Ne pas confondre l’ordre divin avec l’ordre impérial

 

Ne pas confondre l’ordre divin avec l’ordre impérial (29ème dimanche ordinaire – Année A)

 

Textes: Is 45, 1.4-6; Ps 96/95; 1 Th 1, 1-5; Mt 22, 15-21

 

Dans la première lecture (Is 45, 1-6), le deuxième livre d’Isaïe montre un acte salvifique divin qui se réalise sous fond de contraste. Cyrus, roi Perse (étranger), reçoit le titre de messie divin que Dieu a rendu fort devant les nations (Is 45, 1). Dieu a choisi Jacob Israël, bien que celui-ci ne le connaisse pas. Mais il est l’unique Dieu en dehors de qui il n’y en a pas d’autre (Is 45, 4). Le monde entier reconnaitra cet acte de salut (Is 45, 6). Le Dieu méconnu (même par Israël qu’il a choisi), opère le salut du côté inattendu : Cyrus, roi païen, et au détour d’une conquête politique de ce roi de Perse.

 

Dans la Lettre aux Thessaloniciens (1 Th 1, 1-5), Paul cherche à faire mention de certaines qualités de cette communauté, comme il le fait souvent à l’ouverture de ses lettres (par exemple 1 Cor 1, 4-9). Parmi les qualités mentionnées se trouvent l’œuvre de la foi, la fatigue de l’amour et la patience de l’espérance (1 Th 1, 3). Les trois vertus théologales se retrouvent ainsi tout au début de cette Lettre comme base de toute vie chrétienne, nécessaires à une communauté et à chaque individu. Ce sont elles qui garantissent et fondent le rapport avec Dieu, en même temps qu’elles proviennent de lui et ont Dieu comme contenu et but.

 

Les paraboles adressées aux chefs du peuple dans le temple de Jérusalem (Mt 21, 23-22, 14) culminent dans la déclaration du nombre réduit des élus, laissant entendre l’auto-exclusion certaine d’Israël (Mt 22, 14). Mais la confrontation de Jésus avec la même classe n’est pourtant pas finie. L’hostilité croissante débouchera sur la passion et la mort. Quand les pharisiens se retirent, c’est pour envoyer leurs disciples sous le signe d’une coalition néfaste avec les hérodiens (Mt 22, 15). C’est l’unique endroit où Matthieu parle de ce parti. Marc, au contraire, le mentionne deux fois (Mc 3, 6 ; 12,13 ; cf. 8, 15), toujours dans un contexte d’hostilité à Jésus. Il est difficile d’en décrire les contours. Mais l’on peut tout simplement dire qu’il s’agirait d’un parti déjà présent à l’époque de Jésus, qui se réclamerait d’Hérode (quel Hérode de façon particulière ? Il est difficile de le préciser), et qui aurait eu probablement quelques idées concordantes avec les pharisiens.

 

La finalité de leur conseil est bien annoncée : tendre un piège (Mt 22, 15). La malice est montrée par le contenu du sujet abordé qui met au devant de la scène la figure du pouvoir politique incarné par l’empereur romain (Mt 22, 17) auquel la Palestine est soumise. Ce recours à l’empereur reviendra aussi dans le procès de Jésus comme un argument de poids pour décider de sa condamnation à mort (Jn 19, 12-15). Et ce sera le sommet de l’hostilité. Les Synoptiques qui ont tous cet épisode de l’impôt à César (Mt 22, 15-22 ; Mc 12, 14-17 ; Lc 20, 22-25) ont ici la plus grande concentration du nom de l’empereur. Déjà, ici, on comprend l’imbrication des deux domaines dont il s’agit : le domaine de César et celui de Dieu.

 

Le discours des envoyés est une déclaration vraie sur Jésus : il est véridique, il enseigne dans la vérité le chemin de Dieu, il ne fait acception de personne (Mt 22, 16). Tout en étant vraie, cette déclaration ne manque pas cependant de malice. Cette déclaration, par ailleurs, semble avoir ses références déjà dans l’Ancien Testament, surtout le livre du Deutéronome où Dieu est justement présenté comme celui qui ne fait acception de personne, qui juge selon la justice et qui demande à l’homme de faire autant (Lv 19, 15 ; Dt 10, 17). L’expression d’origine sémitique signifie littéralement lever la face sur quelqu’un et implique au sens figuré l’estime, la considération, qui peut engendrer une injustice dans une instance judiciaire. Ne pas avoir de préférence est donc une qualité de Dieu lui-même que l’on attribue à Jésus. La stratégie est vraiment insidieuse. La question posée, et c’est cela le piège, cherche à savoir ce qui est droit, ce qui est légitime pour l’israélite d’alors,  et implique le rapport avec la puissance dominatrice romaine. Elle insiste que Jésus se prononce : dis donc (en conséquence de l’éloge précédent), qu’en penses-tu ? (Mt 22, 17)

 

Mais Jésus ne tarde pas à déceler la malveillance de leur démarche (Mt 22, 18). Il ne se laisse pas prendre à un tel piège. Dieu et César ont chacun son domaine respectif. De manière littérale, on dirait : des choses qui leur appartiennent. L’autorité de César n’est pas niée ni remise en question, celle de Dieu non plus. Jésus tient à faire respecter le domaine de compétence de chacun. Aussi la sentence qu’il donne consacrera-t-elle la mission de l’homme dans son appartenance à Dieu à qui il oriente la vie du monde. La réponse de Jésus sur l’impôt à César vise d’abord la séparation des deux domaines : le domaine de César et celui de Dieu. Il n’y a pas de confusion possible, mais ne signifie pas un manque d’intérêt de l’un pour l’autre. La rétribution humaine (c’est le sens du verbe apodídômi) dont les deux (César et Dieu) sont objets reconnaît l’action de l’homme envers Dieu, à qui reviennent la gloire, l’honneur et la puissance, et, simultanément, envers le monde, la société (domaine de César) qui est placé sous le pouvoir de l’homme pour l’orienter vers Dieu.

 

                                                                     Abbé Ildevert Mathurin MOUANGA