Vivre Noël 2010 dans le diocèse de Kinkala |
Vivre Noël 2010 dans le diocèse de Kinkala
Textes : Is 9, 2-4, 6-7; Ps 96; Tt 2, 11-14; Lc2, 1-16
Avec l’Église universelle, les Africains célèbrent la Nativité du Seigneur dans la joie et les chants, la danse et le tambour, le recueillement et la prière. Méditons les textes de la Messe de Minuit, en rapportant l’expérience de foi d’un diocèse, le Diocèse de Kinkala, au Congo-Brazzaville. Comment Noël y est célébré comme fête de la joie?
Un Sauveur et un Grand Chef nous est né
1. La vitalité des liturgies africaines
Il n’est pas nécessaire de présenter ici le Diocèse de Kinkala. Notre méditation de la fête de Noël est adressée, en premier lieu, au peuple de Dieu qui y habite. Une des aires culturelles de ce diocèse, celle du groupe linguistique Kongo, nous servira de grille de lecture. D’après les spécificités culturelles du groupe Kongo, l’arrivée d’un grand chef est célébrée avec fracas et frénésie. La veille au soir, tout le village se rassemble autour du grand feu. La nuit silencieuse résonne au son envoûtant des tams-tams. Des cris de joie, des rythmes et des danses entrent en compétition. Une polyphonie s’improvise pour la circonstance. Seul y compte l’harmonie des coeurs. Les cris de joie s’intensifieront à l’arrivée du grand chef. Ces cris sont appelés en lari, langue utilisée dans les assemblées liturgiques dans ce diocèse, «m’lolo». Ce sont souvent les femmes qui entonnent les premières onomatopées. Elles tapent délicatement leur main à plat sur la bouche, de manière répétitive et rythmique. Elles poussent des cris cacophoniques qu’elles apprivoisent, en quelque sorte, par la douceur de la paume de la main.Une musicalité suave et stridente en ressort.
La musicalité des cris de joie ou «m’lolo» est aussi de mise lors des festivités de Noël. Dans la liturgie, l’Église locale s’est efforcée d’équilibrer exubérance de joie et importance du silence sacré. Cette pratique, quoique non encore formelle, tend à franchir les frontières des Églises locales d’Afrique centrale. On entendra des «m’lolo» à des occasions festives, là où une forte diaspora chrétienne africaine s’est installée. A l’occasion de la messe d’ouverture de la Première Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques, le 10 avril 1994, en la basilique Saint-Pierre de Rome, Jean Paul II s’émerveillait de la vitalité des liturgies africaines. Probablement, les fameux «m’lolo» avaient attiré son attention. Avec enthousiasme, il relate l’évènement :
« L’Afrique, dans la diversité de ses rites, était là, avec tout le Peuple de Dieu, dansant sa joie, exprimant sa foi dans la vie, au son des tams-tams et d'autres instruments de musique africains. À cette occasion, l’Afrique a perçu qu’elle est, suivant le mot de Paul VI, "nouvelle patrie du Christ", terre aimée du Père Éternel ». (Ecclesia in africa, n°6).
2. Noël célébré chez nous dans la joie
Lors de la célébration de Noël à minuit, dans les paroisses du Diocèse de Kinkala, l’enthousiame est à la joie enivrante. L’heure de la célébration ne correspondra pas toujours à la tradition du minuit chrétien. Au jour convenu, les fidèles de différentes communautés de chrétiennes (bintuari) déferleront nombreux vers la paroisse dite « mère ». Ils viendront des villages voisins, pafois lointains. Des femmes et des enfants, des jeunes et des personnes âgées endureront la longue marche. Ils traverseront à pied des forêts et des savanes. Ils graviront des montagnes et des colines. Ne voulant en aucun cas manquer le rendez-vous de l’Emmanuel, ils défieront la fatigue du chemin, voire d’autres intempéries telles que la pluie. La paroisse centrale n’est pas toujours dotée d’un système d’électrification adéquat. Un groupe électrogène est mis à la disposition de l’assemblée. A défaut de mieux, l’on se contentera des foyers de feu de bois animés de rires exprimant la joie de vivre. La crèche aura été préparée avec soin et ingéniosité par des paroissiens. Le pavoisement est constitué d’éléments locaux ; jamais ne manqueront les légendaires feuilles de palmier et de bananier.
Pendant la messe de minuit, il y a une participation visible des fidèles. Ceux-ci auront dépoussiéré le meilleur de leur linge de fête. Les chants seront chantés au rythme des tams-tams et de battement des mains. Chacun chantera selon les capacités de la voix que lui a donnée le Créateur. Au Congo-Brazzaville, un groupe de chant, composé des mamans et des papas, la scholas populaire, met le peuple en liesse. Ses instruments de musique appelés «ngonguis», « maracas » et autres tams-tams maintiennent une cadence de ton impétueux. Les «ngonguis» sont de sortes de moules en fer, résonnant à la lourdeur et à la stritidence du son produit par le mouvement de va-et-vient des mains. Solennité oblige, les joueurs excelleront dans leur savoir-faire. A certains moments de la célébration, des cris de joie ou «m’lolo» diront eux-mêmes le mot de bienvenu à tous, sans exception, à la fête de l’Emmanuel. Y sont conviés des fidèles pratiquants comme des chrétiens occasionnels (appelés aussi localement des chrétiens « de fêtes » ou « de dimanche »), des croyants comme de simples curieux.
Ce que disent les Écritures
1. La grande joie du peuple qui marchait dans les ténèbres
D’où vient cette joie qui porte tout un peuple à accueillir celui que les anges annonçent comme le Sauveur? Méditons les textes liturgiques.
Lorsqu’une péricope comme celle d’Is 9, 2-4, 6-7 est lue comme première lecture, en langue locale, dans une paroisse de brousse, le lecteur distinguera aisément deux réalités en contraste: la lumière et les ténèbres. Isaie notifie avec clairvoyance la dialectique du passage des ténébres à la lumière : « sur les habitants du sombre pays une lumière a resplendi (Is 9, 1); le Seigneur a fait croître la joie de ce peuple (Is9, 2) ». La conscience messianique bantou tient en importance cette dialectique de passage. La finale est la victoire de la lumière sur les ténèbres. Confesser, dans ce contexte, le Christ Emmanuel, c’est prendre à coeur le fait que Noël est un lieu de libération intérieure. Seul le coeur qui a fait le choix de la lumière est à même de discerner la joie de la délivrance. Dans les ténèbres de la nuit et du péché, la tristesse règne en maître. Mais là où habite la joie, règnent la paix, l’amour et le pardon.
La joie et l’allégresse qui débordent des coeurs qui célèbrent Noël ne sont pas pure exubérance insouciante. Elles sont joie et allégresse de celle ou de celui qui sait que le passage des ténèbres à la lumière mène au salut de Dieu. Il s’agit de la joie pour le coeur qui cherche Dieu (Neh 8, 9-12; Qo2, 26; Ps31, 7; 32, 21; Sir 34, 20; Rm15, 13etc). Dans ce cas, la joie dans le Seigneur est force et délivrance de toutes les puissances mortifères des ténèbres. Cette prise de conscience est rendue possible grâce au Maître du passage. Le Christ Jésus célébré dans l’enfant de Bethléem est ce Maître du passage des ténèbres à la lumière; il en a reçu d’en haut le pouvoir : les Écritures l’attestent. La suite du texte d’Isaïe l’indique fort bien. Dès lors, le Christ, en sa fonction de Maître du passage des ténèbres à la lumière, peut être identifié au Conseiller merveilleux, Dieu fort, Père Éternel, Prince-de-la paix, à celui qui appliquera le droit et la justice (Is 9, 5-6).
A Noël, le Christ vient à la rencontre d’un peuple d’Afrique qui croit encore dans le monde des esprits, un peuple qui a vécu la terreur et la spirale de la violence des guerres, de l’humiliation et de la mort. Et le peuple de Dieu qui est à Kinkala en fait partie. Aller vers le Christ de Bethléem, pour chaque membre de ce peuple, est non seulement un élan de foi, mais aussi une offrande libre de la personne qui cherche force et refuge dans la joie du Seigneur : ta servante n’a goûté de joie si ce n’est en toi (Est 4, 17y). En conséquence, le Sauveur qui libère des forces du mal est le grand Dieu caché et manifesté dans le mystère vulnérable de la crèche.
2. Notre Grand Dieu et Sauveur né tout pauvrement
A quelle signification veut nous introduire Paul quand il fait allusion à «l’apparition dans la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, le Christ Jésus» (Tt 2, 11-14)? Cette figure du Christ notre grand Dieu a quelques traits de rapport avec le Christ pauvre et fragile de la crèche. La grandeur du Christ, selon l’Évangile de Lc 2,1-16, s’actualise sous le signe de la vulnérabilité et de la pauvreté : le Sauveur est enveloppé de langes et couché dans une mangeoire (Lc2, 7). Par manque de place, Marie et Joseph doivent se contenter de ce lieu, pourrait-on dire, indécent pour la naissance de l’enfant. Est-ce par la force des choses que le Messie y soit né? Luc ne répond pas à la question. Mais l’organisation narrative de son texte sur l’apparition de l’ange aux bergers montre, sans l’ombre d’un doute, comment Dieu, depuis le début, a assumé l’aventure de la fragilité. Tout semble indiquer un dessein divin s’actualisant dans les paroles et les évènements, et s’accomplissant en temps favorable. Du reste, Luc met en évidence la simplicité de vie de Joseph, l’homme juste, et de Marie, l’humble servante du Seigneur. Par leur truchement, Dieu élève ce qui est simple, vulnérable et fragile, au rang de ce qui est grand et fort. Que la naissance du divin roi échappe au pouvoir sanguinaire d’Hérode ne nous étonne plus. Car le petit Jésus n’appartient pas à l’ordre des grands de ce monde. Il est l’enfant de l’innoncence même. En tout cas, ce n’est pas aux Romains, ni aux chefs religieux juifs ou aux docteurs de la Loi que l’ange annonce la grande joie...mais à de simples bergers.
2000 ans après les bergers de Bethléem en Judée, le peuple de Dieu qui est à Kinkala célèbre la naissance de Jésus parce qu’il croit discerner en lui l’écho de sa propre fragilité et pauvreté. Parce qu’il le découvre au coeur de cette fragilité et pauvreté, il peut bénéficier de la joie de l’annonce de l’ange : aujourd’hui vous est né un Sauveur!
Un message de joie au monde
Pour un peuple qui a été au coeur des conflits armés meurtriers, et qui vit encore dans la peur, la souffrance, l’insécurité et la précarité, le message de joie à Noël reste interpellant pour nous :
- Qui ne dira pas qu’il y a motif de joie dans l’enfant de Bethléem pour quelqu’un qui sait que cet enfant n’est pas un guerrilleros et ne fera du mal à personne, qu’il est au contraire le Prince-de-paix ? - Qui ne dira pas qu’il y a motif de joie en l’enfant de Marie pour quelqu’un qui a perdu ses biens et qui sait que Jésus ne pille pas, qu’il offre au contraire une vie en abondance selon le droit et la justice? - Qui ne dira pas qu’il y a motif de joie à la lumière de la vie de l’enfant Jésus soustrait à la barbarie, pour quelqu’un qui a cotoyé la mort, la bestialité et la méchanceté absurde et qui découvre désormais la grandeur de la vie enracinée dans la fragilité de Dieu à Noël ? Gâce à cet enfant, il apprendra à pardonner à ses bourreaux et à proclamer de nouveau l’espérance à la joie, la paix et l’amour.
Abbé Luc Augustin SAMBA |