L’Evangile enseigne une religion du cœur

 

L’Evangile enseigne une religion du cœur (22ème dimanche ordinaire – Année B)

 

 

 

Textes : Dt 4, 1-2.6-8 ; Ps 14 (15) ; Jc 1, 17-18.21b-22.27 ; Mc 7, 1-8.14-15.21-23.

 

 

Après l’intermède marqué par le chapitre 6 de Jean sur le pain de vie, la liturgie revient sur l’Evangile de Marc. Le chapitre 7 qu’elle nous propose contient, en ses débuts, l’épisode sur la tradition des anciens. La pédagogie liturgique veut que l’on ne prenne que certains passages (mais cela ne veut pas dire que les autres versets non considérés ne serviraient à rien) du chapitre qui nous aident à cerner le message. C’est elle que nous allons suivre au cours de cette méditation.

 

Il s’agit d’une polémique ouverte contre la tradition des anciens à laquelle les juifs pieux tiennent beaucoup. L’Eglise naissante a dû certainement affronter des problèmes de ce type à l’allure parfois tragique (Cf. Ac 10, 9-16 ; 15, 1-29), par rapport au monde juif duquel elle tirait son origine, tout en en s’en détachant, et par rapport au monde des païens dans lequel elle se propageait. Elle doit continuer à affronter des problèmes semblables toutes les fois qu’elle rencontre de nouveaux peuples. Au demeurant, c’est tout le débat entre l’Evangile et la culture qui est soulevé. Ce débat est d’autant plus important qu’il s’agit des problèmes de conduite, de comportement, bref de problèmes éthiques. Il n’y a pas de relation avec Dieu qui ne se concrétise en style de vie individuel et communautaire. Il n’y a pas de théologie qui n’en appelle à une anthropologie, une éthique, une politique et une sociologie. L’éthique devient ici l’extériorisation de la nouvelle relation avec le maître de Galilée. Un tel texte ne saurait manquer d’attirer l’attention de la mentalité africaine qui ne peut pas ne pas reconsidérer son héritage culturel, ses traditions ancestrales, en lien avec la foi au Christ.

 

Le discours est adressé à trois catégories de personnes : les pharisiens et les scribes (Mc 7,1), la foule (Mc 7,7) et les disciples (Mc 7,17). Il est un motif récurrent chez Marc que les disciples reçoivent un enseignement donné, une révélation particulière en dehors de la foule, à part (Mc 4,10.34 ; 8,27-33). C’est ce qui arrive ici. Après avoir parlé aux pharisiens, puis à la foule, Jésus donne un enseignement, avec d’autres détails, à ses disciples à la maison (7,17-23). En réalité, du point de vue critique, ce sont des signes d’une histoire complexe qui apparaissent dans cette forme finale. Marc parle d’ailleurs d’un nouvel appel de la foule (7,7), sans mentionner le premier. Matthieu, de son côté, ne parle que de l’appel de la foule (Mt 15,10).

 

Les Pharisiens et les Scribes représentent l’aristocratie juive, qui plus est, provenant de Jérusalem (Cf. Mt 15,1), le cœur politique et religieux d’Israël. Ils jouissent probablement d’un certain prestige, d’une certaine audience. Ils devaient représenter aussi une certaine orthodoxie, si ce n’est une orthopraxie. Ce sont eux qui se rassemblent auprès de Jésus. Ils ne disent rien, mais ils observent, ils voient. Ce qui attire leur attention, c’est l’agir de quelques-uns parmi ceux qui suivent Jésus, les disciples. Ils notent que c’est un agir non conforme à la tradition. L’auteur du proto-évangile écrit sûrement à des non Juifs ; il prend le soin de leur expliquer ce que c’est que manger avec des mains impures. Il s’allonge ensuite à  expliquer les détails de la coutume (7,2-4). Aujourd’hui, on dirait qu’il s’agit d’un simple problème d’hygiène. En réalité, ces ablutions font partie d’un vrai rituel. Les Esséniens, une secte juive, se distinguent, entre autres, par la multiplication des ablutions en signe de purification. Il s’agit d’un acte religieux. La question que les Pharisiens et les Scribes posent va ainsi au cœur du débat. Il ne s’agit pas seulement de manger sans se laver les mains, mais de ne pas « marcher selon la tradition des anciens » (7,5) ; laquelle tradition remonte directement ou indirectement à Moïse, et donc à Dieu lui-même. En outre, les us et coutumes expriment l’identité d’un peuple. Les disciples seraient partis à l’encontre de leur identité juive, et ceux qui les voient agir ainsi s’en indignent. Mais ce n’est pas à eux qu’ils posent la question, mais plutôt à leur maître.

 

Le Christ, sans aller directement à la question posée, répond avec une citation d’Isaïe (Is 29,13). C’est une lamentation (elle commence par hoy « malheur ! », qui est un cri de deuil ; Cf. Is 29,1) ou tout de même une parole de jugement, probablement contre Jérusalem désigné comme Ariel (lion de Dieu). La ville sera assiégée, mais aussi libérée ; le peuple sera rendu aveugle parce qu’il ne veut pas voir (Is 29,9-14). Il ne pourra comprendre aucune vision qui lui vient de Dieu, comme un livre scellé que personne ne peut lire. La raison de tout cela, c’est que le cœur du peuple est loin de son Dieu. La religion qu’il pratique n’atteint pas du tout le siège de la raison et des sentiments, le cœur, la partie la plus intérieure de l’homme et qui le constitue. Elle reste aussi superficielle que les lèvres. Elle ne prend pas de racine dans la vie des hommes. C’est cela le rapprochement du bout des lèvres. Marc lit le texte grec qui parle de crainte. Le texte hébreu, par contre, emploie le verbe « se rapprocher ».

 

Les Scribes et les Pharisiens, d’un côté, Jésus, de l’autre, ne se situent pas sur un même niveau. Tandis que les premiers jugent d’un usage qui montre leur culture, et par là prétendent appartenir à Dieu, Jésus fait le contraire ; il veut partir d’abord de l’authenticité du rapprochement avec Dieu pour ensuite descendre juger la culture. La vraie religion, dirait-il, ne consiste pas en telle ou telle autre pratique cultuelle ou culturelle, mais en un vrai rapport de cœur avec Dieu qui parle au cœur de l’homme. Evidemment, au cours des générations, la loi religieuse juive s’était doté d’un système de pratiques minutieux mais qui pouvait paraître déjà à cette époque encombrant, et qui risquait bien de perdre de vue l’essentiel du culte vrai, de la religion véritable.

 

Le Christ peut alors poursuivre son enseignement à l’endroit de la foule. Il l’approfondira avec les disciples une fois arrivés à la maison. Celui-ci est axé sur le parallélisme pur/impur et extérieur/intérieur. C’est la mention du cœur qui se trouve dans l’invective d’Isaïe que l’Evangile applique aux pharisiens. Le cœur, dans la Bible, est le symbole de l’intériorité. Par rapport à lui, tout le reste est, d’une manière ou d’une autre, extériorité. Ce qui vient de l’extérieur ne peut pas abîmer le cœur comme siège de la relation avec Dieu, et ne peut pas, dans ce sens, être impur. Car ne peut être impur que ce qui atteint la relation avec Dieu, ce qui peut corrompre cette relation. Au contraire, ce qui part du cœur peut être impur, causer des dommages à la relation avec Dieu et à soi-même. Le cœur peut devenir ainsi le centre des intentions mauvaises, au lieu d’être le centre d’une relation pure avec Dieu. Marc aligne une liste de douze vices qui peuvent entacher la relation avec Dieu du profond du cœur. Matthieu n’en a que huit. Et quelques-uns d’entre eux se retrouvent dans les dix commandements (Cf. Ex 20,1-17 ; Dt 5,6-22). C’est le cas du meurtre, du vol, de l’adultère. L’Evangile prône ainsi une religion de l’intériorité, comme le faisait déjà Jérémie qui, dans l’alliance nouvelle que le Seigneur devait établir avec Israël et Juda, écrirait la loi directement au fond du cœur, en lieu et place des tables de pierre (Jr 31,31-34). Par ailleurs, lorsqu’on regarde bien les dix commandements, on se rend compte qu’ils finissent avec des commandements d’intention, c’est-à-dire ceux qui concernent le cœur. La Bible invite l’homme à purifier son cœur pour la relation avec Dieu et pour l’agir social.

 

Plutôt qu’une religion faite de rites, de coutumes et de pratiques, l’Evangile enseigne une religion du cœur. Les rites sont nécessaires, parce que c’est à travers eux que se concrétise la relation de l’homme avec Dieu, mais l’essentiel sera toujours la disposition du cœur. Toutefois il reste vrai que toute relation avec Dieu implique une anthropologie, une éthique, une sociologie, une politique, etc. On peut dire à juste titre que chaque type de société est l’expression d’un type de rapport avec Dieu. Tout rapport avec le monde, avec la nature trahissent un rapport avec Dieu. Il est de l’intérêt de l’Afrique de définir son rapport avec Dieu qui déterminera le type de société qu’elle veut fonder.      

 

 

Abbé Ildevert Mathurin MOUANGA