L’Eucharistie, moteur de la vie du prêtre

 

 

L’Eucharistie, moteur de la vie du prêtre

 

Méditation de Mgr Bernard Nsayi, évêque émérite de Nkayi, à l'occasion de l'Année sacerdotale. 

 

 

1. Le Prêtre, témoin de l’amour 

En cette année sacerdotale dédiée au Saint Curé d’Ars, voici une petite réflexion qui pourrait nous aider à en profiter davantage, pour le bien de notre Eglise, des prêtres, des fidèles laïcs et de notre monde. Tour à tour nous parlerons de l’amour-agapè, de l’Eucharistie, du service et de l’unité. Ces signes, Jésus, notre Seigneur et notre Maître, leur a donné chair, les a incarnés en sa personne.[1]

 

Le testament de Jésus commence justement, de façon solennelle, par le verbe aimer, (agapein) : « Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin » (Jn 13,1). De même que nous lisons : « Et le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14), de même nous pourrions dire : en Jésus,  l’amour s’est fait chair. Eblouissante révélation, que Jésus va illustrer par le geste bouleversant du lavement des pieds !

Cet amour-agapè prend sa source dans le sein du Père, passe chez les Apôtres, pour aboutir, par la puissance du Saint Esprit, dans le cœur des croyants qui, à leur tour, sont envoyés pour le communiquer, par leur témoignage, à tous les hommes : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres » (Jn 15, 9.17).

Ce que Jésus dit à ses Apôtres concerne tous les croyants, mais surtout les prêtres, qu’il a choisis, qu’il a tirés du monde, pour qu’ils le suivent de plus près pour le salut de leurs frères : « Je vous appelle mes amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisis ; mais c’est moi qui vous ai choisis et vous ai établis, pour que vous alliez et portiez du fruit » (Jn 15,15-16).

L’amour de Jésus pour son Père et pour nous, est un amour souverainement libre et très exigeant. Notre amour pour lui est également un amour libre et exigeant. Toute notre formation nous a présenté les exigences de notre réponse à l’appel du Christ. Une réponse libre qui suppose l’acceptation de notre croix et, pour nous, prêtres de rite latin, les exigences de pauvreté, de chasteté dans le célibat et d’obéissance. Ces engagements, attachés à notre mission dans l’Eglise, nous les avons pris  solennellement, et devant l’Evêque et devant tout le Peuple de Dieu, le jour de notre ordination.[2]

A ce propos, le Pape affirme : « Pour être ministres au service de l’Evangile, les études, avec une formation pastorale soignée et permanente, sont certainement utiles ; mais, est encore plus nécessaire, cette ‘science de l’amour’ qui s’apprend seulement dans lecœur à cœur’ avec le Christ… En fait, c’est lui qui nous appelle pour rompre le pain de son amour, pour remettre les péchés et pour guider le troupeau en son nom ».[3] Cette « science de l’amour » est d’autant plus nécessaire que nous sommes envoyés dans le champ du Seigneur pour guider le troupeau, non pas en notre nom, mais « en son nom ». Pensant au Saint Curé d’Ars, le Pape dit encore : « Il me vient tout de suite à l’esprit, venant de lui, une belle et émouvante affirmation, reportée dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique où il dit : ‘Le sacerdoce est l’amour du Cœur de Jésus’ ».  Le lien étroit entre l’amour-agapè et l’Eucharistie a été bien illustré par l’exhortation post-synodale de Benoît XVI, Sacramentum Caritatis.

 2. Le prêtre, homme de l’Eucharistie 

L’acte le plus important de l’Eglise est la liturgie par laquelle Dieu est glorifié et le salut accordé aux hommes. Cette activité, tout d’abord au cœur de la formation du prêtre, sera au centre de son ministère et conditionnera sa réussite. Sa vie ne sera féconde que dans la mesure où il prendra vraiment conscience de l’importance de l’Eucharistie, et donc de la Messe, qu’il est tenu de célébrer chaque jour.[4] Sans jamais oublier le ministère de la confession qui lui est lié.

Quelques pages de l’évangile nous montrent bien comment Jésus lui-même a préparé et institué ce sacrement capital qui est le testament de sa vie, étroitement lié à la Pâque juive qu’il est  venu remplacer définitivement (Cf. Mc 14,12). Dans cette Pâque, il est le prêtre et la victime. C’est sa Pâque à lui (Mc 14, 12). C’est lui qui y associe ses disciples (Cf. Mc 14, 14).

C’est aux Evêques, successeurs des Apôtres, que revient en priorité la présidence de l’Eucharistie. « Ils sont les principaux dispensateurs des mystères de Dieu, comme ils sont les organisateurs et les gardiens de toute la vie liturgique dans l’Eglise qui leur est confiée. C’est d’eux que, dans l’exercice de leur pouvoir, dépendent les prêtres et les diacres : les prêtres ont été, eux aussi, consacrés véritables prêtres du Nouveau Testament pour être de prudents collaborateurs de l’ordre épiscopal. »[5]

L’Eglise, dans son  rituel, a mis au point les indications nécessaires pour que soit célébré avec foi et dignité, le sacrifice de l’Eucharistie, au cours duquel le prêtre est vraiment un alter Christus (un autre Christ). Cela est vrai, non seulement au moment de la consécration du pain et du vin, qui deviennent, réellement, le Corps et le Sang du Christ, mais pour toute la messe. Cela est particulièrement vrai pour la célébration de la Parole de Dieu. « Le Christ est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Eglise les Saintes Ecritures ».[6]

Nous sommes donc invités à prendre conscience d’être un « autre Christ », non pas pour en tirer une vaine gloire, mais au contraire, pour que dans notre vie, en tout temps et en tout lieu, nous puissions « imiter ce que nous accomplissons, car nous ‘célébrons le mystère de la mort du Seigneur’ ».[7]

Le prêtre se rappellera que l’Ite Missa est (Allez dans la paix du Christ) n’est pas une simple fin de la célébration eucharistique, mais la proclamation d’un acte solennel d’envoi en mission de ceux qui ont participé à la Messe et qui sont ainsi invités à témoigner de l’amour du Christ dans toute leur vie, en tout lieu et à tout instant. Puisque ce qui concerne les fidèles laïcs concerne aussi le prêtre, nous comprenons mieux pourquoi, à l’imitation de son Maître, le prêtre est appelé à se faire serviteur.

 3. Le prêtre et le service

Le prêtre est un homme qui, dans l’Eglise, a accepté de suivre de plus près Jésus, l’Homme-Dieu qui est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude (Cf. Mt 20, 20-28 : diakonêsai). Ici, nous retrouvons encore la réalité de l’incarnation qui nous renvoie à Isaïe, à Jean-Baptiste et aux disciples.

Rappelons-nous les mystérieux chants du Serviteur de Yahvé (en particulier Is 52,13-53,12), annonçant Jésus dont la mission passe nécessairement par l’obéissance et la souffrance. Jean-Baptiste le présente comme l’agneau de Dieu – qui sera immolé – et qui enlève le péché du monde (Jn 1,29). Pour nous sauver, Jésus est passé par la Croix. Plusieurs fois, il a rappelé que le chemin qu’il a suivi est le même que devront suivre ses disciples (Mt 16,21-24). Nous trouvons la même illustration dans le récit des disciples d’Emmaüs (Lc 24,13-27). Toutes ces références présentent un double aspect auquel nous devons prêter attention : aspect de souffrance et aspect de gloire, aspect de mort et aspect de résurrection, aspect d’ignominie et aspect d’honneur. C’est cela que nous trouvons dans l’hymne aux Philippiens (Ph 2,5-11).

Ici, prenons la peine de nous arrêter sur l’éclairage des mots grecs et de leur traduction en latin ou en français. Le mot grec doulos est rendu par esclave, en Ph 2,7, et par serviteur, en Jn 13,16 ; 15,15. D’autre part, en Mt 20,28, nous avons les mots diakonothênai pour être servi et diakonêsai pour servir, d’où notre mot diacre (diakonos). Le lavement des pieds était un travail réservé aux esclaves ou aux serviteurs ; voilà pourquoi Pierre refuse que Jésus lui lave les pieds. Et quand, vers la fin, Jésus demande aux disciples de faire le même geste, il leur demande en fait de s’abaisser au rang d’esclave, de serviteur, puisque lui, « le Seigneur et le Maître », l’a fait pour leur servir d’exemple (Jn 13,1-15).

Le verbe servir a été traduit par ministrare en latin ; ce qui a donné notre mot ministre. Nous pouvons constater, avec étonnement, comment le mot ministre a pris un contenu tout à fait différent, presque à l’opposé de son origine étymologique. Aujourd’hui, ministre est considéré plus comme un chef, un patron que comme un serviteur. On dirait que ce glissement de sens a atteint l’Eglise, en ce sens que le sacerdoce – ou le diaconat -  qui est normalement un service, est considéré par certains comme une promotion, un honneur.

Ici, une fois de plus, la prière est nécessaire pour que nous approfondissions ou redécouvrions la vérité du sacerdoce qui est avant tout un service qui demande beaucoup d’humilité et de disponibilité pour donner à nos frères, à l’Eglise et à notre monde ce qu’ils attendent de nous et que nous avons le devoir de leur offrir. C’est ici que la vertu d’obéissance – au sens plein du terme - trouve sa place : obéissance au Père, obéissance au Fils, obéissance à l’Esprit Saint, à l’Eglise et à l’Evêque. Inutile de souligner que le service de notre Sacerdoce n’est pas à offrir uniquement aux fidèles laïcs, mais aussi à nos frères dans le sacerdoce ; ce qui suppose le triple témoignage de la charité, de la correction et de la prière fraternelles (Cf. Mt 18,15-22).

 4. Le prêtre, homme de l’unité 

Le dernier point de notre méditation sera l’unité, dont les principales références se trouvent en Jn 11,50-52 ; 15,1-17 ; 16,4-15 ; 17. Le fondement de toute unité véritable se trouve dans celle du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Plus que d’unité, nous parlons de communion entre les trois Personnes de la Sainte Trinité, en qui unité et amour se trouvent indissolublement liés.

Tout cela trouve sa réalisation concrète en Jésus-Christ, l’envoyé du Père, par qui nous est donné l’Esprit Saint. Cette unité trouve une autre réalisation qui nous reporte directement à la dernière Cène et au sacrifice de la croix. En réunissant les disciples autour de lui avant de nous quitter, Jésus a inauguré, d’une certaine manière, la constitution de l’Eglise, qui a son sommet dans l’Eucharistie et trouve sa source dans son côté transpercé, d’où ont coulé du sang et de l’eau. Nous pouvons même affirmer, sans crainte de nous tromper, que, dans l’esprit de Jésus, nous étions déjà là avec lui, à la dernière Cène et au Calvaire.

Tant que les hommes ne croient pas en Dieu et ne croient pas en Jésus Christ, ils sont comme des brebis sans berger, des brebis dispersées, des « enfants de Dieu dispersés ». C’est ainsi que Jean interprète les paroles de Caïphe, grand prêtre : « (…) Etant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation – et non pas pour la nation seulement, mais encore pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,50-52). Jésus est mort pour faire de nous un seul troupeau, une seule famille, un seul peuple. Le mystère de la croix est un mystère d’unité. Et c’est également le mystère du ministère du prêtre.

Dans l’image de la vigne véritable, surtout en Jn 17,1-17, Jésus se présente comme celui qui nous unit à lui et au Père, en insistant sur notre union  à lui pour que nous puissions porter beaucoup de fruit (Jn 15,5). Et Jésus précise bien que c’est le binôme inséparable amour/commandements qui est le test irremplaçable de cette unité/communion : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son amour » (Jn 15,10). Il ne s’arrête pas là, puisqu’il demande que le même amour puisse également se réaliser entre les disciples : « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer, les uns les autres (Jn 15,17).

Mais c’est surtout en Jn 17 que Jésus nous introduit dans son intimité et nous invite à entrer dans sa propre prière pour l’unité. Une unité qui existe déjà de toute éternité entre le Père, le Fils et le Saint Esprit, mais que Jésus remet en relief en insistant sur sa relation  spéciale avec le Père. Jésus prie pour que cette unité, comme l’amour dont il a parlé en Jn 15, s’étende jusqu’à ses disciples. L’insistance sur le Père qui l’a envoyé saute aux yeux et nous montre l’importance que Jésus y attache parce que c’est le signe qui fera que le monde puisse croire (Jn 17,23). La division entre prêtres sera toujours un motif de scandale pour le monde.

Ecoutons encore le Pape et le Saint Curé d’Ars : « Malheureusement, il existe aussi des situations, que nous ne déplorerons jamais assez, dans lesquelles c’est l’Eglise elle-même qui souffre pour l’infidélité de quelques-uns de ses ministres. Dans ce cas, c’est le monde qui en tire motif de scandale et de refus ».[8] « Toutes les bonnes œuvres réunies n’égalent pas le sacrifice de la Messe, parce que celles-là sont les œuvres d’hommes, tandis que la Messe est œuvre de Dieu ». Il était convaincu que de la Messe dépendait toute la ferveur de la vie d’un prêtre. : « La cause du relâchement du prêtre vient de ce qu’il ne fait pas attention à la Messe ». Il rappelle encore l’importance de l’adoration eucharistique. «  A son exemple, les fidèles apprenaient à prier, se tenant volontiers devant le tabernacle pour une visite à Jésus Eucharistie. Il n’est pas besoin de parler beaucoup pour bien prier. Nous savons que Jésus est là, dans le Saint Tabernacle : ouvrons lui notre cœur, réjouissons-nous de sa sainte présence. C’est cela la meilleure prière ». Par ailleurs, « Jésus-Christ, après nous avoir donné tout ce qu’il pouvait nous donner, veut encore nous faire héritiers de ce qu’il a de plus précieux, c’est-à dire sa Sainte Mère »[9], notre Mère et la Mère de tous les Prêtres.  

 

                                                                                                                               Mgr Bernard NSAYI

                                                                                                                               Evêque émérite de Nkayi



[1] C’est ce que nous révèle l’Apôtre Jean dans la deuxième partie de son évangile, surtout des chapitres 13 à 20

[2] Cf. les rites d’ordination diaconale et sacerdotale.

[3] Cf. Lettre du Pape Benoît XVI à l’occasion de l’Année sacerdotale.

[4] Vatican II, Presbiterorum Ordinis , n°13 ; Eucaristicum Mysterium, n°44.

[5] Vatican II, Christus Dominus, n°15.

[6] Vatican II, Sacrosanctum Concilium, n°7.

[7] P.O. n°13.

[8] Benoît XVI, Lettre pour l’indiction d’une année sacerdotale à l’occasion du 150e anniversaire du Dies Natalis du Saint Curé d’Ars, Libreria Editrice Vaticana, 2009, p.5.

[9] Ibidem, pp. 10-11 et 22.