Remonter à l’origine pour découvrir le vrai sens des choses

 

Remonter à l’origine pour découvrir le vrai sens des choses (27ème Dimanche ordinaire – Année B)

 

Textes : Gn 2, 18-24 ; Ps 127 (128), 1-6 ; Hb 2, 9-11 ; Mc 10, 2-16

 

L’Evangile de ce dimanche traite dans sa grande partie du mariage (Mc 10, 2-12) et ajoute, comme un appendice (dont on ne voit pas tellement le lien avec ce qui précède), l’entrée des petits enfants dans le Royaume de Dieu (Mc 10, 13-16). Plus loin, nous essaierons de comprendre pourquoi les évangiles ont ces deux moments l’un à la suite de l’autre. Evidemment, Matthieu, qui a le même texte que Marc, suit pratiquement la même logique (Mt 19, 3-12 + 13-15). Il devrait y avoir une intention que nous essaierons donc de comprendre.

La question du mariage revêt une très grande importance. C’est un des aspects sur lesquels le Nouveau Testament se démarque de l’Ancien et présente la nouveauté. L’Ancien Testament, en effet, ne détermine pas le nombre de femmes qu’un homme puisse avoir, une seule ou plusieurs. Les patriarches en ont parfois plus d’une. Les rois, David et Salomon les plus en exergue, en auront eues plus que le nécessaire. Ainsi, c’est le Nouveau Testament qui fixera la barre à une femme, revenant au projet de la création du monde par Dieu (Gn 1, 27 ; 2, 24). C’est finalement un des aspects qui influenceront fortement la civilisation occidentale, de quoi parler aujourd’hui, dans ce domaine aussi, des racines judéo-chrétiennes de l’Europe. Il s’agit enfin d’une réalité pour laquelle, l’Afrique, qui a reçu plus ou moins récemment le grain de l’Evangile, doit aussi se déterminer, pour une culture toujours plus africaine et toujours plus chrétienne.

Tout commence avec une question indirecte mise dans la bouche des Pharisiens. Ils veulent savoir s’il est permis à un homme de répudier sa femme (Mc 10, 2). Les Pharisiens, en effet, sont reconnus pour leur attachement à l’interprétation de la Torah, la Loi de Moïse. Mais dans leur système apparemment minutieux et bien élaboré, certains points pouvaient rester litigieux. C’est le cas des raisons de répudiation d’une femme. Probablement, la question qu’ils posent à Jésus a une valeur doctrinale. Jésus, qui devait connaître cet attachement à Moïse, les ramène donc sur leur propre terrain. « Que vous commanda Moïse ? » (Mc 10, 3). La réponse est tirée du Deutéronome (Dt 24, 1.3), un livre qui a une grande audience dans le Nouveau Testament (99 citations directes), et qui est présenté comme une interprétation de la Loi par Moïse lui-même. Dans cette partie de la collection de lois du Deutéronome (Dt 12-26), on aborde divers problèmes d’ordre éthique, entre autres l’éthique conjugale (Dt 24, 1-4.5 ; 25, 5-10). Le Deutéronome se trouve parmi les cinq livres que la religion juive considère comme normatifs pour la foi. Pourtant ce n’est pas là que Jésus s’arrête. Il veut remonter plus haut, plus loin, à l’idée des origines. Les choses se comprennent mieux lorsqu’elles sont reportées à leur origine. La lecture normative (canonique) de la Bible a voulu que le livre de la Genèse soit le premier de la Bible, parce qu’il raconte justement l’origine de l’univers, de l’humanité et d’Israël, le peuple de Dieu. En remontant à l’origine (inscrit dans « le premier livre révélé »), on découvre les vraies raisons, les vrais motifs, le vrai sens de la vie. Ainsi Jésus recourt à la Genèse, le premier livre qui est attribué à Moïse.

En remontant à l’origine, la Révélation met en exergue le refus du divorce. Celui-ci est présenté comme contraire à la  volonté de Dieu telle qu’elle apparaît dès les origines. Cette vérité de foi sera toujours défendue par l’Eglise, sacrement (c’est-à-dire, signe visible et efficace) de la présence du Christ dans le monde. Dans un autre sens, considérant la mentalité de l’époque des premières communautés chrétiennes, le refus du divorce aurait pu avoir pour fonction sociale de protéger la femme qui était considérée comme un être sans droit. Le passage de Matthieu l’illustre assez bien. La question des Pharisiens ajoute « pour n’importe quelle cause » (Mt 19, 3). Il devrait donc y avoir une intention d’endiguer certains abus envers la femme, le cas du divorce. La raison est évidemment qu’en remontant à l’origine, on découvre que la femme est revêtue de droit autant que l’homme, parce que c’est seulement ensemble (homme et femme) que l’être humain est et reflète l’image de Dieu et sa ressemblance (Gn 1, 27). Ainsi, la révélation du Christ montre déjà une évolution de la considération de la femme par rapport à l’homme, considération que l’on trouve dans le dessein de Dieu dès l’origine.

Alors s’explique l’unité que l’homme et la femme réalisent. Une unité qui devient manifestation de la volonté de Dieu, de son image. Une unité qui devient aussi manifestation de l’égalité entre les deux au cœur de la création, au cœur de l’univers. Seuls des êtres égaux peuvent former une unité. Unité ici ne veut pas dire fusion (encore moins, confusion) de l’un dans l’autre, mais unité dans la diversité de la nature humaine, complémentarité. Cette unité exige le détachement, l’arrachement à la famille d’origine (père et mère ; cf. Mc 10, 7-9), pour qu’elle se réalise mieux. Et cela est aussi volonté divine. Mais cette unité est profonde dans la mesure où elle n’est pas une unité d’idées, de croyances ; mais une unité qui affecte le corps, la chair. En portant plus loin l’interprétation, on dirait : deux personnes mais un seul corps. On comprend alors l’insistance que porte l’Evangile sur ce point. L’expression « une chair » est reprise deux fois (Mc 10, 8). D’abord comme citation de la Genèse (2, 24), puis comme précision de l’Evangile. En effet, c’est dans la Genèse même que l’on trouve cette exclamation de l’homme à la vue de la femme : « chair de ma chair, os de mes os » (Gn 2, 23). Il ne pourrait y avoir d’unité physique aussi profonde.

La suite précise de manière négative l’objectif du refus du divorce (Mc 10, 10-12) : ne pas tombez dans l’adultère, ne pas y induire. Les commandements de la deuxième table du décalogue portent aussi sur l’adultère (7ème commandement ; cf. Ex 20,14 ; Dt 5, 18). Il s’agit donc d’un manquement grave à l’alliance stipulée par Dieu en faveur d’Israël. On peut percevoir à cet endroit l’influence que les dix commandements exercent encore dans le Nouveau Testament. L’éthique chrétienne est basée sur le rapport d’alliance entre Dieu et Israël. Celle-ci met au centre la voix entendue par Israël au pied du Sinaï, qui est comprise comme la voix de Dieu (Ex 19-20 ; Dt 5, 1-5.22.32). Les évangiles synoptiques vont tous adopter cette norme. Matthieu la reprendra deux fois, d’abord dans le sermon de la montagne qui est considéré comme la loi de la nouvelle communauté d’alliance (Mt 5, 27-30), puis dans cette section où il parle du mariage et de son absence (Mt 19).

La séquence de l’enfance spirituelle pour entrer dans le Royaume de Dieu ne présente aucun lien visible, ni de vocabulaire, ni de thématique avec ce qui précède, mais la succession des deux, de sorte qu’on les présente ensemble dans la liturgie est intéressante. On dirait qu’accepter les exigences du mariage (avec le double refus du divorce et de l’adultère) qui viennent d’être évoquées, signifie accepter cette enfance qui est le gage de l’entrée dans le Royaume de Dieu. Il y a un abaissement à devoir opérer dans l’acceptation du renoncement au divorce, qui devient adoption de l’attitude de l’enfance spirituelle.

Tout au début, nous avons avancé que l’Afrique aussi doit s’acheminer vers le choix du mariage monogamique et du renoncement au divorce. Ce choix exprime une certaine maturité de la foi, avant qu’il soit un problème culturel. Il s’agit d’adopter une attitude relative à l’alliance entre Dieu et Israël. Notre société doit encore se déterminer sur ce choix, qui, avant d’être une réalité culturelle introduite par le contact avec l’Occident, est un principe de la Révélation chrétienne, enseigné par Jésus Christ. Comment pourrait-on construire des familles chrétiennes (disons mieux, des foyers chrétiens) en Afrique en dehors du principe évangélique : un homme et une femme, jusqu’à la mort ? Comment pourrait-on consolider ces foyers, ces familles, sans renoncer au divorce facile ? Il ne saurait y avoir de familles chrétiennes (foyers chrétiens) sans mariage chrétien, c’est-à-dire cette union entre un homme et une femme que le Christ a élevée au degré de sacrement, c’est-à-dire de signe de l’union de Dieu avec l’humanité, du Christ-époux avec son Eglise-épouse, et enfin des hommes entre eux. La culture doit se laisser interpeler par la foi, par l’Evangile, pour réaliser la symphonie d’une Eglise authentiquement africaine et authentiquement chrétienne, capable de féconder une culture à la fois africaine et chrétienne.

 

Abbé Mouanga Ildevert Mathurin.