Les deux pôles inséparables du principe chrétien de l'amour |
Les deux pôles inséparables du principe chrétien de l'amour (30ème dimanche ordinaire - Année A)
Textes : Ex 22, 20-26 ; Ps 17 (18) ; 1Th 1, 5-10 ; Mt 22, 34-40
Le Code de l’alliance dans son extrait de la première lecture (Ex 22, 20-26) traite de la défense des catégories sociales faibles (l’étranger, la veuve et l’orphelin, le pauvre). La défense de ces catégories sociale est une exigence que les codes législatifs du Pentateuque prennent à cœur, ainsi que les prophètes. Elle est une dimension fondamentale de la religion juive. Cette dimension sera assumée comme telle par le Christ et sera ainsi intégrée dans la religion chrétienne. Nous pouvons avoir ici une vraie application du principe de l’amour qui sera dégagé dans l’Evangile.
La communauté de Thessalonique, dans la deuxième lecture (1Th 1, 5-10), a dû recevoir la parole de l’Evangile dans une situation difficile, faite probablement de persécutions que l’auteur mentionne dès le début. Cela conduit évidemment à l’admiration de leur foi, leur charité et leur espérance, ce dont on a entendu parler le dimanche précédent. L’éloge de la communauté continue avec le fait qu’ils sont devenus un exemple d’accueil de l’Evangile, qui porte nécessairement des fruits.
La fin du Psaume responsoriale (Ps 18/17) loue le Seigneur qui manifeste sa seigneurie à son roi élu en lui donnant victoire après victoire.
L’Evangile de ce dimanche, certainement un des textes les plus connus des Evangiles, parle du plus grand commandement de toute la Loi. Le contexte est celui de la confrontation ouverte entre le Christ et les grandes idéologies religieuses juives de son époque, représentées par les pharisiens et les sadducéens. Les sadducéens sont mentionnés en Mt 22, 23-33 et les pharisiens dans la suite immédiate (Mt 22, 34-45).
Les pharisiens peuvent être considérés comme les partisans d’une idéologie de la stricte observance religieuse. Paul était l’un d’eux, et il se définit lui-même comme un zélé pour les traditions des pères (Ga 1, 14). Les pharisiens croient en la résurrection des morts et en la vie éternelle, contrairement aux sadducéens (Mt 22, 23). Ils accordent beaucoup d’importance à la Loi et sa tradition orale du Talmud. Matthieu les cite beaucoup plus par rapport aux autres groupes religieux (29 fois, dont 6 fois où ils sont qualifiés d’hypocrites). Ceci montrerait probablement aussi leur influence au sein de la société. Quant aux sadducéens (probablement la famille sacerdotale la plus importante), à l’opposé des premiers, n’acceptent que la Torah écrite sans sa tradition orale ; ils refusent la résurrection des morts et la vie éternelle qui ne trouvent pas de base scripturaire dans la Torah.
La question du jour porte sur la Loi, et elle est posée par un homme de la matière (Mt 22, 35), un légiste, un docteur de la Loi. Il connaît le domaine dans lequel il s’engage, de sorte qu’une réponse incorrecte de Jésus devrait être sujette à caution. On comprend alors pourquoi Marc, qui a le même passage, fait dire au docteur de la Loi, après la réponse de Jésus : « Maître, tu as bien parlé » (Mc 12, 32). Jésus, dans ce passage, est considéré comme un rabbi quelconque qui connaît les Ecritures, et, par conséquent, donne des enseignements sur Dieu, sur le comportement. Et, pour cela, il est appelé maître. En même temps, on peut percevoir l’arrière-fond de rivalités entre pharisiens et sadducéens qui, dans ce cas, viennent se répercuter sur Jésus. Le Christianisme naissant et celui de tous les temps doit toujours affronter les idéologies de ce monde, et doit se situer par rapport à elles.
Une question sur la Loi devrait revêtir une grande importance pour le Juif d’alors et même celui d’aujourd’hui. La Torah, que le grec traduit par nomos, constitue la pierre angulaire dont dépendent les Prophètes et les Ecrits (les deux autres composantes de la Bible hébraïque), et aussi les conceptions religieuses juives. C’est elle qui a façonné toute la religion, ainsi que la tradition orale y relative (surtout pour ce qui est des cercles pharisaïques). Cette Loi est reconnue comme ayant été donnée par Dieu à Moïse. Nous sommes donc au cœur de la religion que Jésus aussi est sensé vivre. En même temps, on découvre, à l’époque de Jésus et probablement avant, le désir de résumer la Loi. C’est à cela que les rabbins s’appliquaient. Et, à Jésus, on vient demander la même chose.
La réponse de Jésus est tout enracinée dans la tradition vétérotestamentaire, le Deutéronome (Dt 6, 5) d’un côté, et le Lévitique (Lv 19, 18.34) de l’autre. En filigrane, on perçoit la structuration du décalogue (Ex 20, 1-17 ; Dt 5, 6-21), l’unique loi qu’Israël prétend avoir entendu directement de Dieu sur le Sinaï, qui contient d’une part les exigences envers Dieu, et d’autre part les exigences envers le prochain, et dont les autres lois de la Torah semblent reprendre l’intuition et amplifier, en l’adaptant à des situations toujours mouvantes de la vie d’Israël.
Dans l’exhortation à aimer le Seigneur (Mt 22, 37 ; cf. Dt 6, 5), on peut noter la répétition du terme de la totalité (tout). L’amour de Dieu est de l’ordre de la totalité. Le Dieu qui a sauvé Israël est celui qui lui a donné l’existence et qui se donne tout entier à l’homme par Jésus-Christ. Aussi l’acte d’amour de l’homme envers Lui s’exprime-t-il de manière totale. Matthieu, tout en relisant le texte hébreu, le change un peu sur le troisième substantif. Là où le texte hébreu parle de la « totalité de la force » (que la version grecque traduit avec l’équivalent « totalité de la puissance »), l’Evangile, de son côté, lit « totalité de l’intelligence » (cf. Mc 12, 30). Luc, par contre, traduit « force » (Lc 10, 27). Quoiqu’il en soit, les termes se réfèrent à la totalité de l’intérieur de l’homme, c’est-à-dire ce qu’il est au plus profond, ce qui le caractérise en profondeur. Et c’est à la profondeur de l’être humain que s’enracine l’amour de Dieu.
Le commandement du Lévitique, situé au début du code de sainteté (Mt 22, 39 ; cf. Lv 19, 18), se trouve dans une période où sont interdits la vengeance et la rancune. Voilà le domaine dans lequel il faut comprendre l’amour du prochain. Un amour qui dénoue vengeance et haine au nom de Yahvé. C’est là que finit tout le commandement : « je suis le Seigneur ». Il ne s’agit pas d’action humaine sans leur source véritable et leur but ultime.
Quel serait, par ailleurs, l’intention de l’Evangile en parlant d’un premier commandement qui est aussi le plus grand (Mt 22, 38) et d’un second qui lui est semblable (Mt 22,39) ? La question posée à Jésus ne consiste qu’à donner le premier commandement, donc le plus important, duquel dépendent tous les autres. Il est difficile de connaître la vraie intention des auteurs de l’Evangile. Nous ne pouvons que faire des considérations, des conjectures. La considération que nous proposons est celle de vouloir donner le principe de l’amour dans son entièreté. Ainsi l’amour chrétien comprend nécessairement une double dimension : Dieu et le prochain, avec la particularité que le second, reconnu comme semblable au premier, tient du premier dont il découle.
Abbé Ildevert Mathurin MOUANGA
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