A César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu

 

A César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (29èmeDimanche ordinaire - A)

 

 Textes : Is 45, 1, 4-6 ; Ps 96 ; 1Th1, 1-5 ; Mt22, 15-21 

 

« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21). Dans l’histoire de l’Église, ce passage a renvoyé dos à dos le pouvoir religieux et le pouvoir temporel. Au deuxième millénaire chrétien, cette confrontation a engendré violences et divisions, trafic d’influence et manipulations, etc. L’époque médiévale est parsemée de ces exemples d’affrontement, parfois mortel,  entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Ce que le Pape Innocent III désignait sous la « théories des deux glaives » : le glaive spirituel et le glaive temporel. Au gré de certaines circonstances, l’Église en est venu à imposer une règle de conduite au pouvoir temporel, et vice-versa.

Toujours au deuxième millénaire, nous assistons à un  glissement de passage : d’une conception du pouvoir comme service vers une trop grande accentuation du pouvoir comme hiérarchie. L’Église, n’ayant plus droit de regard sur la société, est confinée à vivre en ghetto, ce jusqu’à la veille du  Concile Vatican II. Au reste, la Révolution française a tracé,  pour longtemps, des frontières étanches entre l’Église et l’État. Un État laïc est né. En son engrenage est désormais portée à la déconfiture toute influence de l’Église dans l’espace public. En Afrique, le problème entre l’Église et l’État se pose autrement. On le sait, c’est au cœur des sociétés africaines que l’Église du Synode de 1994 a mieux pensé sa mission évangélisatrice. Une conception de l’action de l’Église, assez farouche à toute immixtion en politique,  tend à reléguer la mission prophétique de l’Église à la sacristie. En mal ou en bien, la péricope de Mt 22, 21 est confusément prise pour cible et témoin.  

Dans l’Évangile,  l’allusion à César ne fait nullement office d’une simple mention. Elle nous introduit directement dans la manière dont Jésus lui-même a compris sa mission face au monde politique et administratif de son temps. Sa mission n’est pas une résultante d’un pur pouvoir, fût-il religieux ou politique. Elle est tout entière guidée par le commandement de l’amour de Dieu et du prochain. De fait, Jésus inaugure une autre conception du pouvoir, en prenant distance du pouvoir humain corrompu. Cette prise de distance lui permet d’affirmer, en quelque sorte, le droit de Dieu. Ce droit repose non sur le pouvoir humain mais sur le pouvoir de Dieu. A Dieu Seul revient l’honneur, la gloire et la puissance. Ce que Paul dénommera, plus tard,  sous la forme sentencieuse  du pouvoir d’un Messie Crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens  (1Co 1, 23). Le pouvoir du Messie n’est pas de ce monde. Il est dans le secret du Père, caché aux sages et aux savants et révélé aux petits (Mt11, 26).  

Jésus ne cautionne pas un désintéressement  vis-à-vis  de la chose politique. Au contraire, rendre à César ce qui est à César peut s’avérer un cas typique de civisme. Les communautés pauliniennes témoignent d’un tel civisme. Paul et la Prima Petri font état d’une soumission  aux autorités établies (Rm13, 1-7 ; 1Ti2, 1-2; Tite3, 1P2, 13-17). Jésus est suffisamment averti sur les préséances qui se cachent derrière le nom de César. Non seulement il faut rendre la monnaie à César, mais encore il faut payer l’impôt qui lui est dû. Jésus ne plaide pas ici pour un pouvoir qu’il sait compromis et qu’il n’hésite pas à fustiger à l’occasion. Il plaide pour un accommodement raisonnable, mieux pour le respect des  droits de Dieu dans l’espace public.

Plus que les droits de Dieu, c’est toute l’action de Dieu dans la Cité que le prophète  Isaïe exalte, dans la première lecture.  Paradoxalement, c’est un roi païen, Cyrus, roi des perses, qui en est le bénéficiaire. Paul rend grâce à ce même Dieu qui peut changer le cours normal des choses. C’est par son Esprit-Saint que la vie de la foi et de la charité est rendue fructueuse dans le cœur du croyant.

Quel message essentiel tirer des textes de ce jour ?

D’une part, l’Évangile du Christ est éminemment politique. C’est à chaque baptisé de redécouvrir cette dimension royale et prophétique du baptême. Le chrétien doit travailler activement pour une transformation de son milieu de vie et prendre à bras-le-corps les causes qui promeuvent la vie dans l’espace public. Il n’exerce pas seulement un pouvoir mais il se donne lui-même au service de la multitude.  D’autre part, l’Évangile du Christ nous intime de bâtir sur du roc, grâce à la foi.  Le chrétien fonde son agir en discernant inlassablement l’agir de Dieu. Il n’y a pas d’activité apostolique sincère, auprès des hommes et des femmes de notre temps, qui ne soit en même temps une mise en branle d’une vie de prière féconde, totalement centrée sur Dieu.

                                                                                                                             Abbé Luc Augustin SAMBA