Jésus ne recule pas devant l’exigence de l’amour

 

Jésus ne recule pas devant l’exigence de l’amour (25ème dimanche du Temps ordinaire – Année B)

 

Textes : Sg 2, 12.17-20 ; Ps 53, 3-6.8 ; Jc 3, 16-4,3 ; Mc 9, 30-37.

 

Deux grands enseignements traversent le passage d’Evangile de ce dimanche : la deuxième annonce de la passion (Mc 9,30-32) et l’enseignement sur « le plus grand ». Ils sont adressés tous les deux aux disciples, dans un cadre qui exprime une certaine discrétion, exclusivité et intimité. Le contexte de ce discours est assez particulier. Jésus vient de vivre une expérience forte de manifestation de sa gloire avec trois de ses disciples sur une haute montagne : la transfiguration (Mc 9,2-8). En descendant de là, ils trouvent une foule avec un enfant possédé qu’il délivre alors que les disciples n’ont pas réussi (Mc 9,14-27). Plus tard, il leur apprendra, en aparté, que ce type de démon ne se chasse qu’avec la prière (Mc 9,28-29). C’est de là qu’il leur annonce sa passion pour la deuxième fois.

Cette annonce de la passion, comme la première d’ailleurs (Mc 8,31-33), se déroule en cours de route. Ici il s’agit de la route à travers la Galilée. Mais elle revêt une certaine particularité. Elle est presque marquée par le secret, la discrétion. Jésus ne veut pas se faire reconnaître, parce qu’il enseignait ses disciples. On perçoit la gravité de l’heure. Jésus partage à ses disciples son futur marqué par la trahison, la tragédie de la mort, mais aussi la résurrection. La trahison n’est pas présente dans la première annonce (Mc 8,31-32). Elle apparaît pour la première fois ici. Par contre, la résurrection est toujours mentionnée comme horizon définitif de cette annonce. Le contraste est bien frappant entre, d’une part, la transfiguration (moment de gloire visible) et, d’autre part, l’annonce de la passion (la mort, le secret). Les premières communautés chrétiennes n’ont compris le sens profond des choses qu’après avoir vécu l’expérience pascale. Mais Jésus a dû enseigner ouvertement, sans ambiguïté (Mc 8,32), ce qui concernait sa vie et sa mort. Le fait serait aussi resté dans leur mémoire de sorte qu’avec l’expérience de la résurrection et du don de l’Esprit Saint, on a dû s’en souvenir et le consigner dans les Ecritures. Les trois évangiles synoptiques (Mt, Mc, Lc) ont conservé chacun trois annonces de la passion (Mt 16,21-23 ; 17,22-23 ; 20,17-19 ; Mc 8,31-33 ; 9,30-32 ; 10,32-34 ; Lc 9,22. 43-45 ; 18,31-34). Cette répétition montre aussi son importance au niveau pédagogique.

Au demeurant, le fait de la prédire montre un Jésus conscient de sa destinée, mais ne se retire pas devant la nécessité, devant une telle exigence de l’amour. Plus l’Evangile préannonce la mort de Jésus, plus celle-ci apparaît comme une nécessité. La mort du Fils de l’homme est rendue nécessaire d’une part par l’amour de Dieu (Jn 3,16), et d’autre part par le péché de l’homme qui entrave toute relation authentique avec Dieu. Or l’amour vrai va jusqu’au bout ; il fait aller jusqu’au bout et deviendra vainqueur du péché et de la mort. Jean le dira de manière encore plus solennelle et saisissante. « Or avant la fête de la pâque, Jésus sachant que l’heure était venue de passer de ce monde à son Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin » (Jn 13,1).

Le verbe enseigner (au lieu d’annoncer) que l’on trouve au v. 31, est à l’imparfait de l’indicatif. L’action est répétée dans le passé. Il ne s’agit pas seulement d’une annonce, un peu comme si on voulait faire de la publicité. Il s’agit plutôt d’une notion qui mérite d’être mémorisée. Alors, on l’enseigne. Mais à l’annonce de Jésus s’oppose l’ignorance, sinon le manque de connaissance de la part des disciples. Les deux verbes sont à l’imparfait et se correspondent. Luc reprendra ce thème de l’ignorance humaine devant le projet de Dieu, qui pourtant a été révélé dans les Ecritures (les Prophètes), dans l’épisode des disciples d’Emmaüs (Lc 24,25). L’Evangile qualifie ces disciples d’insensés (sans intelligence) et lourds de cœur. Les termes ne sont pas les mêmes chez Marc et chez Luc, mais la réalité est là. A en juger par le contexte, l’ignorance des disciples peut se justifier. Ils voient toute l’action thaumaturgique du Christ ; mieux encore, trois d’entre eux viennent de vivre l’expérience de la transfiguration. Et donc ils comprennent que celui-ci est le « messie », le triomphateur. Comment auraient-ils pu encore comprendre qu’il devait être trahi, qu’il devait souffrir et mourir ? Pierre, dont l’Evangile reconnaît le caractère quelque peu intrépide, a même osé reprocher Jésus (Mc 8,32). Comment aurait-il pu encore comprendre ? C’est là que devient nécessaire, pour le disciple, d’apprendre du Maître lui-même. Jean, dans l’épisode de la dernière Cène, montre le disciple bien-aimé penché sur la poitrine du Seigneur (Jn 13,23-25). C’est la position du disciple qui entre dans l’intimité du Maître, comme s’il voulait percevoir jusqu’aux battements de son cœur. Ce devrait aussi être la position du disciple d’aujourd’hui. Il devrait apprendre la logique du cœur de Dieu à travers la lecture et la méditation de sa parole, la prière, la pratique des sacrements, pour enfin sortir de son ignorance. L’ignorance des Ecritures, affirmait St Jérôme, c’est l’ignorance du Christ.

De la promenade à travers la Galilée, on arrive à Capharnaüm, à la maison (Mc 9,33). A Capharnaüm, les fouilles archéologiques ont exhumé la maison de Pierre qui aurait accueilli le Christ à l’issue de ses pérégrinations. Ainsi, ce Fils de l’homme, qui n’avait même pas où reposer la tête (Mt 8,20 ; Lc 9,58), aurait eu la chaleur d’une maison devenue sa maison, chez lui. La maison est un lieu qui indique l’intimité, l’exclusivité. Ce n’est pas tout le monde qui entre dans la maison.

De la maison, on regarde dehors, ce qui vient de se passer. La question de Jésus ramène sur le chemin. Comme pour l’annonce de la passion, les disciples se taisent (Mc 9,34a). C’est le narrateur qui nous rapporte ce dont il s’agissait (Mc 9,34b). On peut constater le grand décalage entre, d’une part, l’enseignement de Jésus et, d’autre part, la préoccupation des disciples : « qui est le plus grand ». Les positionnements ont toujours préoccupé l’homme. Les disciples n’y échappent pas. Jésus en profite pour donner un autre enseignement concernant le service.

Marc semble passer aisément des disciples aux douze (Mc 9,35) qui sont les auditeurs de ce deuxième enseignement. Leur mention donne au texte une allure différente. Dans le même sens, nous avons la position assis, qui symbolise un enseignement qui fait autorité. Lorsqu’il faut parler aux douze, Jésus adopte une attitude d’autorité. A la manière des rabbins juifs, Jésus s’assied pour enseigner (cf. Mt 5-7). L’enseignement se déroule selon deux modalités : la parole (Mc 9,35.37) et le geste (Mc 9,36). Etre dernier et serviteur de tous, voilà comment on devient le plus grand. En plus, cette attitude d’abaissement est complétée par l’accueil des plus petits. Sur le plan pédagogique, la démonstration mérite vraiment l’attention. Le Christ est un bon pédagogue. Mais il y a encore plus : ce qu’il dit, ce qu’il démontre, il le vit. Jean qui rapporte le lavement des pieds à la place de la dernière Cène, montre le Christ qui se lève de table, se ceint les reins avec un morceau d’étoffe, et commence à laver les pieds de ses disciples (Jn 13,1-11). La leçon qui s’en suit est à la hauteur du geste accompli : se laver les pieds les uns les autres (Jn 13,14).

De ce dernier point, nous nous permettons une considération pour l’Eglise d’Afrique, à l’orée de la deuxième Assemblée spéciale du Synode des Evêques. Un des points que relève l’instrument de travail qui servira de base à la réflexion est celui de « service » qui apparaît déjà dans le thème principal de ce Synode : « L’Eglise en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix (…) ». L’Eglise-famille de Dieu en Afrique veut se définir, en matière spécifique de réconciliation, de justice et de paix, comme une servante. Ceci pousse tout chrétien africain à se mettre résolument au service fraternel surtout des plus faibles (cf. n. 68). C’est la voie royale que le Seigneur nous a laissée, lui qui, le premier, s’est abaissé pour servir l’homme. Lui qui n’a pas craint de donner sa vie pour le salut du monde.

 

Abbé Ildevert Mathurin MOUANGA