Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir

 

Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir (6ème Dimanche ordinaire – Année A)

 

Textes: Si 15, 15-20; Ps 118, 1-2. 4-5. 17-18. 33-34; 1 Co 2, 6-10; Mt 5, 17-37

 

Premier texte : Si tu le veux, tu peux observer les commandements

 

Nous sommes dans la ligne de l'ancienne littérature sapientiale dans laquelle l'auteur présente à son peuple toute l'expérience accumulée au cours des siècles. En insistant ici sur la loi, l''auteur est préoccupé non seulement de renouer avec la traditionnelle sagesse d'Israël, mais encore d'enraciner solidement son enseignement dans la piété juive. La première partie (vv15-17) montre que l'homme est libre de faire son choix entre ce qui est bien, qui mène à la vie, et ce qui est mal, qui conduit à la mort. La deuxième partie (vv18-20) nous dit que le Seigneur connaît toutes les actions des hommes et ne demande à personne d'être impie. Ce passage souligne donc la liberté de l'homme et place tout homme devant sa responsabilité, car il devra un jour rendre compte de ses actes.

 

Psaume: Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes ordres

 

Après avoir loué les hommes intègres qui suivent la loi du Seigneur (vv1-2), le psalmiste demande l'aide du Seigneur pour qu'il puisse suivre sa loi : « Montre-moi comment garder ta loi ». Même si la première lecture insiste sur la responsabilité et la liberté de l'homme qui peut ou ne pas suivre les commandements du Seigneur, la vérité fondamentale est que c'est le Seigneur lui-même qui donne la force de suivre ces commandements. Et cette force, nous devons la lui demander chaque jour.

 

Deuxième lecture: C'est à nous que Dieu, par l'Esprit, a révélé cette sagesse

 

Nous retrouvons ici le thème de la sagesse dont l'apôtre Paul a parlé abondamment jusqu'à présent, en lien avec la puissance. Le monde qui nous entoure, ceux qui dominent ce monde et qui déjà se détruisent ont leur sagesse à eux. La sagesse que nous proclamons, c'est « la sagesse du mystère de Dieu ». Cette sagesse, c'est la sagesse de la croix, celle de Jésus crucifié. Comme les hommes ne peuvent la connaître par eux-mêmes, « c'est à nous que Dieu, par l'Esprit, a révélé cette sagesse ». C'est cette sagesse qui nous permettra de bien connaître les commandements de Dieu. Prions l'Esprit Saint, qu'il nous donne également la force nécessaire pour accomplir ces commandements.

 

Evangile et conclusion: Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir

 

Sans ignorer ce qui suivra les dimanches prochains, nous nous en tenons aujourd'hui aux trois préceptes des anciens que Jésus nous présente: ne pas tuer, ne pas commettre l'adultère, ne pas faire de faux serments. Impossible de bien comprendre ces pages si nous ne nous mettons pas devant Jésus crucifié, « la lumière du monde, qui éclaire tout homme venant en ce monde ». Impossible, si nous ne demandons pas la lumière de l'Esprit Saint. Nous pourrions croire que Jésus vient dire autre chose que ce qu'ont dit la loi ou les prophètes, c'est-à-dire tout l'Ancien Testament. Mais il vient le compléter, le parfaire, l'accomplir par sa vie et par son enseignement. Lui, le premier, les « observe tous et les enseigne tous pour que nous puissions entrer dans le Royaume des cieux (vv19. 19. 20). Aucune loi n'est donc à négliger.

 

Jésus ne fait que les répéter, mais il les approfondit, en élargit la sphère d'application et les rattache à la dimension incontournable de la fraternité, et donc de la paternité et de la filialité. C'est évident, nous entrons ici dans un domaine délicat et important pour notre vie individuelle, familiale, sociale et ecclésiale. Même si le verset 28 semble, faussement, cibler les hommes comme seuls destinataires, les femmes sont également concernées (cf. Mc 10, 10-12). Le fondement, c'est que Dieu est notre Créateur et notre Père, et que tous et toutes nous sommes ses fils et ses filles et, entre nous, frères et sœurs les uns des autres. Souvent, nous n'avons même pas conscience de cette vérité à la fois théologique, anthropologique et ontologique.

 

Notre relation à Dieu et aux autres englobe tout notre être dans sa globalité: corps, âme, esprit, comme le montrent le v28, ainsi que Lc 10, 27. Allant toujours à la racine du mal, Jésus parle non seulement du meurtre, mais encore de la « colère et de l'insulte contre son frère ». Il aborde non seulement le thème de l'adultère, mais il va jusqu'au péché par le regard et le désir. Et, nous référant à 1 Co 7, nous pouvons dire que ce péché englobe les questions de la sexualité, et particulièrement du mariage, du célibat et de la chasteté. Quand il parle du serment, il rejoint la pensée, le cœur mais aussi la parole qui est une de ses expressions la plus ordinaire. Quand il parle, Jésus fait alterner le pluriel et le singulier. Par exemple, le pluriel aux vv17. 20. 21. 27, et le singulier aux vv19. 22. 23. 25. 29. Il s'adresse donc à tous, mais pour être plus incisif et plus direct, il utilise le singulier pour que chacun de nous puisse se sentir concerné et interpelé. Cela évite de penser que Jésus s'adresse seulement aux autres.

 

A propos de l'adultère, notons des convergences et des différences chez les synoptiques. Mt et Mc sont très proches (Mt 19, 18-19; Mc 10, 19). Lc 18, 20 a un ordre légèrement différent parce qu'il a inversé les deux premiers commandements. Nous avons intérêt à nous y arrêter. N'avons-nous pas ici une indication à la fois troublante et toujours actuelle, qui se manifeste par les phénomènes que nous vivons dans nos sociétés, surtout dans les pays en guerre? Souvent, en effet, violence, crime et sexualité irresponsables s'entremêlent douloureusement; par exemple, en cas de viol. Et nous sommes témoins d'un fait encore peut-être plus dramatique et plus dangereux, parce que plus ou moins banalisé, le phénomène de l'avortement et même de l'infanticide. C'est à partir de la sexualité dont on ne veut pas assumer toute la responsabilité que les personnes recourent souvent à l'avortement et, pire, réclament le droit à l'avortement.

 

Nous pouvons également effleurer l'épineux problème du mariage et de la famille. Il touche dramatiquement notre monde d'aujourd'hui où le divorce est non seulement banalisé, mais encore revendiqué comme un droit, mettant ainsi en difficulté aussi bien l'équilibre de la société que le droit des enfants à vivre et à grandir dans un cadre familial où règnent l'amour véritable, la confiance et la paix. A côté du problème du divorce, se présente aussi celui de la polygamie qui, malgré ce que beaucoup pensent, ne résout pas mais complique encore la situation.

 

Le passage concernant le serment nous renvoie à la parole, à la vérité et à la sincérité. Il nous conduit tout de suite à nos différents engagements, surtout au baptême, à la profession religieuse et à l'ordination sacerdotale. Que cela s'appelle promesse ou vœux, leur point de départ ce sont les hommes conscients et responsables qui savent ce qu'ils disent et ce à quoi ils s'engagent.

 

Les commandements sont un signe de l'amour de Dieu, qui nous indique le chemin que nous devons suivre pour parvenir au Royaume des cieux et vivre dans l'amour et la vérité de Jésus, comme des frères. A ce propos, soulignons l'insistance sur notre filiation divine qui fonde notre fraternité. Ce n'est pas un hasard si le mot « frère » revient quatre fois dans notre évangile. C'est la formation et la prière qui nous rendent conscients de cette extraordinaire dignité pour pouvoir en vivre.

 

Mgr Bernard NSAYI

Evêque émérite de Nkayi