Une lecture orientée du Motu Proprio « Porta Fidei »

 

Pour rendre une profession publique du Credo

Une lecture orientée du Motu Proprio « Porta Fidei »

« Porta Fidei », c’est le titre du Motu Proprio, la lettre apostolique qui promulgue l'Année de la foi[1] annoncée, dimanche 16 octobre dernier, par le pape Benoît XVI. L’objectif du document, et de l’année qu’il annonce, est de redécouvrir le chemin de la foi et la joie de croire, ainsi que de favoriser une conversion authentique et renouvelée au Seigneur Jésus, seul Sauveur du monde. Dans un monde constamment livré à la tentation du syncrétisme et à la « dictature du relativisme », « Porta Fidei » nous rappelle que nous ne pouvons pas accepter que le sel de la foi devienne insipide et que la lumière soit tenue cachée (Mt 5, 13-16).

Je me refuse la tâche d’en résumer l’essentiel dans la perspective du futur, mais je voudrais tout simplement en scruter la teneur, ici et maintenant, pour pouvoir en tirer profit. La foi, c’est aussi aujourd’hui comme hier, demain et toujours ; cet effort continuel pour nous tenir « hors du désert, vers le lieu de la vie, vers l’amitié avec le Fils de Dieu, vers Celui qui nous donne la vie, la vie en plénitude ». Allant droit à l’essentiel, que recueillir donc de « Porta Fidei » ?

Background  

Au-delà des motivations historiques (souvenir du cinquantième anniversaire de l'ouverture du Concile Vatican II), le Motu proprio sur la foi répond à une inquiétude ou à un malaise très actuel : « la dictature du relativisme », pour reprendre l’expression du Cardinal Ratzinger à la Messe Pro Eligendo Romano Pontifice. Nous vivons à une époque où les signes du sécularisme sont évidents. Même là où l’on continue à se réunir, soi-disant pour prier, la vraie image de Dieu semble avoir disparue. Metz a raison : le vrai problème de notre temps est la « Crise de Dieu », l’absence de Dieu camouflée par une religiosité vide. Mais, hélas ! même les chrétiens vivent comme « si Deus non daretur ». Gabriel Marcel soutient que les conditions de la vie moderne non seulement favorisent mais plongent presque dans cette inattention qui rend la pratique de la foi impossible[2].

La mort de Dieu, signée par Nietzche, semble avoir trouvé un écho favorable dans le chœur du disciple du Christ. Dans un tourbillon de courants idéologiques et des syncrétismes doux, « posséder une foi claire, selon le Credo de l’Eglise, est souvent défini comme du fondamentalisme. Tandis que le relativisme, c’est-à-dire se laisser entraîner "à tout vent de la doctrine", apparait comme l’unique attitude à la hauteur de l’époque actuelle »[3]. Même dans les pays de jeunes Eglises, il est facile d’observer un processus progressif de déchristianisation et de perte des valeurs humaines essentielles. Pour une grande partie de l’humanité, la Parole de Dieu n’ouvre plus à tout ce qui est bon et qui donne le critère permettant de discerner entre le vrai et le faux, entre l’imposture et la vérité. On comprend donc qu’une telle lettre ne soit pas seulement une manière de réchauffer les mémoires pour repartir du passé, mais aussi et surtout des reproches adressés à une piété purement sentimentale, qui ne devient pas conversion et foi vécue, une sorte de publicité – dans le sens habermassien du terme – des vérités éternelles qui bouleversent et réjouissent le cœur de l’homme et de la femme. Mais c’est quoi la foi ?

La foi, qu’est-ce que c’est en fait ?

Si le sentiment religieux est un donné ontologique, la foi dont il constitue le préambule est un don de Dieu. C’est indubitable, l’homme est par nature religieux, il est homo religiosus comme il est homo sapiens et homo faber. Selon le Catéchisme de l’Église catholique, « le désir de Dieu est inscrit dans le cœur de l’homme, car l’homme est créé par Dieu et pour Dieu »[4]. Dans son être se trouve imprimée l’image de Dieu, comme une force qui propulse de l’avant pour chercher la lumière qui donne une réponse aux questions existentielles. Ce sentiment présent en tout être humain n’est pas la foi, mais il constitue un authentique « préambule » à la foi, parce qu’il met en mouvement les personnes sur le chemin qui conduit au mystère de Dieu. Mais, au juste, c’est quoi, la foi ?

Benoit XVI, s’inspirant du verset 27 du quatorzième chapitre des Actes des Apôtres, comprend la foi comme une porte « qui introduit à la vie de communion avec Dieu et permet l’entrée dans son Eglise »[5], la grande maison. A la différence des portes de nos maisons de la terre, qui demeurent toujours fermées par peur des intempéries ou autres malheurs qui rodent dans le noir sans doute, la porte de la foi est toujours ouverte. Et « traverser cette porte, écrit le Souverain Pontife, implique de s’engager sur un chemin qui dure toute la vie ». Ce chemin s’ouvre par le baptême (cf. Rm 6, 4) et s’achève par le passage de la mort à la vie éternelle, fruit de la résurrection du Christ qui, par le don de l’Esprit Saint, a voulu associer à sa gloire tous ceux qui croient en lui (cf. Jn 17, 22). Cette porte, c’est le Fils de Dieu lui-même.

Avant d’être une chaine de vérités, la foi chrétienne « est avant tout une relation personnelle avec Jésus Christ »[6]. Dans ce sens, « la foi va au-delà des simples données empiriques ou historiques ; elle est la capacité de saisir le mystère de la personne du Christ dans sa profondeur »[7]. Capacité de saisir n’est pas à comprendre ici comme une réalité que nous inventons par nous-mêmes. La foi est toujours un don de Dieu, et non pas le fruit de l’effort humain, de la raison : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux ». La foi « a son origine dans l’initiative de Dieu, qui nous dévoile son intimité et nous invite à participer à sa vie divine même »[8]. La porte de la foi ouvre le cœur à la nouveauté de la vie : il n’y a pas d’autre possibilité pour posséder une certitude sur sa propre vie sinon de s’abandonner, dans un crescendo continu, entre les mains d’un amour qui s’expérimente toujours plus grand parce qu’il a son origine en Dieu[9]. Cet abandon dure dans le temps et dans l’espace car « a person who says, "I believe just at this moment… but I cannot answer for myself that I shall believe tomorrow’, does not believe" (Une personne qui dit, ‘je crois juste en ce moment… mais je ne peux pas répondre que je croirai demain, ne croit pas)[10].       

La conversion comme premier fruit de la foi

Porta Fidei permet au croyant de modeler « toute l’existence humaine sur la nouveauté radicale de la résurrection. Dans la mesure de sa libre disponibilité, les pensées et les sentiments, la mentalité et le comportement de l’homme sont lentement purifiés et transformés »[11]. Franchir la porte de la foi, c’est aussi, et peut-être avant tout, se remettre en question. Vivre en croyant signifie, dans ce sens, « ne pas vivre comme tout le monde vit, ne pas faire ce que tout le monde fait, ne pas se sentir justifié en accomplissant des actions douteuses, ambigües ou mauvaises par le fait que les autres font de même ; commencer à regarder sa propre vie avec les yeux de Dieu ; donc, chercher le bien, même s’il est dérangeant »[12]. L’entrée dans la foi nous fait sortir de l’autosuffisance pour découvrir et accepter notre indigence – une indigence des autres et de l’Autre, de son pardon et de son amitié. Ici, nous devons également garder à l’esprit l’aspect communautaire de la foi et de cette conversion qu’elle fait éclore, bien que la foi ou la conversion qui en est une conséquence forte soit avant tout un acte éminemment personnel, une certaine personnalisation. Par le baptême, je meurs au péché – qui m’isolait de Dieu et des autres – pour ressusciter à la vie. Dès lors, le moi s’ouvre de nouveau à l’autre, dans toute sa profondeur, en donnant naissance à un nouveau nous. La vraie personnalisation est également une nouvelle et plus profonde socialisation.

La foi chrétienne, ce n’est pas de l’individualisme

Bien que la foi soit une réponse personnelle à l’appel de Dieu, le fait de croire trouve sa vitalité dans l’être-ensemble des croyants car, « en effet, c’est l’Église le premier sujet de la foi. Dans la foi de la communauté chrétienne, chacun reçoit le baptême, signe de l’entrée dans le peuple des croyants pour obtenir le salut »[13]. La foi est toujours aussi essentiellement un croire avec les autres. Personne ne peut croire seul. Le fait de pouvoir croire, je le dois d’abord à Dieu qui s’adresse à moi et, pour ainsi dire, allume ma foi. Mais, très concrètement, je dois ma foi à ceux qui me sont proches, qui ont cru avant moi et qui croient avec moi. Ce grand avec, sans lequel il ne peut exister aucune foi personnelle, c’est l’Eglise[14]. L’entrée dans l’Église doit aussi offrir un parcours de vie, un espace commun du nouveau style de vie. Porta Fidei propose quelques lieux publics pour professer la foi.

Espaces communs pour professer la foi

La liturgie

La liturgie, et en particulier l’Eucharistie qui est « le sommet auquel tend l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa force », est le premier lieu pour intensifier la célébration de la foi[15]. Le Concile Vatican II définit la liturgie comme « l’œuvre du Christ et de son Corps qui est l’Église ». Dans cette perspective, on peut vivre ce Grand Mystère comme « une invitation à une conversion authentique et renouvelée au Seigneur, unique Sauveur du monde »[16]. Dans la liturgie, Dieu agit par le Christ car, « de nous-mêmes nous ne pouvons pas construire le chemin vers Dieu… cela signifie ultérieurement que dans la liturgie le Logos lui-même nous parle, et non seulement il parle : il vient en corps et âme, chair et sang, divinité et humanité, pour nous unir à lui, faire de nous un seul "corps"»[17]. Bien que la communauté soit le sujet de la liturgie, cela ne doit pas justifier sa manipulation selon la compréhension de chacun. Là où, sous prétexte de l’interminable inculturation, l’on manipule plus librement la liturgie, les croyants sentent qu’en réalité rien n’est célébré, et il devient compréhensible qu’ils désertent l’Église pour se livrer aux pratiques ésotériques ou adhérer au « christianisme de faible densité institutionnelle, [un christianisme] avec peu de bagage rationnel et encore moins de bagage dogmatique et aussi avec peu de stabilité »[18]. La liturgie tient sa grandeur de ce qu’elle est et non de ce que nous en faisons. Notre participation est certes nécessaire, mais comme une manière de servir celui qui en est l’auteur et l’acteur principal : Jésus Christ. « La liturgie n’est pas l’expression de la conscience d’une communauté, qui du reste est diffuse et changeante. Elle est la révélation accueillie dans la foi et la prière, et sa mesure est dès lors la foi de l’Église, qui est le récipient de la révélation »[19].

Le témoignage de vie

Le deuxième lieu que Porta Fidei propose pour faire retentir la beauté de la foi, est l’espace de vie courante, la société, en d’autres termes. Mais qu’est-ce que cela signifie ? C’est simplement pour dire que l’on ne peut pas croire uniquement par des paroles ; la foi crée la vie, elle crée une communauté de parcours. Professer par la bouche, à son tour, indique que la foi implique un témoignage et un engagement publics, car l’on ne peut pas se contenter de marcher à côté du Seigneur, ou d’offrir seulement des paroles de compassion. La foi, c’est décider d’être avec le Seigneur pour vivre avec lui. Et cet « être avec lui » introduit à la compréhension des raisons pour lesquelles on croit. La foi, parce qu’elle est vraiment un acte de la liberté, exige aussi la responsabilité sociale de ce qui est cru[20]. Franchir la porte de la foi dans ce sens, c’est tenir son 

regard fixé sur Jésus Christ "à l’origine et au terme de la foi" (He 12, 2) : en lui trouve son achèvement tout tourment et toute aspiration du cœur humain. La joie de l’amour, la réponse au drame de la souffrance et de la douleur, la force du pardon devant l’offense reçue et la victoire de la vie face au vide de la mort, tout trouve son achèvement dans le mystère de son Incarnation, du fait qu’il s’est fait homme, qu’il a partagé avec nous la faiblesse humaine pour la transformer par la puissance de sa résurrection[21].   

La sainteté de l’Église et sa visibilité dans le monde passent aussi à travers le témoignage offert par la vie des croyants : « par leur existence elle-même dans le monde, les chrétiens sont en effet appelés à faire resplendir la Parole de vérité que le Seigneur Jésus nous a laissée »[22]. Cela ne sert à rien de condamner la corruption et la duplicité des grands, alors que notre vie chrétienne continue égale à elle-même. « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, disait Paul VI, ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins »[23]. Mais quel type de témoignage ? Porta Fidei suggère le témoignage de la charité, car la charité est la plus grande des trois vertus (foi, espérance, charité) qui demeurent (1 Co 13, 13). Dans une homélie où Bède fait intervenir les personnages de Lazare, Marthe et Marie, la foi est présentée en étroite relation avec la vertu de charité : une sorte de foi toute centrée sur la personne du Christ et appelée à se concrétiser dans les œuvres[24]. La foi sans la charité ne porte pas de fruit, et la charité sans la foi serait un sentiment à la merci constante du doute. Foi et charité se réclament réciproquement, si bien que l’une permet à l’autre de réaliser son chemin[25]. La « foi opérant par la charité » (Ga 5, 6) devient ainsi le nouveau critère d’intelligence et d’action qui change toute la vie de l’homme. L’Ecriture aide dans cet effort pour « réaliser » peu à peu l’affirmation de notre foi et l’empêcher de demeurer une pure idée abstraite et neutre dans notre conscience[26].

Conclusion

La libération qu’espèrent les chrétiens capables de « rendre compte de leur espérance », passe aussi par la profession convaincue et visible de la foi. En se détournant de la foi, on abandonne la quête du sens, de la vérité et, par conséquent, on se débarrasse de l’homme. En face des situations sociopolitiques complexes et des pays qui ne se retrouvent plus, Porta Fidei nous propose un nouveau modus vivendi pour répondre à des questions nouvelles et assumer la responsabilité commune de la marche de la cité terrestre. Dans un contexte de remous politiques, où le mécontentement et l’insatisfaction agitent nos peuples, ce Motu Proprio nous place devant le défi d’accompagner autrement les efforts politiques initiés par des gouvernants pour la plupart desquels la transcendance ne constitue point un essentiel immédiat et référentiel. Mais Porta Fidei, c’est aussi et surtout cette capacité de confesser la beauté de suivre le Seigneur Jésus Christ dans un monde aux nombreuses croyances qui fatiguent et sont sans Dieu. 

Raphael BAZEBIZONZA, sj.
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Hekima College, Kenya   

 



[1] Cette année se déroulera du 11 octobre 2012, cinquantième anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, au 24 novembre 2013, solennité du Christ Roi.

[2] Gabriel Marcel, Etre et Avoir, Paris, 1935, p.311.

[3] Cardinal Joseph Ratzinger, « Homélie de la Messe Pro Eligendo Romano Pontifice », du 18 avril 2005.

[4] Catéchisme de l’Eglise Catholique,  27.

[5] Porta Fidei, 1.

[6] Benoit XVI, « Message aux jeunes du monde à l’occasion de la XXVIe journée mondiale de la jeunesse 2011 ». 

[7] Benoit XVI, « Paroles au début de la Messe de Clôture de la JMJ de Madrid 2011 ».  

[8] Ibid.

[9] Porta Fidei, 7.

[10] John Henry Newman, «Faith and Doubt», in Discourses to Mixed Congregations, London, 1881, p.216.

[11] Porta Fidei, 6.

[12] Cardinal Joseph Ratzinger, Intervention lors du Jubilé des Catéchistes, 10 décembre 2000.

[13] Porta Fidei, 10.

[14] Benoit XVI, Homélie à Erfurt, 24 septembre 2011.

[15] Porta Fidei, 10.

[16] Porta Fidei, 6.

[17] Joseph Ratzinger, Theology of the Liturgy, delivered at a congress on the liturgy held at the Benedictine monastery at Fontgombault in France, 22-24 July 2001. Oriens, Journal of The Ecclesia Dei Society.

[18] Benoit XVI, « Discours lors de la rencontre avec les représentants du Conseil de l’Eglise Evangélique en Allemagne », 23 septembre 2011. 

[19] Joseph Ratzinger, Theology of the Liturgy, delivered at a congress on the liturgy held at the Benedictine monastery at Fontgombault in France, 22-24 July 2001. Oriens, Journal of The Ecclesia Dei Society.   

[20] Porta Fidei, 10.

[21] Porta Fidei, 13.

[22] Porta Fidei, 6.

[23] Evangelii Nuntiandi, 41.

[24] Bède Le Vénérable, Homélie II, 4 dans CCSL, CXX II, 209.

[25] Porta Fidei, 14.

[26] G. – M. Garrone, La foi au fil des jours, (Paris, 1974), 13.