est actif. Il ne se donne pas de repos. Il sort, il traite du salaire, il envoie. Le verbe « envoyer » est celui-là même qui forme le nom d’apôtre ; de sorte qu’un apôtre est un envoyé. Il constate aussi l’oisiveté (verset 3.6), et vraisemblablement lutte contre (verset 6), de sorte qu’il envoie au travail tous ceux qu’il rencontre. Il ne se préoccupe pas seulement de la vigne, mais aussi que les hommes ne soient pas sans rien faire. Le travail est un des problèmes de la société actuelle, et le chômage une gangrène.

 

Le maître est prêt à dialoguer, à adresser la parole à qui il rencontre (versets 2.4.6.7) ; à traiter du salaire avec qui il trouve et envoie (verset 2). Le mutisme n’est pas divin. Dieu parle, appelle, aujourd’hui comme hier ; même sur la place du marché (verset 3), là où apparemment le monde parle à tue-tête, et personne n’entend personne. Par ailleurs, le salaire dont on a concordé ne reçoit pas d’article dans le texte grec (cf. Mt 22,19). Il s’agit d’un denier, une petite monnaie d’argent. Mais c’est aussi un salaire juste (verset 4). Les syndicalistes se réjouiraient bien avec ce patron.

 

Le salaire est reçu logiquement à la fin de la journée de travail (verset 8). C’est dire que le Seigneur n’accumule pas d’arriérés, ne se fait pas attendre ; il  est prêt à donner le salaire sans faire de différence selon les heures de travail ni selon les ouvriers. C’est étrange, à nos yeux ! Mais le Royaume des cieux est semblable (verset 1) aussi à cela. Le salaire que l’on reçoit, en fait, c’est aussi le Royaume lui-même dans sa totalité, et il n’y en a qu’un seul pour tous. Il n’y a pas de « demi royaume ». Quand Dieu donne, il se donne, et c’est tout entier. Le Royaume des cieux est semblable à…

 

La parabole, en outre, laisse une place aussi aux hommes, aux ouvriers que le maître rencontre et envoie ; toutes les fois qu’ils sont envoyés, ils y vont (versets 2.5). Il n’y a pas de refus à travailler à la vigne. C’est comme si les hommes, de leur part, avaient aussi compris l’enjeu de ce travail, dans cette vigne, pour ce maître, à diverses heures de la journée. Mais ils ont parfois, sinon souvent de la peine à comprendre ce Seigneur qui donne autant aux uns et aux autres. Alors, ils pensent que…, et peuvent récriminer, manifester de la jalousie. Les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes, a dit Isaïe. Mais en fait, le Royaume des cieux, c’est la bonté du Seigneur de la vigne qui s’en va chercher, appelle, arrache à l’oisiveté, envoie et enfin donne tout, parce qu’il se donne lui-même. Il est vraiment bon ce maître.

 

                                                                                                                 Abbé Ildevert Mathurin MOUANGA