Intervention de Mgr Louis PORTELLA au Synode sur la Parole de Dieu

 

 

Sa Sainteté le Pape Benoît XVI avait convoqué un synode sur la Parole de Dieu. Ce synode a eu lieu au Vatican, à Rome, du 5 au 26 octobre 2008, sous le thème : « La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église.» Mgr Louis PORTELLA MBUYU, Evêque de Kinkala et Président de la Conférence Episcopale du Congo, y a pris part pour le compte de l’Eglise Catholique qui est au Congo. Nous publions ici sa contribution à cette Assemblée synodale.

 

 

LE SERVICE DE LA PAROLE DE DIEU COMME ATTENTION A L'HOMME ET A SON CONTEXTE

 

Lorsque nous parlons de « La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Eglise », nous évoquons une réalité centrale de notre foi, car il s’agit de cette Parole qui est le contenu principal de la Révélation divine, Parole que l’Eglise « écoute religieusement et proclame hardiment » (DV 1), Parole objet de notre accueil, de notre amour, de notre annonce et de notre service.

 

Pour nous, membres des Eglises d’Afrique, nous ne pourrions pas ne pas aborder ce sujet sans avoir un double regard : d’abord un regard rétrospectif sur l’Assemblée Générale de la Fédération des Biblistes Catholiques qui a eu lieu du 24 juin au 3 juillet dernier à Dar es Salam (Tanzanie), sur le thème : « La Parole de Dieu, source de réconciliation, de justice et de paix », dont la déclaration finale au numéro 16 stipule : « Nous lançons un appel pour un usage renouvelé de la Bible en vue de promouvoir la réconciliation, la justice et la paix. Mis en demeure par la Parole de Dieu, nous ne pouvons que condamner les maux qui provoquent la violence et l’injustice dans notre monde. Nous nous engageons et invitons les autres à nous rejoindre dans notre combat pour un monde juste et pacifique.» Ensuite, nous avons à porter un regard prospectif en direction de la prochaine Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique qui aura lieu ici même dans un an sur le même thème : « L’Eglise en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix. “Vous êtes le sel de la terre … Vous êtes la lumière du monde” (Mt 5, 13.14). » Ces deux points de repères guideront notre réflexion.

 

La situation sociale de l’Eglise au Congo-Brazzaville, outre les conflits internes qui ont eu un grand impact négatif sur la vie nationale, est caractérisée par un pullulement de nouveaux mouvements religieux, dénommés couramment sectes. Ils nous interpellent dans la mesure où ils développent une certaine lecture de la Bible qui pose problème. Ils peuvent être regroupés grosso modo en deux catégories. D’une part, les mouvements nés de la contestation d’un christianisme européen facilement assimilé à la colonisation. Ceux-ci sont, en fait, une survivance de la religion traditionnelle. Ils pratiquent une lecture d’orientation « libératrice » de la Bible, tout en faisant appel sans discernement à des éléments de la religion traditionnelle africaine, et ils se présentent ainsi comme une contre-réaction face à un christianisme qu’ils considèrent comme un processus de négation de l’identité africaine ; ils symbolisent ainsi une certaine conquête de la dignité africaine, allant parfois jusqu’à proposer une figure messianique du terroir. D’autre part, il y a les mouvements actuels, ramifications du pentecôtisme d’origine américaine. Ceux-ci par contre prônent une lecture de type fondamentaliste et même magique, dont une des conséquences majeures est la démobilisation des consciences par rapport aux problèmes concrets de l’homme et de la société. Le drame est d’autant plus grand que les populations concernées représentent la couche sociale la plus active et la plus vulnérable.

 

A côté de ces mouvements qui se distinguent par le nombre toujours croissant des adeptes, se situe une autre catégorie : les mouvements d’orientation ésotérique et gnostique venus d’Orient ou d’Occident, qui se distinguent par une lecture idéologique de la Bible. Ils recrutent leurs membres surtout dans l’élite du pays, chez des personnes en quête d’un certain accomplissement humain. Ils sont en fait révélateurs d’un déficit grave de formation spirituelle et doctrinale et d’une méconnaissance flagrante du message de la parole de Dieu qui pourtant révèle un projet merveilleux de salut, de réalisation de l’homme, bien au-delà de ce à quoi il pourrait aspirer (cf. Ep 1, 3-11).

 

Outre cette situation complexe des lecteurs de la Bible dans la société congolaise, il faut aussi souligner le mal développement endémique, caractéristique de la plupart des pays d’Afrique, qui fait parfois désespérer de l’avenir et qui amène beaucoup de gens à s’installer dans une sorte d’anesthésie de la conscience collective. Voilà en partie le contexte dans lequel l’Eglise est appelée à être servante et témoin de la Parole de Dieu.

 

Il sied de relever une difficulté majeure : le manque de traduction de la Bible dans beaucoup de langues congolaises ; l’accès à la Parole de Dieu n’est réservé qu’à une population réduite, la population scolarisée. Néanmoins, les textes liturgiques et ceux des catéchismes suppléent, autant que faire se peut, à cette grande carence. C’est dire combien nous avons à nous investir de manière urgente dans ce domaine prioritaire de l’apostolat biblique qu’est la traduction. Déjà des diocèses y travaillent sérieusement mais la tâche est encore immense, et c’est une condition sine qua non de l’inculturation. Nous n’arriverons jamais en effet à l’enracinement de la foi dans notre culture si la Parole de Dieu ne peut nous rejoindre avec les mots qui sont les nôtres. C’est aussi l’occasion de souligner l’action admirable de l’Alliance Biblique.

 

L’urgence se fait sentir d’aider, d’encourager les fidèles à lire la Parole de Dieu, à la méditer avec la conviction profonde qu’elle est susceptible de renouveler, de transformer et même de recréer l’être profond du lecteur ou de l’auditeur africain (Instrumentum Laboris 41) qui, aujourd’hui encore, porte les séquelles d’un lourd passé. Et, à ce propos, il est urgent que soit mis à la portée des fidèles de tous les niveaux des éléments de connaissances bibliques permettant une lecture plus avertie et, partant, plus féconde de la Parole de Dieu.

 

Notre lecture de la Bible doit aussi et surtout susciter la prise de conscience vis-à-vis de la situation concrète de notre société. En effet, la mise en pratique de la Parole de Dieu (Lc 8, 21) ne se limite pas à l’effort de sanctification personnelle, elle concerne aussi l’engagement pour la transformation de la société selon les principes évangéliques. Et les Pères synodaux, à ce propos, en 1971, avaient déclaré que le combat pour la justice et la transformation du monde leur apparaissait comme une dimension constitutive de l’Evangile (Message du Synode sur la justice et la paix). C’est d’ailleurs ainsi que le service de la Parole de Dieu s’accomplira non seulement dans sa dimension de kerygma-martyria et de leiturgia, mais aussi dans sa dimension de diakonia (Deus Caristas Est 23 ; Instrumentum Laboris 39). Ces deux préoccupations de l’inculturation et de l’engagement au service de la justice devaient être considérées comme des aspects essentiels du témoignage que le croyant, qui écoute et accueille la Parole de Dieu, doit apporter au monde. En fait, elles se rejoignent, car le salut de Dieu manifesté en Jésus-Christ concerne les réalités aussi bien culturelles que sociopolitiques de l’homme. Et leur nécessité a été soulignée par l’Instrumentum Laboris 7c et 19.

 

Conclusion

Aujourd’hui se fait encore plus fort l’écho du mystère de l’incarnation qui résonne par ces mots de l’Evangile : « Le Verbe s’est fait chair et a habité au milieu de nous » (Jn 1, 14). Dans la logique de cette incarnation, notre écoute, notre accueil et notre service de la Parole de Dieu devraient favoriser l’émergence d’une culture et d’un monde transfigurés par l’Evangile, d’une culture et d’un monde où l’homme est réconcilié avec Dieu, avec lui-même, avec ses frères, avec la nature. Et les fidèles laïcs, de par le caractère séculier de leur vie, ont à ce titre un rôle irremplaçable qui devrait découler de leur fréquentation assidue de la Parole de Dieu, lue et méditée, conformément à la foi et à l’enseignement de l’Eglise, et se manifester en témoignage cohérent de vérité, d’amour, de justice et de paix. C’est un grand défi.

 

                                                                                             Mgr Louis PORTELLA MBUYU

                                                                                             Evêque de Kinkala

                                                                                             Président de la Conférence Episcopale du Congo