Eucharistie et Ecologie: protection de l'environnement et responsabilité chrétienne

 

 

Eucharistie et Ecologie: protection de l'environnement et responsabilité chrétienne

 

 

Le changement climatique a placé l’écologie parmi les problèmes prioritaires du moment. La crise écologique est en effet devenue une préoccupation universelle, en ce sens que tous les pays, quel que soit leur emplacement géographique ou leur degré  de développement, en ressentent les effets. Ce sujet d’actualité a inspiré l'abbé Wenceslas Daleb Mpassy qui, pour son mémoire de licence canonique (Baccalauréat de Théologie), présenté en juin 2008 au grand séminaire de Théologie Saint Jean-Baptiste de Ouagadougou (Burkina Faso), a choisi de traiter le thème suivant : « Eucharistie et Ecologie: protection de l'environnement et responsabilité chrétienne. » Il nous livre ici quelques pistes de réflexion qu’il a abordées dans son mémoire.

 

1. Problématique écologique

 

L’écologie est, en effet, un signe des temps pour le monde et pour l’Eglise. Elle pose à l’Eglise une question qui est loin d’être entendue dans toute sa profondeur révolutionnaire. "Révolutionnaire pour la Foi Chrétienne, que l’écologie incite à un retour aux sources en même temps qu’à un surgissement de l’esprit pour de nouveaux développements du salut en Christ. Mais révolutionnaire aussi pour l’écologie, que l’Eglise à son tour interroge sur son sens originel et sa destination finale "[1]. C’est pourquoi, chaque chrétien doit se sentir indispensable dans la lutte de l’Eglise en faveur de la création. Certes, « les hommes sont appelés, par le développement, à assurer leur croissance humaine »[2], mais c’est un devoir pour eux que de travailler à leur propre épanouissement. Ce devoir de l’homme peut-il légitimer toute exploitation aveugle de la nature ?

 

En effet, partout dans le monde on parle actuellement de pollution, de surexploitation, de désertification, de sécheresse, de destruction de la couche d’ozone, de changement climatique, etc., bref de la crise écologique. Toutefois les conséquences de tous ces phénomènes ne sont plus à démontrer ; tout simplement parce que les populations en expérimentent au quotidien les méfaits. Cette situation demeure une menace continuelle aussi bien pour le chrétien que pour toute l’humanité. C’est à ce juste titre que le pape Jean Paul II (d’heureuse mémoire) parlait de « la formation d’une conscience écologique en sachant que les problèmes qui menacent l’environnement menacent aussi la paix.»[3] Mais l’homme semble ne pas avoir compris jusque-là le commandement reçu de Dieu qui consiste non pas seulement à cultiver le sol mais aussi à le garder (Gn 2,15), par conséquent, à prendre soin de toute la création. Cela pose donc un problème moral sérieux qui ne doit pas nous laisser indifférents. Nous nous posons ainsi la question de savoir : où trouver la réponse à ce problème ? 

 

2. Origine et cause de la crise écologique dans le monde

 

Situer l’origine de la crise écologique dans le temps n’est pas toujours facile, car elle est intervenue, comme le dit Olivier Burgelin, «  dans une chaîne de crise du progrès dont chacune peut-être analysée comme le retour du moment de la négation dans la dialectique du développement occidental.»[4] Qu’à cela ne tienne, elle correspond à la prise de conscience historique, qui s’est effectuée à partir des années 50, de la puissance dangereuse, aux effets irréversibles, qu’exerçaient les Hommes contre la nature et leur milieu environnemental. Il est cependant démontré que celle-ci est très liée au développement industriel. En effet, la croissance des villes, le tracé des voies de communication, l’implantation de nouvelles industries avec des retombées telles que le bruit, la fumée, en somme la pollution, sont  autant de problèmes dont l’homme et la nature subissent les conséquences. Entre autres causes, nous pouvons également relever la coupe abusive de bois, l'utilisation abondante des engrais et des pesticides, l'urbanisme anarchique, la pollution hydro sphérique et atmosphérique, etc.

 

3. Dimension écologique de la Bible

 

Dans l'Ancien Testament, la foi en Dieu créateur est intervenue après un long cheminement spirituel du peuple saint. Avant la reconnaissance de son Dieu comme le créateur de toutes choses, Israël a d’abord fait l’expérience d’un Dieu vivant qui le protégeait et le sauvait à travers des actions salvifiques. La réflexion sur sa foi en ce Dieu sauveur, dont la puissance se déploie même dans les éléments de la nature, le conduisit progressivement à prendre conscience que son Dieu est le seul créateur et le seul ordonnateur de l’univers, et qu’il crée chaque fois qu’il sauve. Et, dans le récit Elohiste de la création, pour montrer que l’univers est vraiment une œuvre divine, Dieu y est présenté comme le grand potier, celui qui moule l’Homme et le cosmos (Gn 2,7-19). Mais dans le récit Yahviste, Dieu crée par sa parole (ex nihilo) à partir de rien, sans l’aide d’une matière : « il dit et tout survint.» (Gn 1,1-31)

 

L’enseignement du Nouveau Testament porte à maturité, par son accomplissement en Christ, ce message de compassion universelle et de délivrance cosmique. Dès la fin de l’évangile de Marc, au jour de l’ascension, Jésus dit à ses disciples : « allez par le monde entier, proclamer l’évangile à toutes les créatures.» (Mc 16,15) Il ne dit pas, comme chez Matthieu et Luc, « à toutes les nations », ce qui impliquerait seulement les Hommes. Dans l’Epître aux Colossiens, Paul s’exprime de la même façon lorsqu’il incite à ne pas se détourner de l’Evangile qui a été proclamé à toute créature sous le ciel (col 1,23).  Et dans l’épître aux Romains : « toute la création gémit dans les douleurs de l’enfantement, attendant d’être libérée, elle aussi, de la servitude et de la corruption pour entrer dans la liberté et la gloire des enfants de Dieu.» (Rm 8,19-22) C’est en Christ, en effet, que toutes choses ont été créées, en lui que tous les êtres ont été réconciliés par le sang de sa croix (Col 1,15-20). « Ainsi la doctrine de la création trouve son achèvement dans une contemplation du Fils de Dieu, par laquelle on voit en lui l’artisan, le modèle et la fin de toutes choses.»[5]

 

4. Conception théologique de la création

 

Après ce bref aperçu des Saintes Ecritures, il en ressort que la création est une oeuvre divine. Créée par Dieu et pour lui, la création est dès le départ ouverte, c'est-à-dire orientée vers son accomplissement. Atteinte par le péché d'Adam, elle fut, tout comme la nature humaine, rénovée par le Christ mort et ressuscité. Toutefois elle continue de gémir en douleur d'enfantement dans l'attente du jour où la gloire de Dieu illuminera toutes choses. Mais avant ce jour, il appartient à l'homme de continuer cette oeuvre divine à travers la science, la technique, etc. L’homme se comportera en intendant de Dieu avec la création car il l'a reçue comme prêt. De ce fait, il devra toujours chercher à agir selon les critères de la loi divine, et non pas de ses propres lois. C'est donc une constante de l'enseignement chrétienne. Or, depuis le XVIIème siècle, cela n'est presque plus enseigné. Combien de pasteurs le rappellent dans leurs prédications ? « Ce qui oblige les chrétiens à se réveiller d'un long sommeil.»[6] Un réveil qui ne serait pas seulement dû à l'urgence des problèmes de pollution, de changement climatique ou autres, mais parce que leur foi elle-même est interpellée. C’est au nom de leur foi que les chrétiens, contrairement à d’autres écologistes, mèneront une pastorale écologique.

 

5. Eucharistie, moteur de toute pastorale écologique

 

Aux origines même de l’Eglise, il y a une influence déterminante de l’Eucharistie. Les Evangélistes précisent que ce sont les Douze qui se sont réunis autour de Jésus, à la dernière Cène (Mt 26,20 ; Mc 14,17 ; Lc 22,14). C’est un point particulier très important, puisque les Apôtres « furent les germes du nouvel Israël et en même temps l’origine de la hiérarchie sacrée.»[7] En leur donnant son corps et son sang en nourriture, le Christ les unissait mystérieusement à son sacrifice qui devait se consommer sur le calvaire peu après. En accueillant au Cénacle l’invitation de Jésus : « Prenez et mangez…, Buvez-en tous… » (Mt 26,26.28), les Apôtres sont entrés, pour la première fois, en communion sacramentelle avec lui. A partir de ce moment-là et jusqu’à la fin des temps, l’Eglise se construit à travers la communion sacramentelle avec le Fils de Dieu immolé pour nous : « Faites cela en mémoire de moi… Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi » (1Co 11,24-25 ; Lc 22,19).

 

L’Eucharistie, étant la source et le sommet de toute la création, devient par conséquent la réponse à la préoccupation du monde contemporain, y compris en matière d’équilibre écologique. Aussi le renvoi rituel qui clôt une Eucharistie n’est-il pas un simple signe que « la séance est levée.». Ce renvoi est un envoi, car la célébration de l’Alliance ouvre sur la vie. Ainsi le « Ite missa est » (Allez, la messe est dite), ce qui équivaut à  « Allez dans la paix du Christ », n’a d’autres significations que « Allez témoigner dans vos biotopes de celui qui vient de nous nourrir par sa parole, son corps et son sang. En outre, « au cœur de toute célébration de l’Eucharistie il y a le pain et le vin qui, par les paroles du Christ et par l’invocation de l’Esprit saint, deviennent le corps et le sang du Christ.»[8] Nous sommes donc justiciables de ne pas mépriser dans la vie ce que nous couvrons de respect durant la liturgie. Les signes du pain et du vin, pétris par des mortels, ne sont-ils pas fruit du sol ? De quel sol s’agit-il ? Est-ce de la terre polluée, ou bien fertile ?

 

Ceci étant, l’Eucharistie nous engage à faire en sorte que le pain et le vin qui doivent devenir corps et sang du Christ soient le fruit pur de la terre fertile, et non pas de la terre polluée. Cependant, nous sommes bien conscients que les membres de nos communautés chrétiennes n’ont pas toujours été informés ou enseignés sur ce sujet. Dès lors, comment pouvons-nous donc, dans notre univers quotidien, contribuer à protéger la création ? Les pistes de réflexion que nous proposons ci-dessous sembleront peut-être un peu simplistes, tant l’idéal à atteindre est élevé. C’est dans cet élan que nous avions silhouetté dans le lointain quelques paysages de stratégies pastorales écologiques en guise de solutions.

 

6. Quelques solutions pratiques

 

Afin de lier l’action à la parole, voici quelques orientations pratiques qui nous permettront de mieux lutter contre la crise écologique dans nos diocèses, paroisses, quartiers, secteurs et maisons :

·        Développer la culture des communautés chrétiennes de base (CCB) ou communautés ecclésiales de base (CEB) ou encore Mbongui[9]. S'organiser non seulement à y partager la Parole de Dieu, mais également à la mettre en pratique pour le salut de l’Homme et la protection de la création.

·        Lutter contre la pollution domestique et pratiquer le tri des déchets en vue du recyclage, et inciter nos autorités locales dans ce sens.

·        Développer l’éducation, la sensibilisation à l’environnement, en particulier auprès des jeunes, par exemple dans le cadre du catéchisme.

·        Participer au débat politique (gestion de la cité). Rien ne nous empêche de faire entendre notre voix auprès des autorités locales ou régionales, pour les encourager à prendre des mesures saines visant à protéger l’environnement.

·        Aborder ce sujet lors d’un débat dans nos Eglises, et trouver ensemble des solutions pratiques à notre portée. Il faut poursuivre le débat dans ce sens et ne pas négliger les petits commencements, car la mise en pratique des recommandations formulées par les autorités civiles et religieuses commence par des gestes très simples qui visent à préserver la création dans notre univers.

·        Former des associations dans chaque quartier ou secteur pour bâtir des stratégies de protection de l’environnement ; car nous souffrons de beaucoup de maladies qui proviennent en grande partie de notre environnement impure. N’attendons pas tout du gouvernement.

 

Conclusion

 

De nos jours, tout le monde est en train de devenir écologiste ou du moins devrait le devenir. C’est, comme on le dit en langue Laâdi[10] : « yô mbizia ntouari » (c’est une viande commune). En effet, l’écologie est devenue le passage obligé des conversations ordinaires et des réflexions actuelles. Bien entendu, il s’agit non pas d’une simple mode mais de beaucoup plus que ça. L’effet médiatique se nourrit d’une inquiétude réelle, dont les causes ne font que grandir au fil des jours. On ne prendra jamais assez avec sérieux les ravages de plus en plus irréparables que l’économie industrielle et la société de consommation infligent à la planète. Mais, justement, comme le dit Jean Bastaire, « la question déborde la simple analyse des faits, ce qui est le propre de l’écologie au sens strict du terme vu comme science de l’environnement, de la maison terrestre.»[11] Elle déborde aussi la réponse politique qu’il est nécessaire d’apporter à une situation inventoriée.

 

Tout cet immense désordre, qui n’est d’ailleurs pas nouveau, car il remonte à l’origine du monde (Gn 4,12), mais qui est démesurément accru aujourd’hui par les moyens techniques, ne se ramène pas seulement à des problèmes de connaissance et de gestion. Il ne s’agit pas non plus d’une question seulement éthique. L’exigence inévitable est de nature religieuse. Pas plus que nos frères d’autres religions et confessions, nous, chrétiens, ne nous en tirerons pas par une attitude purement d’humanisme pragmatique sans fondement spirituel. Il nous faudrait recourir à notre foi pour éclairer notre comportement. Certes « l’Ecriture Sainte n’apprend rien sur la couche d’ozone, sur la crise du climat, sur le recyclage des ordures, sur le déboisement ou la disparition des espèces.»[12], mais elle dit tout sur l’amour par lequel Dieu a créé le monde, s’est fait homme, s’est offert aux hommes dans l’Eucharistie. Elle dit tout sur le pain et le vin, fruit pur de la terre fertile devenu par la suite Corps et Sang du Christ. Vu de la sorte, le « qu’as-tu fait de ton frère l’univers », que peut demander à bon droit l’écologie à l’Eglise, devient une interpellation à laquelle les chrétiens répondent finalement par l’Eucharistie, « source et sommet de toute pastorale écologique.»[13]

 

Par conséquent la tâche des chrétiens d’aujourd’hui est de rechristianiser la matière, rebaptiser la création et re-sanctifier l’univers. Là prend sens l’exigence de la nouvelle évangélisation jadis annoncée par les pères synodaux de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Evêques (Cf. Ecclésia in Africa), et à laquelle nous sommes tous conviés. Celle-ci ne consisterait aucunement à un retour en arrière ou à une restauration du passé, mais plutôt à un ressaisissement du sens qui nous permettrait de susciter l’inédit et d’inventer l’avenir, afin d’actualiser ce que le père Léonard Santedi appelle déjà « la théologie de l’inventivité et de la créativité.»[14] Ce que Mgr Ernest Kombo (d'heureuse mémoire) renchérit en la nommant « la théologie de l’adaptabilité.»[15] Toutefois, face à la nature, il nous faut retrouver le regard du Christ, verbe créateur et rédempteur de toutes choses, afin de poursuivre et d’accomplir la sauvegarde et le salut de la création.

 

                                                                                                                      Abbé Wenceslas Daleb MPASSY

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[1] Jean BASTAIRE, L’exigence écologique Chrétienne, in ETVDES, septembre 2005, pp.203-211.

[2] Paul VI, Populorum progressio, n°15-17.

[3] JEAN Paul II, la paix avec Dieu et sa création, message au monde pour la journée de la paix, 1er janvier 1990 in Documentation Catholique n° 1997.

[4] Olivier BURGELIN, écologique (mouvement), in Encyclopedia universalis, Tom 7, p.875.

[5]Xavier Léon DUFOUR, La création nouvelle, in VTB, Cerf, Paris, 1995, P.228.

[6]Jean BASTAIRE, Idem, p.24.

[7] Vat.II, décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad gentes, n°5.

[8] Catéchisme de l’Eglise Catholique, n°1333.

[9]  Mbongui: appellation d'une CCB au Congo Brazzaville

[10]Le Laâdi : (langue lâri), dialecte du peuple Laâdi de la région du Pool au sud du Congo. Cf.www.Bantou.Languages.com

[11] Jean BASTAIRE, idem.

[12] Jean BASTAIRE, op.cit.

[13] www.daleb-mpassi2.overblog.com

[14] Léonard SANTEDI, Inculturation dans Ecclésia in Africa, conférence à l’occasion des journées dédiées au 10ème anniversaire de l’exhortation Apostolique post-synodale "Ecclésia in africa", le 19 Mai 2005 au grand séminaire de Brazzaville (Congo).

[15] Mgr Ernest KOMBO, discours aux séminaristes, lors de sa visite au grand séminaire de Brazzaville « Emile cardinal BIAYENDA », le 20 mars 2005.