Interview de Mgr Louis PORTELLA MBUYU

 

Interview de Mgr Louis PORTELLA MBUYU

 

Venu à Rome pour participer à l’Assemblée ordinaire du Synode des Evêques sur la Parole de Dieu dans la vie de l’Eglise, du 05 au 26 octobre dernier, Mgr Louis Portella Mbuyu, Evêque de Kinkala, Administrateur Apostolique d'Owando et Président de la Conférence Episcopale du Congo-Brazzaville, a bien voulu nous accorder cette interview dans laquelle il aborde les enjeux de la Parole de Dieu dans l’Eglise du Congo, le bilan sur les 125 ans d’évangélisation du Congo, ainsi que la question de la paix et de la reconstruction du diocèse de Kinkala, dans le département du Pool.

 

I. M.: Excellence Monseigneur, d’abord un grand merci pour avoir bien voulu nous accorder cet entretien. Je pense que les internautes qui visitent le site de notre diocèse pourront y voir ces paroles de notre pasteur. La première question que nous aurions bien voulu aborder avec vous  concerne le synode auquel vous participez comme représentant de l’Eglise du Congo ; un synode dont le thème est la Parole de Dieu dans la vie de l’Eglise. Quelles sont les idées que ce synode vous inspire pour notre Eglise du Congo ?

 

Mgr Louis Portella : La question est lourde ; elle est riche. Il y aura tellement de choses à dire par rapport à ce synode. Effectivement, je pense que ce synode est un moment de grâce pour l’Eglise tout entière et pour notre Eglise qui est au Congo, parce qu’il nous remet devant cette urgence, devant cet impératif premier de la vie en Eglise. C’est que nous sommes d’abord des auditeurs de la Parole. Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent ou la mettent en pratique. Et je crois que la foi vient justement de l’écoute ; « Fides ex auditur », comme disent les Ecritures. Et donc, ce que nous découvrons au cours de ce synode, c’est d’abord cette urgence, cet appel qui est adressé à chaque membre de l’Eglise d’être un auditeur de la Parole, d’être un amoureux de la Parole, et donc de fréquenter la Parole. Que cette Parole devienne une nourriture. Comme le dit l’ange à Jean, ou comme le dit aussi Dieu au prophète Ezéchiel : « prends et mange-le. Il sera à la fois doux comme le miel, et en même temps amère ». Parce que, cette Parole, à la fois nous fait connaître Dieu ; et donc toute la beauté de Dieu, toute la beauté du projet de Dieu sur l’homme. En même temps elle nous fait connaître ce que nous sommes, et donc la nécessité pour nous de nous convertir, pour pouvoir être à la hauteur de ce projet de Dieu sur nous.

 

Sur le plan pastoral, la première urgence consistera à amener les chrétiens à fréquenter la Parole. C’est d’ailleurs le mot d’ordre que j’ai donné dans mon propre diocèse : que dans toute réunion, dans toute rencontre, tout commence par l’écoute et la méditation de la Parole de Dieu de manière systématique. Que ce soit les groupements, les mouvements, les services, que ce soit les réunions pastorales des prêtres, religieux, religieuses, etc., qu’à chaque rencontre nous commencions par la Parole de Dieu ; parce que la Parole de Dieu est première.

 

Pour cela, le problème des traductions se posera. Que le peuple de Dieu ait accès à la Parole de Dieu. Cela pour nous est un problème. Il y a quelques avancées. Mais on peut dire, de manière générale, au niveau du Congo, qu’il y a encore beaucoup à faire. Le problème ne se pose pas en Français. Mais pour essayer de reprendre nos langues, que ce soit les langues qu’on pourrait appeler véhiculaires, dont les deux langues principales du Congo : le lingala et le munukutuba… Pour le lingala encore, nous avons toutes les chances de bénéficier de tous les services de traduction qui existent en RDC. Quant au munukutuba, nous sommes encore en retard ; et c’est un retard qui n’est pas normal. Il faudrait que nous réagissions de la manière la plus vigoureuse, la plus rapide concernant le munukutuba. Dans certaines langues vernaculaires, il y a aussi un effort qui se fait. Par exemple, dans la région du Pool, avec la langue lâdi, il y a tout un travail qui a été fait du point de vue de la traduction du Nouveau Testament. C’est un pas important. Nous attendons actuellement la publication de cette traduction réalisée avec le concours de l’Alliance Biblique et de la SIL (la Société de linguistique). Le problème se pose donc à ce niveau là.

 

L’autre problème qui se posera est celui des outils pédagogiques, pour introduire les gens à comprendre l’Ecriture ; parce qu’elle est nécessairement objet d’interprétation. Il ne s’agit pas de la lire de manière aussi facile comme le font les Nouveaux Mouvements Religieux, les sectes, avec cette tendance fondamentaliste. Mais il faut la lire en tenant compte du contexte historique, culturel, etc. Il y a certainement des introductions à proposer pour que le Peuple de Dieu sache de quoi il s’agit quand il lit un texte, quand il le médite. Il y a donc un travail à faire et ce travail est vraiment urgent. C’est d’ailleurs une grâce du Concile de redécouvrir l’importance de la Parole de Dieu comme fondement de la vie de l’Eglise.

 

Il est clair pour nous que la Parole de Dieu est à mettre en lien avec le sacrement de l’Eucharistie où Dieu lui-même s’est rendu présent. Mais il est aussi présent dans cette Parole. Comme le dit Sacrosanctum Concilium au numéro 7 : « c’est lui qui parle tandis qu’on lit les Ecritures ». Il y a donc cette présence qu’il faut réellement « resouligner » au sein de l’Eglise. Voilà ce que je peux dire à chaud par rapport à ce Synode sur la Parole de Dieu qui, certainement, aura des répercussions profondes dans l’Eglise.

 

I.M. : Nous allons aborder un autre volet concernant l’Eglise du Congo qui vient de fêter ses 125 ans de l’évangélisation. Peut-on parler de bilan et de perspectives d’avenir après toutes ces célébrations ?

 

Mgr Louis Portella: Dans un moment important comme celui que nous avons vécu au Congo ces derniers temps, il y a un regard qu’il faut poser sur les 125 ans d’évangélisation de notre Congo. De manière plus précise, parlons plutôt de ces dernières 25 années, parce que nous avons célébré en 1983 le centenaire qui a beaucoup marqué l’histoire de notre pays. Dans l’ensemble, il faut dire qu’il y a eu toute une progression, une croissance de notre Eglise. Cette croissance se manifeste particulièrement dans le nombre de prêtres. Aujourd’hui, nous pouvons dire que nous sommes parvenus à plus de 400 prêtres. Encore faut-il ajouter le nombre de ceux qui sont engagés dans plusieurs congrégations religieuses, missionnaires, etc., et qui ne travaillent pas au Congo, mais plutôt à l’extérieur. On peut parler de 400 à 410 prêtres. Du côté des religieuses aussi, c’est la même chose ; nous avons plus de 800 religieuses congolaises. Du côté de la hiérarchie, si l’on peut parler ainsi, il y a eu une augmentation des circonscriptions ecclésiastiques. Quand nous avons célébré le centenaire en 1983, le Pape Jean Paul II s’était mis un peu à ironiser gentiment à l’endroit des trois évêques congolais qui étaient venus le voir, en disant qu’ils constituaient la plus petite conférence épiscopale du monde. Après la célébration de ce centenaire, nous sommes, aujourd’hui, à 7 circonscriptions ecclésiastiques, dont six diocèses et une préfecture apostolique. Et nous pensons que dans les années à venir des diocèses vont être créés. Donc il y a un progrès dans ce sens. Mais là nous ne nous situons uniquement qu’au niveau de la quantité des personnes.

 

Il faut aussi souligner qu’il y a une prise de conscience de plus en plus croissante de la part des laïcs. Ceux-ci sont devenus de plus en plus conscients de leur place dans l’Eglise, et beaucoup prennent des responsabilités. Mais il faut peut-être dire que nous ne répondons pas encore comme il le faudrait à l’attente des laïcs qui sont disponibles pour beaucoup de choses au sein de notre Eglise.

On peut aussi souligner, dans le cadre du bilan, l’action de l’Eglise au sein de la société. Entre temps, nous avons eu la grâce de pouvoir reprendre la tâche de l’éducation au sein de notre pays. C’est encore modeste, mais déjà les fruits se font remarquer. Il y a des écoles qui se créent, des lycées qui commencent à se créer. Je peux dire que les gens n’attendent que cela, sachant ce que l’Eglise a été capable de faire dans ce domaine dans le passé.

 

Dans le domaine caritatif aussi, l’Eglise a toujours été présente et aussi dans le domaine sociopolitique. Ces derniers temps, il faut le reconnaître, l’Eglise a pesé de tout son poids dans l’évolution économique, si vous voulez, de notre pays. Il y a eu, par exemple, la question des ressources minières, ou à propos par exemple du pétrole, l’Eglise a été emmenée, en lien avec l’Eglise évangélique (donc des Eglises de l’œcuménisme) et la société civile, à essayer d’attirer l’attention de nos responsables sur la gestion du pétrole. Je crois que cela n’est pas resté lettre morte, puisque à partir de ce plaidoyer et à partir aussi de l’action des institutions internationales, notre pays a accepté d’entrer dans ce concert de ce qu’on appelle l’initiative de la transparence des industries extractives, etc. Il y a du travail qui a été fait. Mais beaucoup reste à faire.

 

Comme perspectives, ce que je soulignerai d’abord, c’est, comme le dit le Pape Jean Paul II dans Novo Millenio Inneunte, cette perspective d’évangélisation est d’abord une perspective d’appel à la sainteté. Le Pape Paul VI, dans Evangelii Nutiandi, dit justement que l’Eglise, qui doit évangéliser, doit commencer par s’évangéliser elle-même. Et donc on peut dire que la responsabilité que nous avons aujourd’hui, si nous voulons être témoins fidèles de l’Evangile, c’est d’abord que nous-mêmes nous soyons de véritables témoins. Dans ce sens, le premier appel que nous avons à nous adresser, c’est l’appel à la conversion, l’appel à la sainteté. Je crois que c’est l’impératif premier et fondamental. Ensuite, ce que nous pouvons constater aussi, c’est qu’au niveau des fidèles laïcs, cela est sûr, il y a une montée dans la prise de conscience de leur responsabilité au sein de l’Eglise. Mais leur responsabilité ne se réduit pas à l’intérieur de l’Eglise. Cette responsabilité est aussi dans le monde. Comme on le dit, la mission du laïc est une mission et dans l’Eglise et dans le monde. Le caractère séculier qui est leur identité propre fait qu’ils ont à porter l’Evangile jusque dans les structures séculières du monde. Que ce soit dans la famille, que ce soit dans l’économie, ou dans la politique, etc. Ce qu’il faut reconnaître, c’est que dans le domaine politique, dans les lieux de décisions, qui engagent l’avenir d’une société, nos fidèles laïcs sont très peu présents. Là-dessus, nous avons beaucoup à travailler, pour que nos fidèles soient formés dans ce sens, qu’ils puissent peser sur l’avenir d’une société. C’est un travail que nous trouvons important.

 

Par rapport à ce qui précède, le problème est que beaucoup de laïcs qui ont été formés dans le giron de l’Eglise, ont pris des orientations philosophiques complètement différentes, en s’affiliant à des sociétés ésotériques ; en quête de l’accomplissement, de la réalisation de soi. C’est comme s’ils n’avaient pas trouvé dans l’Eglise ce à quoi ils aspiraient. Et pourtant, l’Eglise devrait normalement apporter une réponse à leur soif. Nous nous sentons vraiment très interpellés dans ce sens.

 

I.M. : Venons-en maintenant au territoire dont vous avez la charge, le diocèse de Kinkala qui a connu des troubles politiques ces dernières années. Quelle est l’évaluation de la situation actuelle, et comment le diocèse entend-il s’investir dans la reconstruction de ce département pratiquement meurtri ?

 

Mgr Louis Portella : Quelle évaluation nous pouvons faire aujourd’hui ? Disons, en gros, que nous sommes comme à mi-chemin. Il y a tout une évolution qui a pu être vécue, dans le sens que nous sommes arrivés à un stade où les armes ne crépitent plus. Effectivement, entre les forces gouvernementales et la milice qui sévit dans la région, il y a eu des accords de paix et de cessation des hostilités. Cela ne suffisait pas, bien sûr. A partir de là, il y a eu beaucoup de démarches engagées, puisqu’au sein du gouvernement, il y a eu des commissions, des comités mis en place pour régler ce problème ; pour aller jusqu’au bout du règlement du problème. C’est là aussi que l’Eglise, à travers, pratiquement, l’Evêque – et non seulement l’Evêque de Kinkala, mais aussi celui de Brazzaville – s’est engagée de manière beaucoup plus directe dans une organisation où il y avait des personnalités de la société civile, des personnalités politiques du Pool, pour essayer de régler ce problème. Nous semblions parvenir au règlement du problème. Au mois de juin 2007, nous avons célébré la journée de la destruction des armes. Une destruction symbolique, bien sûr, mais toujours est-il que cela constituait un pas. En même temps, a été organisée une réunion de concertation des fils et filles du Pool. Laquelle réunion a donné lieu à une nouvelle organisation que nous appelons l’Observatoire de mise en œuvre des décisions de la concertation, où, d’ailleurs, nous entendons contribuer au relèvement de la région à travers un certain nombre d’initiatives et d’organisations dans le sens du développement, dans le sens de la régulation de l’action politique, etc.

 

Mais toujours est-il que le problème demeure jusqu’à maintenant, dans la mesure où les jeunes n’ont pas encore déposé les armes. Nous avons bénéficié de l’aide de la Banque Mondiale pour la réinsertion des jeunes. Cette aide, d’ailleurs, ne se circonscrit pas seulement aux jeunes ex- combattants du Pool, mais aussi à l’ensemble de la nation ; puisque l’aide était prévue pour 31.000 jeunes, dont 5.000 pour le Pool. En fait, nous en sommes là. Nous avons célébré ensemble le lancement de ce programme national pour le désarmement, la démobilisation et la réinsertion (PNDDR), le 9 juin 2008. Malgré cette célébration, nous sommes encore presque au point zéro. Jusqu’à maintenant rien ne se fait. Cela nous inquiète. Mais toujours est-il que nous ne désarmons pas, et nous continuerons à travailler pour que réellement on aboutisse à ce désarmement total. Il est sûr qu’aujourd’hui, il y a moins de danger, parce qu’il y a de plus en plus d’apaisement à l’endroit des jeunes. Mais le risque est toujours là, étant donné qu’ils sont toujours en possession de leurs armes. En fin de compte, le problème se situe là.

 

A côté de cela, parce que ce n’est qu’un préalable, ce n’est pas un but, le désarmement, le grand problème c’est la reconstruction de la région, la reconstruction économique. Dans ce sens, le diocèse entend participer à sa manière. En cherchant d’abord à réhabiliter ses propres structures. De ce côté-là, le chantier est encore ouvert. Le problème pour le moment est d’abord d’arriver à réhabiliter nos structures qui ont été détruites au cours de ces périodes tristes, et ensuite, de participer, d’une manière ou d’une autre à cette reconstruction. Dans l’observatoire de la mise en œuvre des décisions de la concertation, il est prévu de mettre en place une agence de développement et un conseil de développement, pour essayer d’associer le plus de monde possible à la reconstruction de la région. Mais tout cela est encore d’une manière qu’on peut appeler inchoative. Ce n’est encore qu’au début. D’abord l’observatoire lui-même, bien sûr est reconnu au niveau de l’administration du territoire comme une organisation avec récépissé, entend travailler dans ce sens là.

 

I.M. : Après avoir abordé tous ces aspects, nous vous demanderons, si vous voulez bien, en conclusion de cet entretien, de dire un dernier mot ; tout en vous remerciant pour votre disponibilité, en souhaitant aussi que le Seigneur bénisse toutes vos initiatives.

 

Mgr Louis Portella : Le mot que je voudrais adresser, c’est d’abord un mot de remerciement pour tous ceux qui s’intéressent au diocèse de Kinkala, et qui donc ont accès à ce site. Merci pour cet intérêt, merci pour toutes les initiatives et toutes les idées qui peuvent germer de ce contact avec ce site du diocèse de Kinkala. D’abord cela.

 

D’autre part, dans la mesure où en s’intéressant au diocèse de Kinkala, on s’intéresse au sort de ce diocèse, le message que je voudrais adresser, est d’abord un message d’espérance. Tant que les hommes sont vivants, la possibilité de vivre plus pleinement leur est toujours accordée. Et donc quelle que soit la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, à partir du moment où les hommes vivent, il y a possibilité de changer le cours de l’histoire.

 

En fin de compte, tous ceux qui ont accès à ce site doivent se considérer comme faisant partie de ma famille, avec comme une sorte de complicité, la complicité de l’espérance, complicité d’une volonté ferme pour que ce diocèse et la région dans laquelle ce diocèse se trouve, puissent se relever, puissent se mettre debout. C’est un défi, mais un défi que le Seigneur nous donne de relever, parce que lui est la vie et nous donne justement d’être des vivants. A travers des initiatives, à travers des idées, à travers des propositions de partenariat, nous serons capables de relever cette région, de relever ce diocèse.

 

                                                     Propos recueillis par Ildevert Mathurin MOUANGA