En mémoire du Seigneur

 

En mémoire du Seigneur (Fête du Corps et du Sang du Christ - Année C)

Textes : Gn 14, 18-20 ; Ps 109 (110) ; 1 Cor 11, 23-26 ; Lc 9, 11b-17.

Il ya belle lurette que l’éclat ostentatoire de la Fête-Dieu a disparu dans notre pays ; les jeunes d’aujourd’hui n’ont jamais connu ces  processions des foules avec le Saint-Sacrement dans les rues richement décorées : c’était beau et triomphal. Mais pour nous, les anciens, qui avons connu cela, il n’y a pas de quoi être nostalgique, car ce que la fête du Corps et du Sang du Christ a perdu en éclat, nous le gagnons dans l’appel à une méditation plus profonde du don que Jésus fait de sa vie ; ce même don nous engage à faire mémoire de lui, non seulement en célébrant l’Eucharistie, mais aussi en faisant de nous-mêmes une offrande à la gloire de Dieu.

La semaine dernière, au cours d’une récollection pour des adolescents de ma paroisse qui vont demain recevoir pour la première fois le Corps du Christ, j’ai lu avec eux, dans l’évangile selon saint Luc, le passage de la multiplication des pains, qui est proposé pour ce dimanche. La plupart d’entre eux n’y ont vu aucun lien avec la première communion à laquelle ils se préparaient, et certains m’ont même proposé de prendre l’évangile de l’institution de l’Eucharistie par Jésus la veille de sa passion. La réaction de ces enfants est saine et salutaire parce qu’elle nous appelle à aller plus avant dans l’intelligence du mystère eucharistique. Célébrer l’Eucharistie, ce n’est pas seulement un geste liturgique que nous accomplissons pendant la messe.

En effet, faire mémoire du Seigneur comme il nous a dit de le faire en partageant le pain et la coupe, c’est d’abord contempler la vie tout entière de Jésus, qui est un don à tous les hommes et toutes les femmes qu’il rencontre avec leur fardeau et leurs chaînes de toutes sortes. Jésus les libère de ce qui les alourdit ou les asservit pour qu’ils soient disposés à accueillir la Parole inouïe qui donne la vie éternelle. Dans l’évangile de ce jour, il est clair que l’annonce du règne de Dieu va de pair avec les guérisons, l’assurance d’un logement et de la nourriture. Aux Douze qui veulent esquiver la tâche de loger et de nourrir la foule qui suit Jésus, celui-ci leur assigne la responsabilité de leur donner à manger. Quelle surprise ! Jésus nous enseigne par là que Dieu n’escamote pas ce que les économistes appellent les « besoins fondamentaux : se nourrir, se loger, se vêtir ». Notre Dieu n’est pas un rêveur qui nous offrirait le bonheur sans tenir compte de notre aspiration légitime à soigner ce corps physique que lui-même nous a donné. Ils sont dans l’erreur la plus totale et l’ignorance la plus crasse, ceux qui se détournent du Dieu des chrétiens sous prétexte qu’il n’offrirait le bonheur qu’outre-tombe.

L’Eglise a bien entendu et retenu l’injonction du Christ : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » ; c’est pour cela que la doctrine sociale de l’Eglise met au cœur de la foi chrétienne l’engagement au développement, à la paix, au respect de la dignité des personne... Dans notre pays où la pauvreté et la misère frappent durement la majorité de nos concitoyens, les communautés chrétiennes qui célèbrent aujourd’hui la fête du Corps et du Sang du Christ doivent rivaliser d’initiatives et d’ardeur pour se donner à manger et donner à manger à ceux qui sont démunis, non pas à la manière des bonimenteurs qui lancent çà et là des miettes aux pauvres, mais par des plans ambitieux pour créer du travail et des revenus pérennes. Notre diocèse, dont l’immense majorité des ressortissants sont des paysans, est interpelé à faire face à de tels défis majorés par les effets de la guerre civile.

Cette multiplication des pains a un parfum de célébration eucharistique que dévoilent  les gestes et les paroles de Jésus qui «  prit les pains... et levant les yeux au ciel,  il les bénit,  les rompit et les donna à ses disciples... ». Quand j’ai dit lentement et solennellement ces mots, mes adolescents qui se préparaient à leur première communion se sont écriés : « mais c’est les paroles de la messe... » Ces enfants ont bien saisi, comme vous et moi, que Jésus ne veut pas en rester à donner du pain et des poissons pour se remplir le ventre, car une fois le ventre plein, les êtres humains n’ont pas rempli leur contrat avec eux-mêmes ; ils sentent plus ou moins perceptiblement qu’il y a autre chose que la nourriture pour être heureux.  Une fois qu’il les a nourris physiquement, Jésus leur propose de faire une autre quête et de goûter à une nourriture qui donne à la fois saveur d’humanité et de divinité  à leur existence.

Ecoutons alors Christ dire : « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt4, 4). Christ n’est-il pas la Parole éternelle de Dieu, lui qui nous dit encore qu’il est le Pain vivant descendu du ciel ? Manger Christ, c’est recevoir en nous la vie de Dieu, c’est devenir ce que nous mangeons, corps et sang du Christ. C’est donc aussi notre fête à nous aujourd’hui qui sommes le corps et le sang du Christ. Au cours de chaque eucharistie, nous faisons mémoire de Jésus qui a donné sa vie sur la croix pour nous. Faire mémoire, c’est croire que cette vie continue à être donnée maintenant ; le sacrifice de la croix est présent dans notre monde et dans nos vies.

Nous allons rentrer chez nous à la fin de la messe, mais c’est là qu’une autre messe commence, plutôt la messe continue, car nous allons faire mémoire de Jésus en donnant nous aussi notre vie, notre temps, notre attention, notre énergie, notre amour à nos frères et sœurs. Et là, nous ne pouvons pas tricher, car tout le monde est capable de mesurer notre implication personnelle et communautaire pour que notre prochain ait son compte de pain et d’amour.

 

Abbé Olivier MASSAMBA-LOUBELO