Désormais, ce sont les hommes que tu prendras

 

Désormais, ce sont les hommes que tu prendras (5ème  Dimanche ordinaire - Année C)

 

 

Textes : Is 6, 1-8 ; Ps 137, 1-5. 7-8 ; 1Co 15, 1-11 ; Lc 5, 1-11

 

 

Je serai ton messager (Première lecture)

 

C’est sans doute dans un contexte de grave crise sociopolitique que ce passage de la vocation d’Isaïe a été composé. Il met en valeur la gloire et la sainteté du Seigneur, faisant ainsi ressortir la petitesse, l’indignité et la condition pécheresse du prophète. Le tout dans un cadre liturgique, non seulement avec la mention du temple et de l’autel, mais aussi des séraphins qui chantent la sainteté et sont au service et de Dieu et du prophète (vv2. 5-7).  Après l’aveu de son état de pécheur dans un peuple aux lèvres impures, après sa purification, le prophète est prêt à répondre au Seigneur : « Moi, je serai ton messager, envoie-moi » (v8).

 

Je te rends grâce Seigneur (Psaume)

 

Ce texte, que nous pouvons considérer comme un psaume d’actions de grâce (vv1. 2. 4), met en relief tout ce que le Seigneur, qui est amour et vérité, a réalisé et continue à faire. Ce n’est pas en vain que le psalmiste s’adresse à lui ; il répond à l’appel qu’on lui adresse, et il donne la force. Comme l’a montré Isaïe, il est vraiment le Seigneur de gloire. Même les rois de la terre le reconnaissent (vv4. 5).

 

Je vous rappelle la Bonne Nouvelle (Deuxième lecture)

 

Cette Bonne Nouvelle, annoncée par Paul en personne, puisqu’il est le fondateur de l’Eglise de Corinthe, consiste en l’annonce du Christ mort pour nos péchés, mis au tombeau, ressuscité le troisième jour et apparu aux hommes choisis par Dieu, dont lui-même. C’est une annonce à la fois historique, ecclésiale et personnelle. L’annonce du Christ est enracinée dans les Ecritures, dans la tradition et dans l’expérience personnelle. Les Ecritures et la tradition sont un ensemble inséparable qui accompagne, éclaire et soutient le peuple de Dieu en marche. L’apôtre n’a pas inventé ce qu’il a annoncé. Il l’a lui-même reçu, pour le transmettre ensuite. Ceux qui le reçoivent, c’est pour leur salut, à condition qu’ils le gardent tel qu’il l’a annoncé, pour pouvoir le transmettre, à leur tour, aux autres. 

 

L’événement Jésus-Christ n’est pas un mythe, c’est une réalité de foi et une réalité historique. Le fait central de la résurrection s’inscrit dans la même dynamique, puisque le Christ, non seulement est ressuscité, mais il est aussi apparu de manière bien ordonnée. Il est apparu à Pierre et aux Douze (v5), à cinq cents frères à la fois (v6), à Jacques et à tous les apôtres (v7),  et, en dernier lieu, à lui-même Paul (v8). Dans le même élan, mettant en relief la figure du Christ ressuscité, Paul met en lumière sa petitesse et son indignité « d’être appelé apôtre » (v9). Avec simplicité et fierté, il fait apparaître la puissance de la grâce et le fait que cette grâce, en lui, n’a pas été stérile. Il s’est donné de la peine plus que tous les autres. Mais le mérite en revient plutôt à la grâce.

 

Désormais, ce sont les hommes que tu prendras (Evangile)

 

Après avoir écouté la manière dont ont été esquissées les vocations d’Isaïe et de Paul, nous voici sur celle des premiers apôtres. Luc en présente ici un tableau saisissant, en une sorte d’épiphanie, qui place sous nos yeux, d’abord la majestueuse figure du Christ, ensuite celle de Pierre et des deux autres disciples, ainsi que la foule. Jésus est présenté comme celui qui est souverainement libre, qui enseigne, qui choisit et appelle : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis et vous ai établis » (Jn 15, 16). Il se présente comme un véritable maître qui « s’assoit et, de la barque, enseigne la foule ». C’est lui qui choisit la barque de Pierre, lui demande de s’éloigner un peu du rivage, « d’avancer au large et de jeter les filets ». Devant le miracle qu’il accomplit, il révèle sa sainteté et sa puissance divine. Et, enfin, de façon discrète,  il appelle Pierre à le suivre.

 

La figure de Pierre se détache de façon suffisamment claire. Son nom revient cinq fois sous la plume de Luc. C’est sa barque que Jésus choisit (v3). C’est  à  lui que Jésus demande de s’éloigner un peu et d’avancer au large (v5). C’est à partir de lui que se conjuguent, de façon surprenante, le singulier et le pluriel. Jésus lui dit « d’avancer au large » (au singulier, v4) et de jeter les filets (au pluriel, v4). Il dit à Jésus « qu’ils ont peiné toute la nuit sans rien prendre (au pluriel, v5), mais sur son ordre, il va jeter les filets (singulier, v5). « Ils prirent une grande quantité de poissons (au pluriel, v6). Vers la fin, il se détache des autres, pour avouer humblement son état de pécheur devant Jésus Seigneur (v8). C’est à lui que Jésus adresse discrètement son appel, en précisant ce qu’il fera, presque en lien avec le métier qui était le sien (v10). A la fin, nous voyons que l’appel adressé à Pierre seul a impliqué aussi les autres, puisque tous le suivent (tout est au pluriel, cf. v11)

 

Il est bien question de deux barques, celle de Pierre étant mise en relief(cf. v3), tandis que l’autre n’est mentionnée que vers la fin ( cf. vv2. 7. 7). Les compagnons de l’autre barque (v7) ne sont vraiment présentés que vers la fin (cf. 9). Le caractère ecclésial de ce passage est à souligner. La barque de Pierre et les filets sont comme le symbole de l’Eglise, qui est appelée à rassembler, comme son fondateur, les fils de Dieu dispersés à travers le monde. Et c’est Pierre – dont le pape est le successeur à travers les siècles - qui en est le chef.

 

Un rappel précieux pour les Congolais : Lc 5, 8 est le verset choisi par le Cardinal Emile Biayenda. Il est clair qu’il y aurait beaucoup à dire sur tous ces passages. Nous pouvons dégager certains points principaux : la primauté de Dieu qui appelle et envoie. C’est le cas chez Isaïe, de Pierre et ses compagnons. C’est aussi celui de Saint Paul. La sainteté de Dieu qui éblouit presque l’homme pécheur. Appelé, ce dernier reconnaît humblement son état de pécheur devant son Dieu. Et c’est ce que fait Pierre devant Jésus. La Parole de Dieu, les Ecritures, la tradition et l’expérience sont des éléments liés de façon indissoluble au sein de l’Eglise, dans laquelle le pape a une place unique parmi ses frères.

 

Tous ceux qui sont appelés par le Seigneur passent toujours par la reconnaissance de la sainteté de Dieu et de leur propre indignité, à cause de leurs péchés. Comme Pierre, surtout nous évêques, prêtres, religieux et religieuses, nous sommes appelés à servir l’Eglise et nos frères dans l’humilité. Sans oublier le courage que nous devons avoir pour accomplir la mission que Dieu nous confie. La force ne vient pas de nous, mais de la grâce de Dieu. Toute vocation, surtout la vocation au sacerdoce – sans oublier toutes les autres vocations, en particulier la vocation au baptême - est un don de l’Esprit à l’Eglise. Et ce don doit être exercé dans la simplicité et l’humilité. Tout au long de son ministère, de façon spéciale, le prêtre – l’évêque y compris - est appelé à reconnaître la présence du péché, d’abord en lui-même et dans le monde. Voilà pourquoi, surtout après le deuxième Synode Sur l’Afrique, nous sommes appelés à donner une grande place au sacrement de la réconciliation, qui n’est pas seulement à administrer aux autres mais aussi à recevoir nous-mêmes. Car, disait Jean Paul I, « celui qui est appelé à confesser les autres ne doit jamais oublier qu’il doit lui-même se confesser ». C’est seulement à cette condition que nous pourrons, à la suite de Pierre, « être, nous aussi, des pêcheurs d’hommes ».

 

                Mgr Bernard NSAYI

                Evêque émérite de Nkayi