La loyauté de Dieu obstruée par la méchanceté de l’homme

 

La loyauté de Dieu obstruée par la méchanceté de l’homme (27ème dimanche ordinaire – Année A)

 

 

Textes : Is 5 ,1-7 ; Ps 79 ; Ph 4, 6-9 ; Mt 21, 33-43

 

 

La première lecture (Is 5, 1-7) étale à la lumière du jour un grand contraste qui suscite l’étonnement même de Dieu. D’un côté, le bien-aimé qui prend soin de sa vigne (Is 5,1-2a). De l’autre, la grande surprise que la vigne donne un fruit sauvage (Is 5, 2b). Cet exemple, appliqué à la vie concrète, montre le comportement éthique des habitants de Jérusalem et des hommes de Juda (Is 5, 3.7) ; de tout Israël qui, au lieu du droit que le Seigneur attend de lui, produit l’effusion de sang ; au lieu de la justice, les cris de détresse (Is 5, 7).

 

L’Epitre aux Ephésiens, en même temps qu’il invite à la confiance en Dieu, à qui on doit faire connaître ses prières et ses supplications en même temps que l’action de grâce (Ep 4, 6-7), se prolonge par une exhortation à l’apprentissage et à la pratique de la vertu (Ep 4, 8-9). Il ne suffit pas seulement de prier (ce qui est bien), mais de le faire accompagner d’un vrai apprentissage des vertus et de leur application dans la vie. La vie chrétienne s’accompagne toujours d’un agir chrétien, selon le principe scholastique : « agens seguitur esse ».

 

Le Psaume responsorial (Ps 79/80), tout en reprenant l’image de la vigne que l’on rencontre dans la première lecture et dans l’Evangile, image appliquée à Israël (la vigne qui appartient au Seigneur), réclame la présence, le retour du Seigneur pour la protéger. En même temps, on demande la grâce de la fidélité. Que jamais plus on ne s’éloigne de Dieu. La relation entre Dieu et sa vigne, par ailleurs, remonte de l’Egypte. Dieu s’est acquis la vigne Israël au moyen d’une main forte, d’un bras étendu, c’est-à-dire d’une démonstration de puissance salvatrice. La vigne n’est rien sans son propriétaire.

 

Le texte d’Evangile qui est proposé pour ce dimanche fait suite à la parabole des deux fils envoyés à la vigne, du dimanche dernier (Mt 21, 28-32). Déjà à cette occasion, nous insinuions que ces deux paraboles avaient en commun le contexte de tension entre Jésus et la hiérarchie politico-religieuse juive, ainsi que de contenir une question rhétorique à laquelle l’auditoire doit répondre.

 

La parabole des vignerons homicides met en relief deux attitudes fondamentales s’opposant l’une à l’autre : l’attitude du propriétaire de la vigne, d’un côté, et l’attitude des ouvriers, de l’autre. Le texte peut être scindé en deux moments principaux : la parabole (Mt 21, 33-39) et son application (Mt 21, 40-43). Le récit de la parabole lui aussi comporte deux parties : la description de la vigne (Mt 21, 33). Le propriétaire est l’unique sujet de cette partie. Il plante, creuse le pressoir, construit une tour, cède aux ouvriers, et s’en va. C’est sur ce départ que s’achève la première section de la parabole. La deuxième partie (Mt 21, 34-39) annonce déjà le conflit (mais quand…) : le drame de la vigne. Les divers envois culminent par l’envoi du fils et consacre en dernière instance, en plus de la différence de vues entre le propriétaire et les vignerons, la méchanceté de ces derniers.

 

L’application de la parabole se présente sous forme de dialogue entre l’orateur et son auditoire. La première étape est marquée par l’épreuve de question-réponse (Mt 21, 40-41) ; la seconde, par contre, présente l’enseignement tiré de la réponse de l’auditoire. La conclusion (Mt 21, 43) est cinglante et tragique : le Royaume sera enlevé à Israël et donné aux nations « produisant » du fruit. Il n’y a pas pire pour un peuple comme Israël pour qui le Royaume de Dieu, qu’on attend et qui se réalisera, constitue un élément vital de la foi et de l’histoire.

 

Le début de la parabole est très similaire au chant de la vigne d’Isaïe (Is 5, 1-7). La logique de déception est la même pour les deux cas. Dans le premier, c’est la vigne qui produit du mauvais fruit malgré tous les soins du bien-aimé pour elle. Dans le second, ce sont les vignerons qui se comportent de manière tout à fait étrange, empêchant le propriétaire de recevoir son dû, et, pire encore, en tuant même le fils qu’il envoie pour prendre du fruit de sa vigne. L’application d’Isaïe est aussi intéressante : la vigne du Seigneur, c’est la maison d’Israël (Is 5, 7).

 

« Ecoutez une autre parabole » (Mt 21, 33). C’est ainsi que commence ce passage d’Evangile. Il s’agit probablement d’un simple procédé pédagogique qui attire l’attention des auditeurs, d’autant plus qu’on leur posera une question plus tard pour solliciter leur jugement. Mais on ne saurait perdre de vue que le verbe écouter, qui est employé ici, est celui par lequel le Deutéronome et les prophètes attirent l’attention d’Israël à la parole de Yahvé. « Ecoute, Israël … » (Dt 6, 4) Le chrétien, comme l’Israël d’alors, est appelé à écouter, à prêter attention à la parole de Dieu.

 

Dans la vigne, le propriétaire est le premier agent ; c’est lui qui fait « être » la vigne. Il l’a plantée, il a creusé le pressoir, etc. Sans lui, la vigne n’existe pas. Les vignerons, qui se comportent en véritables assassins, s’opposant ainsi au dessein du propriétaire, n’en sont pas les maîtres. La vigne, ils l’ont reçue en fermage. Un jour, ils devront en rendre compte. L’horizon eschatologique ne peut pas être écarté de cette parabole, comme il ne peut l’être pour notre vie. Le cours de l’histoire et de la vie humaine est tendu vers le retour du propriétaire de la vigne, l’éclosion pleine du royaume de Dieu. La fin est marquée par le retour du Seigneur, comme nous le confessons dans le Credo. Cette fin est aussi le kairos (Mt 21, 34), le moment favorable. Tout comme il peut être le moment du châtiment (Mt 21, 41). 

 

Le drame de la vigne étale au grand jour le contraste entre le dessein de Dieu et le dessein des hommes auxquels cette vigne est louée. Le verbe grec qui le traduit (ek-didômi), à la forme moyenne, a le sens de confier, à l’avantage de celui qui reçoit. La version de Louis Segond traduit avec le verbe « affermer ». Ce qui renforce la méchanceté des vignerons. Et quand ils tuent le fils, l’héritier, pour s’emparer de l’héritage, ils échangent la violence contre la loyauté du propriétaire. Pour cela, ils sont désignés de manière emphatique comme malfaiteurs qui ne méritent que la méchanceté en contrepartie (Mt 21, 41). Bien souvent l’homme se pose en obstacle au dessein de Dieu de qui il a reçu la vigne à faire fructifier. Mais quand il s’oppose à ce dessein, l’homme s’exclut lui-même de la vie de grâce de Dieu. Le royaume de Dieu est présent là où Dieu règne.

 

                                                                                          Abbé Ildevert Mathurin MOUANGA