Le primat de l'amour

 

Le primat de l’amour  (Solennité du Christ Roi de l'Univers)

 

 

Textes : Ez 34, 11-12.15-17 ; Ps 22/23 ; 1 Co 15, 20-26.28 ; Mt 25, 31-46

 

 

L’Église fête aujourd’hui la solennité du Christ Roi de l’univers. L’Évangile retenu pour la circonstance montre que le choix de célébrer cette fête au terme de l’année liturgique n’est pas fortuit. À la lumière de son message, l’Église nous place dans la dynamique de la relecture de l’année qui s’achève. La fin d’une année, aussi bien civile que liturgique, est un moment important pour visiter ou revisiter notre passé, afin de nous situer face à l’avenir. Elle est une occasion qui s’offre à nous pour nous interroger sur le fil conducteur qui a orienté notre vie d’union à Dieu et qui a inspiré nos choix de vie ou de mort. L’Évangile d’aujourd’hui s’y prête parfaitement. Il se présente comme une lumière jetée sur nos vies et sur la nature du Christ Roi. Cette lumière nous est donnée à travers l’image du jugement dernier. La description prophétique de cet événement attire notre attention sur trois points : la venue du Christ comme un Fils de l’homme investi du pouvoir de jugement, le primat de l’amour en fonction duquel nous serons jugés, le rapport entre la vie présente du chrétien et la fin des temps.

 

1- Le premier enseignement du texte est celui de la venue future du Roi (vv. 31-33). Il va venir dans sa gloire, et le texte l’identifie au Fils de l’homme. Le but de sa venue est clairement exprimé. Il vient pour juger tous les vivants de la terre. Le jugement qu’il exercera sur les nations sera public. Rien ne se fera dans l’ombre, tous les témoins pourront assister et apprécier la droiture et la justice du Roi. Cependant, même si ce jugement est global et universel, le juge s’intéresse tout de même à chaque homme individuellement. L’image de la séparation en indique le sens et le caractère.

 

L’acte de juger est décrit suivant la symbolique du berger. Il consistera en un tri entre les bons et les mauvais, représentés respectivement par les brebis et les chèvres. En Palestine, le berger paissait les brebis et les chèvres ensemble. Mais à la tombée de la nuit, il les séparait. Il mettait les brebis à l’abri, probablement en raison de leur fragilité. La symbolique du berger nous a déjà été donnée dans la première lecture. Elle nous présente Dieu comme un berger face à son troupeau abandonné, accablé, maltraité et malade (Ez 34,10-12.15-17.30-31). Le Seigneur s'engage à le guérir, à le fortifier et à le protéger. Dans l’Évangile, le Fils de l’homme est, pareillement, comparé à un berger doté d’un pouvoir exceptionnel de discernement dont le but est de favoriser et de garantir la victoire du bien sur le mal.

 

Après sa description formelle, Matthieu précise le contenu ou la matière du jugement. Il dit aux chrétiens : voilà sur quoi vous jugera le Fils de l’homme, lors de la manifestation de sa souveraineté. Et, la règle de base placée au centre de ce jugement est celle de l'amour.

 

2- Le deuxième point d’attention du texte est donc celui du primat de l’amour. La communauté de Matthieu comportait assurément des membres qui manquaient de zèle pour les pauvres.  Dans le texte, l’essentiel dans la pratique de l’amour est résumé dans les versets 35-36 : « Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire; j'étais un étranger et vous m'avez recueilli; nu, et vous m'avez vêtu; malade, et vous m'avez visité; en prison, et vous êtes venus à moi ». Nous voyons donc que le texte place l’accueil et l’amour des pauvres au cœur des œuvres que les chrétiens doivent accomplir. Matthieu nous présente ces pauvres comme les frères du Juge : « chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits, qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait ! » (v. 40). Ces frères à qui le Fils de l’homme s’identifie sont décrits comme les « plus petits ». Le texte emploie ce superlatif pour bien souligner leur fragilité et leur pauvreté. Il est donc évident que, pour Matthieu, la foi chrétienne est un agir qui se résume dans l’amour du prochain.

 

Si l’Évangile identifie le Christ aux pauvres de la terre, c’est pour aider la communauté chrétienne à discerner dans le prochain la présence cachée du Seigneur. Aimer et servir le prochain, c’est aimer et servir le Christ. Le choix préférentiel du Christ pour les pauvres révèle finalement que le fondement de son pouvoir est l’amour. Il s’agit d’un pouvoir au service des hommes, un pouvoir qui libère la puissance d’aimer, tenue captive au fond des coeurs.

 

À la différence du texte du dimanche dernier qui insistait sur le départ du Maître en voyage (Mt 25,14-30), l’Évangile d’aujourd’hui nous montre que le long temps de son absence est devenu le moment de sa mystérieuse présence dans les « plus petits ». Le Roi des temps eschatologiques n’est pas absent, Il est là en tous les démunis, les exclus, les prisonniers, les malades, les sans abris, les affamés de la terre. Les chrétiens qui se sont dévoués pour eux découvrent étonnement que c’est le Maître lui-même qu’ils ont soulagé. Ils deviennent par conséquent les élus de Dieu pour la joie éternelle. Quant aux égoïstes, ceux qui s’enferment dans leur amour propre, le Roi leur réserve la récompense à la mesure de leur manque d’amour. Ils sont voués au feu éternel dans la géhenne.

 

L’enseignement de Matthieu a donc pour objectif d’encourager les fidèles à s’associer au combat du Christ pour les pauvres. De ce fait, en prenant part, dès aujourd’hui, à sa propre royauté qui est de servir, ils seront, dans et pour l’éternité, les bénis de son Père, destinés à recevoir « en partage le Royaume qui leur a été préparé depuis la fondation du monde ».

 

3- Le troisième point de mire de l’enseignement du texte est celui du rapport entre la vie présente des chrétiens et la fin des temps. Matthieu met sa communauté face à l’échéance du jugement ultime, non pour lui faire peur, mais pour l’inviter à vivre le temps présent à la lumière de l’Évangile. Ses membres sont appelés à être, dans le présent, de bons gérants, occupés à faire advenir le Règne d’amour de Dieu. Car l’aujourd’hui, vécu à la lumière de l’Évangile, contribue à tisser la toile de leur bonheur éternel.

 

En somme, dans la perspective du texte, la destinée finale du chrétien se jouera dans la profondeur de la pratique de l’amour dans le présent. En cette fin d’année liturgique, Matthieu nous interpelle ainsi sur notre engagement au service de l’amour. Il nous renvoie à « ces milliers de Christs » qui, à travers le monde, ont faim, soif, sont en emprisonnés …. Tous ceux-là qui attendent de nous aujourd’hui un petit grain de charité. Mais face aux multiples formes de misère qui minent nos sociétés, sommes-nous en mesure de dire que nous savons reconnaître le Christ dans les plus pauvres que nous ? Que faisons-nous du don parfait de l’amour du Seigneur qui a « été répandu dans nos coeurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5) ?

 

                      Sœur Judith MASSENGO

                      Religieuse de la Divine Providence de Ribeauvillé