Prenez garde de vous laisser abuser

 

Prenez garde de vous laisser abuser (33ème Dimanche ordinaire-Année C) 

 

 

Textes: Ml 4, 1-2; Ps 98; 2 Th 3, 7-12; Lc 21, 5-19   

 

 

Les abuseurs de foules dans nos rues

 

Un jour, peut-être, on a eu l’occasion d’écouter un prédicateur ambulant. On le sait, ce dernier procède de manière à clouer au pied du mur les passants vautrés dans l’iniquité. D’un clin d’oeil, on aura remarqué qu’à la fin de son brouhaha, une collecte d’infortune est organisée à son bénéfice. Au grand dam de la foule désabusée, l’illustre messager sera retrouvé plus tard dans le bistrot, trinquant des bouteilles de bière. Aussi longtemps que la populace sera sous son contrôle, il s’emploiera au sacré devoir de parcourir les rues des villes, les sentiers des villages. Au bout du compte, il finira par convaincre même les oreilles les plus impénitentes. Sa méthode de réussite est simple : la peur de la fin des temps savamment nourrie et orchestrée dans les coeurs de ses adeptes. Ajoutés à cela, une croyance en forme buldozer, une prestation à relent kamikaze, délires pathologiques et incontrôlés... tout y passe. Du jour au lendemain, Monsieur le prophète montera une église. Bientôt, promettant monts et merveilles, par monts et par vaux, il roulera carrosse à la barbe de ses ouailles. Ceux-ci s’agenouilleront encore puisqu’ils devront lire dans ce luxe sauvage les signes de fécondité et de prospérité du ministère pastoral. Des hommes avisés diront qu’il y a du vrai dans tout ce charivari puisque le thaumaturge fait des ‘‘miracles’’. Argument d’autorité combien et souvent négocié à la limite de la supercherie et de la manipulation ! De l’homme réduit à la besace qu’il était, le bougre gravira illico les échelons de la gloire. Après cinq années de ministère fleuri à la bonne franquette des imprécations, notre cher prophète des derniers jours aura atteint la vitesse croisière de son ordre nouveau. Il est prêt à déménager à la cloche de bois : Bye-bye Brothers and Sisters!

 

Une année plus tard, voici que le roitelet de la foi est devenu propriétaire d’un grand appartement en plein Paris! Paris! Les grands coucous qui criaient bravissimo à ses discours alléchants auront sacrifié des mois de maigre salaire de travail harassant. Ils devront en payer le prix en larmes et en désolation. Le soir venu, ils regarderont le cœur serré leurs progénitures s’arracher, à qui mieux mieux, un bol de riz pour boucher un creux tenace de leur estomac. D’ici quelque mois, les pauvres petits rejoindront la cohorte des enfants de la rue, et les filles le harem des jeunes filles-mères. Bravo l’Afrique! Les cocufiés du ‘‘Dieu de la rue’’ iront crier justice au ‘‘Dieu de la raison’’ qui leur donnera la chandelle d’un bon sermon. Les premiers  mots en seront naturellement: heureux les sots et les naïfs en esprit, ils verront l’irréparable! Le psalmiste d’ajouter: peuple stupide et sans sagesse! Voilà un premier message quelque peu retors, discerné au ras de la lecture des textes de ce jour. Stop aux abuseurs publics sous couvert du nom de Dieu, aurait pu dire, avec raison, un vieux communiste!  

 

La mise en garde et l’espérance

 

Bon gré mal gré, ce message claironne dans nos esprits et nos cœurs. Il nous fait remonter deux mille ans d’histoire, lorsque, par un jour d’enthousiasme enivrant sur les splendeurs de Jérusalem, Jésus met en garde ses disciples: « prenez garde de vous laisser abuser, car il en viendra beaucoup sous mon nom, qui diront “c’est moi!” et “Le temps est tout proche.” N’allez pas à leur suite» (Lc 21, 8). Faisons un peu d’exégèse. Le contexte des paroles de Jésus est celui des discours dits eschatologiques (eschatos, fin; logos, discours)  Il s’agit sans nul doute de la thématique de la fin des temps. La page d’Évangile de Luc en regorge d’éléments illustratifs: guerres et désordres, tremblements de terre, pestes et famines, phénomènes terribles et grands signes venant du ciel (Lc 21, 9-11). La particularité de l’eschatologie de Jésus réside dans son aptitude à intégrer deux dimensions complémentaires: la mise en garde et l’espérance. La mise en garde: Jésus expose les signes précurseurs de la fin des temps sans s’y attarder. Les évènements se produiront absolument, mais il y a l’espérance. L’espérance: les disciples ne doivent pas en être effrayés (Lc21, 9). En Mt 26, 41, Jésus recommande aux siens de veiller et de prier.

 

Le langage de Jésus prend ses racines dans l’expérience eschatologique des prophètes d’Israël. Ce langage se met en branle par la formule introductive ci-après : voici venir le jour. La première lecture de M l4, 1-2 nous en donne le prototype. La dialectique de la mise en garde et de l’espérance y apparaît clairement. Mise en garde: le prophète Malachie est sévère à l’endroit des arrogants et des malfaisants. Espérance: le soleil de justice brillera pour ceux qui craignent le Seigneur. La mise en garde vise l’amendement du perverti. L’espérance balise des sentiers nouveaux pour un sursaut collectif.

 

Dans la deuxième lecture, Paul exhorte les Thessaloniciens à ce sursaut collectif. Son eschatologie révèle ici une touche particulière. En voici le contenu schématique: en attendant le retour du Seigneur, il faut travailler. L’oisiveté, la paresse et la vie de désordre ruinent l’attente. Paul insiste: le croyant doit travailler dans le calme pour manger le pain qu’il aura gagné et n’être à la charge de personne (Th 3, 7-12).

 

Deux autres messages viennent se greffer au premier susmentionné: le travail  comme  lieu de l’espérance agissante  et la foi en l’avenir.  

 

Le travail comme lieu de l’espérance agissante   

 

Le disciple du Christ s’interdit de s’abâtardir dans le statu quo de la paresse et de la passivité, de l’oisiveté et du vice. L’intransigeance de Paul, invitant tout le monde au travail, nous donne de lire les signes des temps sans oublier les impératifs actuels. Bon nombre de pays africains connaissent aujourd’hui un délabrement de plus en plus inquiétant de leur tissu social. Les causes en sont multiples, pour ne citer que celles dévastatrices des guerres interethniques et des conflits armés à répétition. Le Synode africain de 1994 nous en a donné un aperçu saisissant. De fait, il ne sera plus pardonnable à l’Afrique contemporaine de continuer à nourrir un prophétisme farfelu et enchanteur des collectivités. Le grand message de la mise en garde de Jésus peut se lire autrement comme une invite à l’espérance agissante. Le disciple du Christ ne doit en aucun cas négliger l’équilibre entre le devoir envers la terre et la foi dans le salut de Dieu. Cette attitude le propulse vers la joie de l’espérance dont la clé de lecture est l’amour et la fidélité du Seigneur (Ps98, 2-3). Joie consolante du Seigneur qui nous précède dans la douleur et l’épreuve! Joie laborieuse jaillissant au fin fond de nos cœurs quand tout est par terre! Joie contagieuse advenant au bout de l’effort quand le chaos a élu domicile!  

 

La foi en l’avenir

 

On a souvent stigmatisé l’afropessimisme africain comme porte d’entrée aux maux paralysants. Le cycle infernal de la peur du lendemain y joue un rôle de premier plan. A vrai dire, la conscience croyante africaine n’a pas suffisemment réorienté les drames de l’histoire d’Afrique sur la nécessité de prendre à bras-le-corps le présent vif. Devant les faits troublants qui surviennent dans le temps historique, Jésus n’encourage ni l’insouciance ni le volontarisme, ni le pessimisme ni le cynisme, ni l’optimisme bétat ni le futurisme démobilisateur. Il nous enseigne le réalisme avisé et la confiance en Dieu. Dans ce cas, le langage africain de la foi se doit d’être un discours mobilisateur à partir duquel les Africains et Africaines auront confiance en leur propre avenir. Pour être fécond, un tel discours a besoin d’intégrer la part de labeur qui revient aux acteurs eux-mêmes.   

 

 

Abbé Luc Augustin SAMBA