La figure du prêtre congolais dans notre Eglise particulière et dans la société congolaise...

 

La figure du prêtre congolais dans notre Eglise particulière et dans la société congolaise aujourd’hui

 

1- La charge du nom : comment m’appelle-t-on et pourquoi ?

Je voudrais à grands traits revisiter avec vous l’histoire et le contenu d’un nom qui marque l’identité du prêtre congolais et qui dessine sa figure publique ainsi que sa fonction sociale depuis plus d’un siècle, c’est-à-dire depuis l’évangélisation de l’actuel territoire du Congo-Brazzaville. Ce nom issu des langues bantou d’Afrique centrale est significatif et riche à plus d’un titre : linguistique, religieux, théologique. En même temps, il dénote une intelligence d’inculturation du christianisme en terre africaine : comment fallait-il nommer dans les langues du terroir ce personnage qui était le héraut de la nouvelle religion venue d’Europe et qui parlait en termes nouveaux  du Dieu déjà connu ? On l’a appelé très tôt « nganga Nzambi ». Il nous faut l’apport des historiens pour situer exactement l’apparition de ce terme ; mais nous pouvons avancer l’hypothèse selon laquelle cette manière de désigner le prêtre catholique est apparue dans le royaume de Koongo au 17ème siècle avec l’arrivée des premiers missionnaires chrétiens venus du Portugal.

Au 19ème siècle, alors que commence une nouvelle phase de l’implantation du christianisme dans de nouveaux pays (Angola, Cabinda, Congo français et Congo belge) issus globalement de l’ancien royaume, le mot ressurgit. Une chose est sûre au vu de la prégnance de ce terme tant dans la culture populaire traditionnelle que dans la langue de l’Eglise locale : « nganga Nzambi » est la rencontre, le dialogue et le compromis  entre la culture religieuse bantou d’une part et la vision chrétienne occidentale de la culture bantou et de la fonction du prêtre catholique d’autre part.

Il est intéressant de noter qu’en même temps qu’on appelle le prêtre « nganga Nzambi », c’est-à-dire qu’on le nomme avec un néologisme entièrement forgé avec deux mots de la langue locale, d’autres réalités du christianisme vont se contenter d’être désignées de noms résultant d’une simple transformation phonétique de langues européennes : ecclesia ou léglise pour parler de l’Eglise ; batissimo ou batéma pour parler du baptême...

Maintenant, hors du champ de l’histoire que nous avons encore à explorer, il nous faut remonter, non pas chronologiquement mais linguistiquement et symboliquement à cette nomination originelle et originale à la fois qui définit le prêtre dans un schème culturel, social et religieux typiquement bantou. Ici, on ne s’est pas contenté de traduire phonétiquement car, sans doute, non seulement l’enjeu de la dénomination était capital pour autant que le nom contient l’être et les potentialités de la personne, mais aussi parce que d’emblée le prêtre a été compris et s’est compris lui-même clairement comme un élément majeur qui avait sa place dans la société et dans la culture religieuse bantou, à côté d’autres éléments plus anciens, tel le « nganga ».

2- Nganga, l’homme qui maîtrise et équilibre les forces

Le mot est difficile à traduire dans les langues d’emprunt qui nous ont servi à entrer en philosophie et en théologie. Plutôt que de traduire, il faut aller scruter la fonction et l’agir de celui qui est littéralement le détenteur d’une force (ngangou) spirituelle hors du commun et qui est en mesure de maîtriser les forces spirituelles propices ou néfastes aux hommes, de les invoquer pour atteindre le but que recherchent ceux qui viennent le consulter : guérison, réussite, protection pour soi-même et les siens ou malheur et destruction de ses ennemis. Dans le métier de nganga, il y a des généralistes et des spécialistes ; tel est spécialisé dans le traitement de la stérilité, tel autre dans la maîtrise de la pluie, tel autre encore dans le traitement de la folie... Le nganga est aussi le voyant capable de prédire l’avenir.

De toute évidence, la fonction sociale du nganga est indéniable dans un monde régi par les esprits, les uns bénéfiques, les autres maléfiques. Il y a le roi ou le chef qui assure la cohésion de la communauté par l’autorité de sa sagesse et de sa parole ; il ya les guerriers qui la préservent des assauts des ennemis externes, il y a les agriculteurs et les artisans qui assurent sa prospérité économique, il y a les couples qui assurent sa pérennité par-delà les générations...Mais quand le jeu des forces penche du côté de la division, de la défaite, de la disette, de la stérilité, on appelle au secours le nganga pour qu’il rétablisse, grâce à sa connaissance, à sa puissance et à son rituel, l’équilibre en faveur de l’unité, de la prospérité et de la fécondité ; en un mot : de la vie.

Mais du fait qu’il a une maîtrise sur les esprits qui commandent aux différents éléments de la nature, le nganga peut aussi se servir des forces maléfiques à la demande de ceux qui sollicitent ses services pour nuire à d’autres personnes.

Le nganga est donc un personnage ambigu ou ambivalent, tantôt dispensateur de bienfaits, tantôt semeur de maléfices. Dans l’un et l’autre cas, il est craint car son pouvoir ne vient pas de lui-même mais des esprits ou de Dieu.

Telle est d’une manière  condensée la fonction de celui qui a donné au prêtre catholique la moitié du nom par lequel on le désigne en terre congolaise.

3- La vie des héritiers.

Le prêtre catholique a hérité du nganga une partie du nom qui est désormais le sien et qu’il n’a du reste jamais lui-même contesté ; au contraire il l’a revendiqué, en y accolant le terme Nzambi, nom propre, avec des variantes, en langues bantou du Dieu unique. Il pensait ainsi se distinguer et se démarquer du nganga des cultures bantou qui agissait en manipulant ou en invoquant des forces ou des esprits de tous bords, tandis que lui, le nganga de Dieu, mettait au service des hommes la seule puissance du Dieu unique pour leur apporter le bonheur.

Les historiens de l’implantation du christianisme en terres koongo et congolaises peuvent nous partager le fruit de leurs recherches sur la résistance culturelle des bantou à la pénétration du christianisme. Il est clair que cette résistance n’était pas  de la même vigueur ici et là ; cependant nous pouvons noter une constance : cette résistance était justifiée par le fait que le christianisme s’attaquait aux fondements de la pensée religieuse bantou et à ses techniques magico-religieuses, à ses rites qui, jusqu’à preuve du contraire, étaient la manière la plus efficace d’avoir prise sur le réel et de s’assurer une vie sereine et heureuse. A partir du moment où la nouvelle religion pouvait donner la garantie qu’une fois ces techniques traditionnelles mises au rancart, en les affublant au passage des oripeaux de Satan, les hommes bénéficieraient de la protection  de Dieu dont le prêtre était l’intendant, ce dernier pouvait alors occuper le champ cultuel et rituel dont le nganga avait été exclu.

Aujourd’hui encore plus que par le passé, l’image du prêtre, aux yeux d’un bon nombre de Congolais, et à ses propres yeux, reste profondément marquée par cette dénomination originelle et originale qui est suspecte, à mon humble avis, d’un malentendu fondamental : en le désignant comme nganga ( peu importe la qualification qui s’y rapporte : Dieu ou Satan), le prêtre est confiné dans le registre de celui qui est investi par une puissance au-delà de l’ordinaire d’un pouvoir de médiation entre cette puissance-là et les humains et il joue à pleins tubes la mélodie de l’intermédiation entre le monde invisible et le monde commun qui demeure le rôle incontesté des nganga. Le prêtre est vraiment nganga car il est censé apporter une solution à tous les problèmes que les gens lui apportent avec la bonne conscience qu’étant chrétiens leur foi ne leur permet pas d’entrer dans la case d’un nganga traditionnel ; mais le bureau d’un prêtre ou la sacristie sont des espaces autorisés pour les mêmes demandes dans l’espoir d’obtenir les mêmes bienfaits que ceux procurés par la médiation devenue suspecte du nganga traditionnel.

L’examen tant soit peu minutieux de l’agenda quotidien des prêtres congolais exerçant leur ministère dans les grands centres urbains est révélateur à ce sujet ; ils passent le plus clair de leur temps à poser des actes rituels (prières, bénédictions, exorcismes et messes) censés apporter un confort physique, psychologique et matériel à ceux qui requièrent leurs services. Mais en plus ou en dehors de cela, le prêtre n’a-t-il pas autre chose à faire ou à proposer pour libérer les gens et les mettre sur le chemin de leur propre prise en charge ?

4- Le prêtre, co-auteur du développement intégral des personnes.

Nous n’avons encore rien dit de la situation économique, politique et sociale qui est la toile de fond de tout ce déploiement magico-religieux sur lequel les prêtres sont fortement concurrencés par les nouvelles églises aux noms aussi alléchants que leur programme visiblement destiné à appâter de nouveaux adeptes (l’Eglise de la toute-puissance divine annonce des séances de prières et d’imposition des mains avec à la clé des miracles : guérison des malades, assurance pour les chômeurs de trouver du travail et pour les célibataires de trouver l’âme sœur...). Le chômage, la sous-alimentation, le délabrement des structures sanitaires et scolaires, la violence et les guerres civiles à répétition sont le lot de toute une génération de Congolais qui voit en même temps une infime minorité de leurs concitoyens vivre dans l’opulence. A défaut de se mobiliser pour changer le réel, la masse des laissés-pour- compte du boom pétrolier s’engage à inventer en rêve les responsables de sa descente au sous-sol de la misère : ce sont les sorciers que l’on trouve dans la famille proche ou dans le voisinage ; la meilleure manière d’échapper à leurs griffes est de se munir de la protection spirituelle qu’offrent les hommes de Dieu ; alors les nouveaux mouvements religieux pullulent sans pour autant que les Eglises ayant pignon sur rue désemplissent. Décidément la pauvreté est un terreau prospère à la religiosité à tout-va.

C’est sur ce lieu dramatique que le prêtre et l’Eglise catholique ont à faire la différence, non pas motu proprio mais à la demande pressante du Maître dont nous n’avons pas encore évoqué le nom : Jésus Christ. Le Maître qui invitait ses disciples à donner à manger aux foules qui avaient faim ne peut pas se dédire aujourd’hui ; et la manière la plus appropriée  pour le prêtre de répondre à l’invitation de Jésus aujourd’hui est d’être avec  Lui et avec  ses concitoyens  auteur du développement intégral ; faire se lever des personnes, des communautés et toute une société grâce au don de l’Esprit reçu qui passe également par une pensée rationnelle et une prière agissante qui ne se limite pas à des incantations ou des demandes mais qui prend à bras le corps le problème de la pauvreté matérielle en mettant à nu ses racines et en provoquant une thérapie par le travail et la solidarité. N’est-ce pas dans cet Esprit que les premiers prêtres congolais animaient leurs paroisses qui étaient des exemples de développement local intégral avec leur production agricole et fermière, avec leur école et leur dispensaire. Ces figures de prêtres chefs de communautés paroissiales et leaders de communautés humaines devraient être un stimulant dans la donne socio-économique actuelle.

5- Le prêtre enseignant puisqu’il est l’Ancien.

En tant qu’il est collaborateur de l’évêque successeur des apôtres, le prêtre est leader du développement intégral quand il tient sa fonction d’enseignant que Jésus ressuscité  assigne aux apôtres. Ce qu’il enseigne, c’est une parole vivante qui a nom Jésus et qui convoque ceux qui la reçoivent à de nouveaux modes de penser et de vivre face au poids des coutumes parfois déshumanisantes et obstacles à l’épanouissement des personnes et des communautés ; face aux habitudes perverses qui ont tendance à s’imposer sinon comme la norme du moins comme des moyens admis pour se sortir de la pauvreté : détournement à des fins personnelles des biens de la collectivité, pillage...

Cette figure du prêtre enseignant au nom de Jésus et qui éduque en formant les hommes dans une mentalité de responsabilité et de solidarité mérite que l’on s’y penche car, dans un passé récent, l’Eglise a été le lieu par excellence de l’éducation intégrale grâce à ses écoles, collèges et lycées, et grâce à la catéchèse. Trente ans d’idéologie marxisante et anti- ecclésiale puis des guerres civiles à répétition ont défait la culture traditionnelle marquée du respect de la vie et de l’autorité des anciens en tant que gage de l’harmonie et de la paix sociale. Aujourd’hui, ce sont des enfants et des jeunes en armes qui tuent, violent, pillent et humilient les anciens censés détenir l’autorité, cela quasiment en toute impunité. Les prêtres et les évêques sont souvent eux-mêmes victimes de ce déni d’autorité que leur conférait jusqu’à présent naturellement leur fonction d’enseignant de la Parole de Dieu.

Pour autant, ils n’abdiquent pas de cette fonction car, dans une société qui a symboliquement et physiquement tué ceux qui jouaient la fonction d’anciens et de sages, et qui a promu des jeunes imbus de violence comme modèles de chefs, le nouveau nom du prêtre est à chercher du côté non plus de la rencontre entre la tradition bantou et le christianisme occidental, mais à travers la figure, il est vrai, autant évasive que suggestive, du presbytre des communautés pauliniennes . Prendre conscience de son statut d’Ancien (prêtre) situe le nganga  Nzambi en tant que le « mbuta muntu » ( Ancien en langue koongo). L’un ne va pas sans l’autre car, ici et là, se dévoilent le ministère du seul et vrai Prêtre qui assure la communication et la communion entre Dieu et les hommes : Jésus Christ qui remet l’humanité à la puissance souveraine de Dieu et qui est l’Aîné de la nouvelle humanité réconciliée avec elle-même et avec son Créateur.

 

                                                                                                     Olivier MASSAMBA-LOUBELO

                                                                                                      Prêtre, Docteur en Philosophie

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