Heureux, vous les pauvres |
Heureux, vous les pauvres (6ème Dimanche ordinaire - Année C)
Textes : Jr 17, 5-8 ; Ps 1, 1-6 ; 1Co 15, 12-20 ; Lc 6, 17. 20-26
Béni soit l’homme qui met sa confiance dans le Seigneur (première lecture)
Cette page du prophète Jérémie, très proche des textes sapientiaux, plonge ses racines dans le cœur de Dieu, dans l’histoire du salut et dans le peuple élu, dont l’une des figures les plus connues est le roi David, un des initiateurs des psaumes et préfiguration la plus évidente de Jésus Messie. Sa structure binaire et antithétique présente deux types d’hommes, celui qu’il ne faut pas suivre (vv5-6), et celui qu’il faut imiter (vv7-8). Tous les deux sont présentés par rapport à leur attitude vis-à-vis du Seigneur. Il y a celui dont le « cœur se détourne du seigneur », ne s’appuie que sur d’autres hommes comme lui. Cet homme est « maudit ». L’autre, par contre, met sa confiance dans le Seigneur. Il sera comme un arbre planté au bord des eaux. C’est le modèle que nous sommes invités à suivre, pour que nous puissions, nous aussi, porter du fruit » (cf. v8 ; Jn 15, 5).
Heureux l’homme qui n’entre pas dans les vues des méchants (psaume)
Ce petit chef-d’œuvre est comme une introduction de tout le psautier, dont les origines remontent à David (vers 1000 avant Jésus-Christ). Même si les thèmes qu’il présente sont nombreux, ceux de l’homme, de Dieu, du bonheur et du malheur sont mis en relief, comme c’est d’ailleurs le cas dans le Deutéronome, Isaïe, Jérémie et Ezéchiel, et dans les livres sapientiaux. A l’inverse du texte précédent, l’auteur place longuement, sous nos yeux, d’abord le type d’homme qu’il faut suivre (cf. vv1-3). Il le met d’abord en opposition avec les vues des méchants, c’est-à-dire leurs pensées et leurs intentions mauvaises, tout ce qui vient de leur cœur (vv1-2). Ensuite, il le situe dans sa relation avec le Seigneur : il se plaît dans sa loi (v2a) et murmure cette loi jour et nuit (v2b). S’appuyant sur des images de la nature, comme chez Jérémie, il le compare à un arbre planté près d’un ruisseau, qui donne du fruit en son temps (v3 ; cf. Ez 47, 12).
En finale, c’est encore le juste (au pluriel) qui est mis en relief, du point de vue de sa conduite, du « chemin » qu’il suit. Le méchant (toujours au pluriel), appelé par ailleurs « pécheur » (vv1. 2. 4. 6), est à peine mentionné et toujours en contraste avec l’homme « juste ». Il sera balayé par le vent et son chemin se perdra.
Le Christ est ressuscité d’entre les morts (deuxième lecture)
Ici, l’apôtre Paul présente encore, d’une manière synthétique et suffisamment claire, ce qui, désormais, donne sens à sa vie, c’est-à-dire la proclamation de l’Evangile, dont le centre est le Christ ressuscité. Pour cela, il fait appel, à la fois, au style, au vocabulaire, aux contrastes. «Le Christ est ressuscité » (v12), tel est le départ et la conclusion (cf. v20) de l’argumentation qu’il adresse aux Corinthiens. Et c’est le message que tous les disciples proclament, dans l’Eglise. Alors, l’apôtre s’étonne que certains affirment, en fait, le contraire. Les Corinthiens ont être surpris d’entendre l’apôtre Paul dire que certains nient la « résurrection du Christ ».
Depuis la théophanie de Jésus sur le chemin de Damas et sa parole : « Je suis Jésus que tu persécutes » Ac 9, 5), l’apôtre Paul a compris que Jésus et les chrétiens (l’Eglise) - qu’ils soient encore vivants ou déjà endormis dans le Seigneur - forment un seul corps. Son action rédemptrice, et spécialement sa résurrection, concernent tous les chrétiens. S’il est ressuscité, lui qui est la tête du corps, ses membres ne peuvent que ressusciter avec et par lui. Lorsque certains Corinthiens affirment « qu’il n’y a pas de résurrection d’entre les morts » (v12), ils nient, par le fait même, la résurrection du Christ. Ce faisant, ils sapent, à la base, le fondement de leur foi, la libération de nos péchés et le salut de ceux qui sont morts (vv13-18). En plus – ici saint Paul passe à la première personne du pluriel –, dans une telle hypothèse, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes » (v18). Or, cette hypothèse est fausse, puisque la vérité est que « le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier des ressuscités » (v20).
Heureux, vous les pauvres (évangile)
En lien avec les textes précédents, l’évangile présente la charte que doivent vivre ceux qui décident de suivre Jésus : apôtres, disciples et foule de gens (v17). Jésus les invite à rester unis à lui, pour être capables de porter du fruit, comme un arbre planté au bord d’un cours d’eau (cf. le psaume). C’est ainsi que leur est donné le Royaume de Dieu. Chez Matthieu, les béatitudes sont présentées en un bloc, dans un style unifié. La première béatitude semble plus spiritualisée. La forme, avec l’usage de la troisième personne, est impersonnelle. Le nombre des béatitudes, selon les critères retenus, peut varier de sept à neuf. Chez Luc, les béatitudes sont présentées selon la structure du passage de Jérémie et du Psaume 1. Elles sont plus concrètes, dans un style direct, qui rappelle le message de Jean Baptiste (cf. Lc 3, 10-14). Les quatre béatitudes et les quatre malédictions rappellent bien le style du Deutéronome
Mais ne nous y trompons pas, en essayant d’opposer les deux évangiles, puisque, comme vient de nous le dire l’apôtre Paul, il s’agit, en fait, d’un même évangile, avec des nuances et des insistances qui ont leur valeur. Il n’est pas faux de dire que le texte de Luc semble plus social que celui de Matthieu. De ce fait, il est plus dur et plus dérangeant, surtout par son style direct : « Heureux, vous les pauvres », « Malheureux, vous les riches ». L’insistance du présent, avec les quatre « maintenant », est manifeste et ajoute à la vigueur de l’interpellation (cf. vv21. 21. 25. 25). Il ne s’agit pas de se réfugier dans un futur tranquillisant, mais de se mettre dans des situations qui sont en accord avec le Royaume que Jésus vient inaugurer, en tenant compte du contexte social d’aujourd’hui.
Il ne s’agit pas d’une simple moralisation, mais plutôt d’un petit résumé de la théologie et de la christologie de Luc. En effet, Jésus, Verbe et fils de Dieu, s’est fait chair pour nous faire entrer dans la sphère de la divinité. Il vient pour nous donner la possibilité d’entrer dans le Royaume de Dieu, qui commence ici-bas et trouvera son accomplissement dans l’au-delà. Le Christ s’est fait pauvre, a accepté la faim, la haine du monde et les insultes. Le sort du maître sera le sort de ses serviteurs. Il est passé par la croix pour entrer dans sa gloire.
Pour que Dieu soit connu, aimé et servi, nous qui croyons en lui et qui constituons l’Eglise, sommes invités à un examen de conscience exigeant, pour que nous puissions nous faire pauvres pour enrichir les autres par notre pauvreté. C’est une invitation à la solidarité, au partage, à la fraternité et à un changement de style de vie, comme nous le demande le Pape Benoît XVI dans son encyclique Caritas in Veritate et le deuxième Synode africain qui a insisté sur tous les aspects de la Réconciliation, de la Justice et de la Paix.
Mgr Bernard NSAYI Evêque émérite de Nkayi
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