L’appartenance à Dieu n’est pas de tout repos (27ème Dimanche du temps ordinaire – A) Textes : Is 5, 1-7; Ps 80; Ph4, 6-9; Mt21, 33-43 Sur beaucoup de points, l’Évangile reste assez paradoxal. Ce paradoxe rime avec un essaim de situations de refus, elles-mêmes paradoxales, en raison du fait qu’elles déterminent la liberté de collaboration à l’appel de Dieu. Paradoxe de ce Dieu patient et juste qui brise les privilèges et invite tous à la conversion. A travers la parabole des vignerons homicides, Jésus se présente comme le cœur même du paradoxe de Dieu. On est toujours surpris, lorsque, dans l’Évangile, une certaine violence devient ‘‘lieu de salut’’. Au vrai, cela n’est pas nouveau. Toute la Bible est pétrie de ces récits dans lesquels Dieu tourne à son avantage une situation de violence et de méchanceté humaine. L’histoire de Joseph, en Gn 37- 49, en est une belle illustration. La parabole des vignerons homicides, en Mt 21, 33-43, apparaît comme l’un des plus grands affronts de Jésus à l’endroit des chefs religieux juifs. L’allusion est claire qu’il pointe du doigt leur incrédulité. Il y a plus. L’allusion est sans équivoque à l’idée qu’au drame généré par l’homicide des vignerons répond un autre drame : la perte de l’alliance. Mais cette perte de l’alliance ne saurait être mieux comprise qu’en rétrospective de la patience pédagogique de Dieu On peut imaginer l’opposition violente des autorités juives à l’égard de Jésus. Ils avaient amplement misé sur une religiosité à privilège. Manifestement, Jésus vient saper les bases d’une religiosité sécuritariste qui embrigaderait Dieu ; celle de ses contemporains s’entend; religiosité qui se vautre dans le statu quo d’une quête de Dieu sans acceptation de la conversion; religiosité qui se ferme à l’écoute et au dialogue, à l’amour et au pardon; religiosité du formalisme cultuel muté en hypocrisie; religiosité de surface qui tue la vie au lieu où elle prétend servir Dieu; tout simplement, religiosité de l’endurcissement du cœur. C’est cette forme de religion à laquelle Jésus est confronté de manière frontale. Il veut la transformer du dedans, jusqu’à ce qu’il ait signé le sacrifice de sa mort en croix, à l’instar du fils du maître de la vigne dans la parabole. Dans la première lecture, l’enseignement du prophète Isaïe, en Is5, 1-7, rejoint, à peu près, celui de Jésus. Nous sommes en face de deux situations antithétiques. Au départ, la situation est paradisiaque. Le bien-aimé d’Isaïe est propriétaire d’une vigne qu’il entoure de tous les soins. C’est l’idylle : «Mon bien-aimé avait une vigne, sur un coteau fertile. Il la bêcha, il l’épierra, il y planta du raisin vermeil » (5, 1-2). Nettement, l’image du bien-aimé renvoie à Yahvé et la vigne à Israël. Le récit de ce texte appelé ‘‘chant de la vigne’’ mélange une forme syntaxique à la fois impersonnelle (‘‘mon bien-aimé’’ : 5,1) et personnelle (‘‘soyez juges entre moi et ma vigne’’ :5, 3). Ce qui renforce l’idée de contraste que le prophète reproduit intentionnellement pour dirimer la responsabilité de l’infécondité de la vigne. On perçoit ici une note apologétique. En voici la formulation : le vigneron a donné le meilleur de lui-même pour soigner sa vigne (situation paradisiaque); mais la vigne est inféconde (situation chaotique). Cela concourt, en conséquence, a une situation de déchéance. Celle-ci advient formellement en raison de l’infertilité de la vigne. Seule la vigne est mise au banc des accusés, et non le vigneron. La fin du texte suggère avec bonheur une instruction décisive pour le salut. Il est question non seulement de la patience de Dieu mais surtout de son appel irrévocable à la conversion comme appel inconditionnel à porter du fruit. C’est cet appel pressant à la conversion qui a considérablement bouleversé le cœur de Paul. Ce dernier a compris que l’appartenance à Dieu n’est pas de tout repos. Elle implique responsabilité et mission. Au plan de la responsabilité, Paul invite les Philippiens (Ph4, 6-9) à n’entretenir aucun souci, sinon celui de rendre effectif l’appel de Dieu. A ce défi, ils devront recourir à l’oraison, la prière et l’action de grâce. C’est le prix de la paix de Dieu que Paul considère comme un signe patent de toute appartenance à Lui. Au plan de la mission, Paul exhorte les Philippiens à rendre plus performante cette appartenance. Le croyant doit faire tout ce qui est possible pour confirmer l’appel de Dieu par une vie vertueuse. Le message des textes de ce Dimanche est double, riche et profond. Primo, comment expérimentons-nous, aujourd’hui, la patience de Dieu et sa justice en face de la réalité du mal? La patience de Dieu est une réalité paradoxale. Nous n’aurons jamais fini de la comprendre. Elle fait croître en nous le sentiment d’appartenance à Dieu. Singulièrement, nous l’expérimentons au cœur même de nos refus de conversion. Nous en convenons : si une telle patience est allée jusqu’au sacrifice du fils, on devrait, sans l’ombre d’un doute, préjuger de l’idée que toute la mesure du salut est donnée à chacun pour être sauvé. Dans ces conditions, il serait invraisemblable d’entrevoir des vignerons homicides. Et, s’il y en a, la responsabilité devant le salut leur incombe. Nous expérimentons le salut comme un acte de conscience, posé en termes d’acceptation ou de refus, et, dans les mêmes termes, la déchéance s’appréhenderait. Ce que l’Évangile évoque sous le fait-d’être-jeté-dehors, là où il y aura des pleurs et des grincements de dents (Mt, 812 ). Nous comprenons davantage, à cette élucidation, le vrai sens de la miséricorde de Dieu. Un Dieu patient ne veut pas dire un Dieu nivelant ou bonasse. Cet aspect de la patience de Dieu, face à l’inconditionnalité de sa miséricorde, a été quelque peu édulcoré, à l’époque contemporaine. On a voulu cahin-caha insister sur l’affect de l’amour de Dieu en nous, dans un sens autant équivoque qu’apothéotique, qu’on a vite oublié l’autre dimension de l’amour : la justice. On a écarté assez aisément d’un revers de la main ces vérités de tradition que sont le ciel et l’enfer, ou encore le purgatoire. On y croit plus, ou, presque, on ne veut plus y croire. La conséquence immédiate est la perte de la notion du mal et le nivellement de la justice de Dieu. L’Évangile est assez intraitable sur la forme de rejet qui advient avec la perte de l’alliance qu’un nivellement de l’amour sans justice a tout le risque de gauchir le mystère chrétien. La justice de Dieu est cet élan en Dieu en fonction duquel il convie prestement et incessamment le pécheur à la transformation du cœur. Elle détermine tout l’agir fondamental de Dieu face au refus humain de la conversion. Dieu donne à chacun et à chacune le salaire de son travail : aux méchants la déchéance aux justes le royaume de gloire. Mais, en raison de la patience de son amour, il reste juste dans ses desseins. Aussi ne cesse-t-il de nous appeler tous à la conversion. La conversion est ce retournement radical qui nous fait passer du côté des œuvres de refus et d’autodestruction, fruits de notre désobéissance, au côté des œuvres de justice et de paix, fruits de notre appartenance à Dieu. Elle cristallise ce sentiment d’appartenance dans une expérience de confiance indéfectible. A regret, nous sommes tellement devenus, au nom de la liberté humaine, réfractaires à toute perception d’obédience à Dieu, qu’on se demanderait si le péché de l’humain contemporain n’est pas, justement, cette annihilation totale de toute forme d’acceptation, plus exactement, ce refus en conscience de coopérer au plan de Dieu. La parabole des vignerons homicides se donne à lire comme une leçon magistrale pour notre époque, caractérisée par l’indifférence et l’inattention face à la voix de Dieu. Secundo, comment répondons-nous à la patience de Dieu, au revers de nos refus et résistances? Nous répondons : par l’acceptation libre de la conversion. L’offre de la conversion est toujours pressante à notre conscience croyante. Elle nous met, en quelque sorte, en sursis d’aimer. Autant dire, tout de suite, l’amour de Dieu offert pour notre salut est si prégnant, le fait de le refuser nous serait presque impensable. Mais, pourtant, il reste une vérité incontournable : notre collaboration. C’est ici une autre leçon de la parabole des vignerons homicides. Ceux-ci perdent, d’une certaine manière, leur privilège au salut, en raison de leur refus absolu de collaboration. Les Pères de l’Église, surtout Augustin, ont longtemps réfléchi sur cette collaboration au salut, dans ce grand traité de la grâce. A la lumière des textes de ce jour, la collaboration dont il est question est cette part de nous-mêmes dans laquelle nous engageons notre propre liberté à dire ‘‘Oui’’ ou ‘‘Non’’- ‘‘Oui’’ pour le salut, et ‘‘Non’’ pour la déchéance. Comme nous le suggère l’Apôtre Paul, cette part de nous-mêmes est l’effort consenti, en toute conscience d’esprit et de cœur, à mettre en branle tout ce qui est humainement possible pour rendre fructueux l’appel de Dieu en nous. Cet appel se concrétise patiemment au travers de nos actes humains d’altruisme, de bonté, de générosité, de noblesse, d’honorabilité, de sincérité et de droiture du cœur, etc. Abbé Luc Augustin SAMBA
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