La mission définit le Christ et l’Eglise

 

 

La mission définit le Christ et l’Eglise (15ème dimanche du temps ordinaire – Année B)

 

 

Textes : Am 7, 12-15 ; Ps 84 (85) ; Ep 1, 3-14 ; Mc 6, 7-13.

 

 

L’Evangile de ce dimanche change de cap par rapport au texte du dimanche dernier. De la synagogue de Nazareth, on sort pour la mission des douze. Devrait-on penser que le refus de croire en Jésus provoque la mission des douze ? Mais l’hypothèse ici n’est pas tellement vérifiable. Toujours est-il que les deux textes se suivent. Le Christ a dû avoir conscience du rejet sinon du refus de son message et de sa personne, la communauté chrétienne pareillement, comme il ressort déjà dans ce texte qui retrace le « premier envoi en mission » (Mc 6,11). Après le refus de croire en Jésus, à Nazareth, le Christ se concentre sur ses disciples qu’il va devoir envoyer en mission. Dans l’évangile de Marc, cette mission est présentée comme un processus qui commence ici (Mc 6,7). Jésus commence à envoyer deux à deux. Matthieu et Luc, de leur côté, parlent d’une action plutôt ponctuelle : « Jésus envoya » (Mt 10,5 ; Lc 9,1). La mission est un processus qui commence déjà avec le Jésus historique. Si nous remontons plus haut, nous pourrons dire qu’il s’agit, en fait, du prolongement de la mission trinitaire qui ne s’achèvera qu’avec la consommation des siècles.

 

La mission définit le Christ et l’Eglise. Dieu a envoyé son Fils pour le salut de l’humanité. Le Christ a envoyé ses disciples pour l’annonce du Royaume. Ce que le mot mission et apôtre ont en commun, c’est l’envoi. Mc 3,13 parle des apôtres choisis par Jésus comme ceux qui devaient être proches de lui et devaient être envoyés en mission. Pour cela, il n’y a pas d’apostolicité sans missionnarité, et les deux caractérisent l’Eglise. Celle-ci est apostolique, autrement dit missionnaire.

 

Jésus appelle à lui les douze. Après les avoir choisis pour qu’ils restent près de lui et pour qu’il les envoie en mission (Mc 3,13), après qu’ils sont restés auprès de lui pour vivre avec lui et apprendre de lui, les douze sont envoyés, participant eux aussi à la mission du Fils. Ce premier envoi intervient avant la descente de l’Esprit Saint qui marque l’envoi officiel de l’Eglise en mission (Ac 2). Mais il montre une chose intéressante, la participation indispensable à cette mission. Il n’y a pas un âge pour l’Eglise, de même, il n’y a pas un degré de formation pour aller en mission. On y va déjà avec la petite expérience faite auprès du maître. Paul le dira avec d’autres termes encore plus saisissants : « Ma grâce te suffit, car la puissance se déploie dans la faiblesse » (1 Co 12,9). C’est là que l’Eglise prend conscience de ce qu’elle est profondément. Et c’est là que chaque chrétien doit toujours murir sa conscience missionnaire.

 

Le verbe “appeler vers soi” (Mc 6,7), chez Marc, exprime le rapprochement sinon l’intimité qu’exige un dialogue (Mc 3,13 ; 3,23 ; 6,7 ; 7,14 ; 8,1 [par. Mt 15,32] ; 10,42 ; 12,43, etc.). Le Christ appelle d’abord à lui, à l’intimité avec lui, avant d’envoyer. N’est envoyé en mission que celui qui a appris à se rapprocher du maître. Sans ce rapprochement, on ne saurait être envoyé. Les douze, à ce point, sont les proches de Jésus, ses intimes. A ce titre, ils peuvent participer à sa vie et sa mission rédemptrice du monde. Ils peuvent aller proclamer la conversion, chasser des démons et guérir les infirmes. En d’autres termes, l’efficacité de la mission dépend, elle aussi, de l’intimité avec le Christ. Sans cette intimité, notre action dans le ministère de la consolation peut devenir pur charlatanisme.

 

Ceux qui sont envoyés prennent part à l’autorité du Christ sur l’empire du méchant. Ils agissent en accomplissant les signes qui manifestent la présence du Royaume de Dieu (Lc 7,22). Il est intéressant de constater l’inclusion formée par l’allusion aux esprits mauvais. Les douze reçoivent l’autorité de les chasser (Mc 6,7 parle en fait d’esprits impurs). Et l’évangéliste rapporte que cela est réellement advenu (Mc 6,13 mentionne l’expulsion de beaucoup de démons). L’ordre du Christ s’est vraiment accompli. Les douze participent vraiment et mettent en œuvre l’autorité même du Christ.

 

Le nombre « deux » qui marque ceux qui sont envoyés, exprime dans la mentalité vétérotestamentaire la crédibilité du témoignage (Dt 19,15). Le message dont les douze sont porteurs est un message crédible. C’est le message du salut. A cette crédibilité participe aussi bien le don de l’autorité sur les esprits mauvais que le style dépouillé de cette annonce (Mc 6,8) : un seul bâton (probablement qui aide à la marche), pas de nourriture, de sac, ni de monnaie autour de la ceinture, une paire de sandales, un seul manteau. La simplicité de la vie réduite au strict minimum (Luc sera encore plus sévère), exprime en même temps la simplicité et, paradoxalement, la force de la vérité qu’ils ont à annoncer. La vérité est simple. Et c’est cette simplicité même qui devient la force de persuasion du message du salut. C’est cette simplicité qui devient le socle sur lequel s’appuie la mission. L’encombrement d’apparats peut être utile, mais peut aussi divertir et dévier de l’essentiel.

 

Contrairement à Luc qui se soucie explicitement de la nourriture des missionnaires (Lc 10,7-8), Marc ne parle pas explicitement de manger, en restant dans une maison où l’on entre et où l’on est accueilli. Il faut peut-être tout sous-entendre dans cet accueil. Le missionnaire est donc laissé aux soins de la providence qui se manifeste à travers l’accueil. Il doit savoir compter sur elle, sinon il se décourage et lâche prise. La mission est exaltante dans la mesure où elle est participation, prolongement de la mission même du Christ. Mais elle est exigeante. Elle s’accomplit dans le dépouillement presque complet et dans l’abandon à la providence, pour donner sa pleine mesure à la puissance de Dieu qui agit à travers la personne humaine, à travers l’Eglise dont les douze sont les piliers.

 

L’Evangile se conclut sur une note positive : étant sortis, ils proclamèrent qu’on se convertisse. Ils chassèrent beaucoup de démons. Ils firent des onctions d’huile sur les infirmes, et ceux-ci étaient guéris. La conversion est un résumé du message du salut depuis la prédication de Jean Baptiste (Mc 1,4) jusqu’à la communauté primitive des Actes (Ac 2,38). C’est d’ailleurs là que Marc commence la prédication du Christ lui-même (Mc 1,15). La conversion est au cœur de la vie chrétienne ;  elle est le moteur de la foi. On ne parlerait pas de foi sans conversion. L’expulsion des esprits et la guérison des infirmes par les douze montrent la continuation de la mission de Jésus par l’Eglise qui devient par le fait même signe de la présence de Dieu dans le monde et dans l’histoire. Que la conscience de la mission du Christ, qui est passée aujourd’hui à l’Eglise, habite toujours les chrétiens en même temps que les exigences qui l’incarnent.

 

 

Abbé Ildevert Mathurin MOUANGA