Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure

 

Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure (32èmeDimanche ordinaire - A)

 

 Textes: Sg 6, 12-16; Ps 63; 1 Th 4, 13-18; Mt 25, 1-13.  

 

 

«Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure» (Mt 25, 13). Ces paroles de Jésus nous introduisent de plein fouet dans une série de textes sur l’attente du jour. Ces textes préfigurent en quelque sorte le temps de l’Avent. Le cœur, le sujet et l’objet de cette attente est le Christ lui-même, identifié sous la figure de l’Époux. L’attente est rencontre, rencontre qui exige de la part des veilleurs l’intelligence d’un cœur instruit sur les voies de la Sagesse. 

 

Le texte de Mathieu 25, 1-13 entre dans la section des discours eschatologiques. Cette section évoque les temps de la fin. A la nuance, la parabole des dix vierges reste explicitement un enseignement sur la réalité du Royaume des cieux. Elle s’ouvre et s’achève sur un ton sentencieux : « Alors, il en sera du Royaume des cieux  comme de dix vierges … » (Mt 25, 1) ;  «Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure» (Mt 25, 13). Les dix vierges entrent en scène de façon comparative et différenciée. Cinq sont dites sottes, et cinq autres sages.

 

En premier lieu, fixons notre attention sur les éléments de comparaison. Toutes les vierges sont assignées à une tâche commune : aller à la rencontre de l’époux. Elles y vont avec quelques dispositions initiales: munies de leurs lampes. En fait, ces dispositions vont de soi. Elles sont liées à la fonction même du veilleur. Le veilleur de la nuit doit veiller avec une lampe allumée. Au temps de Jésus, cette lampe était une sorte de godet qu’on remplissait de l’huile qui brûlait dans une mèche. Elle pouvait brûler toute la nuit, à condition de faire provision d’huile. Le christianisme primitif maintiendra le fait de la garder allumée comme l’attitude par excellence de la collaboration au salut. Après 312, les chrétiens ornent leur lampe de symboles de la croix. Par-là, ils commémorent l’enseignement de Jésus sur le port de la croix. Pour tout dire, la lampe allumée précise la condition du vrai disciple. Plus tard, sa lumière représentera la lumière qui vient du cœur du Christ, Époux de l’Église. Voilà pourquoi l’Église, épouse du Christ, doit veiller dans l’attente de son retour.

 

En second lieu, portons notre regard sur les éléments de différenciation. La parabole est assez originale dans la différenciation qu’elle établit entre les vierges sottes et les vierges sages. On peut lire ce qui suit : « Les sottes, en effet, prirent leurs lampes, mais sans se prémunir d’huile; tandis que les sensées, en même temps que leurs lampes, prirent de l’huile dans les fioles» (Mt 25, 3). La tâche commune susmentionnée se désarticule en deux démarches diamétralement opposées : les sottes, insouciantes, ne font aucune réserve d’huile, tandis que les sages, avisées, s’en prémunissent. A bien voir, l’intrigue de la parabole ne s’articule pas tant sur la lampe allumée mais sur l’attitude du veilleur qui prend de l’huile en réserve; la finalité étant de  garder toujours sa lampe allumée. Dans les montagnes de la Palestine, la culture de l’Olivier est l’une des activités indispensables à la production de l’huile. Manquer d’huile, comme le mentionne 1 R 17, 12, est signe de grande misère. L’huile sert à préparer les aliments (Lv 2, 4), à brûler pour l’éclairage de la maison (Mt 25, 3-8), à préparer onguents et parfums (Ps 104, 15), à être utilisée pour des frictions en médecine (Mc6 , 13; Lc 10, 34) et pour le service du temple (Ex 27, 20). C’est donc à dessein que la parabole introduit une démarcation nette entre les vierges sottes et les vierges sages.

 

Une telle démarcation a mêmement un écho sur la condition du disciple. Les vrais disciples de Jésus veillent en gardant continûment leur lampe allumée. Les faux disciples ne s’en soucient guère. La différence en degré est due à l’usage qu’ils font de leur intelligence du cœur. Par cette expression, nous ciblons l’attitude fondamentale du disciple qui veille avec un sens d’inventivité. Au demeurant, ce qui dispose les vierges sages à aller à la rencontre de l’époux n’est pas strictement le fait d’avoir gardé leurs lampes allumées - les sottes en font autant - mais de les avoir gardées allumées jusqu’à l’arrivée de l’époux. La clé d’une telle prévenance réside dans l’investissement consenti, dans le temps, pour être partie prenante de la joie des noces. Autrement dit, les vierges sages mettent tout en branle pour ne pas manquer le rendez-vous avec l’époux. Les sottes vont de report en report. Trop tard : l’époux est arrivé à leur insu et la porte s’est refermée. La clé de leur rejet coïncide avec l’inconséquence de leur nonchalance. Elles n’ont pas su mesurer l’offre du salut comme une imminence.

 

Tout compte fait, l’attente du veilleur ne se dénoue pas seulement sur son attitude à être prêt mais à être toujours prêt. Garder de l’huile en réserve est aussi important que garder la lampe allumée. Une question vient lancinante : pourquoi les vierges sages agissent de la sorte? Réponse : pour plaire à l’époux. Dans leur attente, plus qu’une question de devoir, c’est toute l’intensité de leur relation de confiance et d’amour pour l’époux qui justifie leur prévenance. Dans l’attente des vierges sottes, par contre, ce qui compte c’est la présence par pure connivence.

Le facteur temps viendra trancher sur la qualité de leur motivation. La priorité de l’huile étant décapée de sa trajectoire, l’oubli de l’époux advient en conséquence.

 

On saisit assez clairement ce que la parabole entend mettre en évidence chez les vierges sages : leur motivation toute centrée sur l’époux. A cause de lui, elles déploient leur sens de créativité et de responsabilité. La parabole précise de manière sentencieuse : « celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces» (Mt 25, 10). Un petit geste de prévenance leur vaut le salut. Cette logique de la petitesse des choses qui prennent valeur pour le Royaume des cieux reste assez déconcertante dans les paraboles de Jésus. Mathieu 25 est très lucide sur l’intensité de petits gestes qui concourent au bonheur final : « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 40). Au fond, c’est le Christ qui donne force de salvification à tout geste d’amour. Autant dire sans ambiguïté, le centre de saisie de la parabole des dix vierges est le Christ Jésus lui-même identifié sous la figure de l’époux. Dans la perspective du jugement, leitmotiv de Mt 25, c’est lui l’Époux de gloire qui couronne toute générosité et sanctionne toute insouciance. Le texte conclut sur le même ton cérémonieux: «Mais il répondit : En vérité je vous le dis, je ne vous connais pas ! ». Drame de l’oubli, drame de l’abandon. La fin de la parabole porte le poids de cette sentence : « Veillez donc, car vous ne savez pas ni le jour ni l’heure» (Mt 25, 13).

 

Le jour et l’heure de l’Époux sont le jour et l’heure au cours desquels le disciple du Christ languit pour son retour: maratha! Dans la deuxième lecture (1 Th 4, 13-18), Paul est obnubilé par ce retour en gloire du Christ. Ce ne sont plus des vierges qui sont mises en scène mais les vivants et les morts. Paul décrit la scène comme dans un film de science-fiction : «Car lui-même, le Seigneur, au signal donné par la voix de l’archange et la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts qui sont dans le Christ ressusciteront en premier lieu; après quoi, nous, les vivants, nous qui serons encore là, nous serons réunis à eux et emportés sur des nuées pour rencontrer le Seigneur» (1Th4, 16-17). Paul a vraisemblablement puisé cette vision triomphale de la parousie du Seigneur chez Daniel. Une influence des mythes paradisiaques de la Perse antique, assez populaires en Asie mineure, n’est pas à exclure. Ce qui est intéressant, néanmoins, c’est la centralité que Paul accorde au Christ. Le Christ est l’Époux vers qui converge toute aspiration au bonheur ultime. Les Pères de l’Église n’hésiteront pas, en référence au texte de Sg 6, 12-16, à identifier cet Époux à la Sagesse personnifiée du Père. La Sagesse forge l’attitude du cœur épris de Dieu. Le principe est simple : elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent (Sg 6, 12). D’où il est du devoir du croyant de la chercher absolument comme clé du bonheur. De fait, ce qui manquait aux vierges insensées est ici donné avec prodigalité. Car la Sagesse est perfection de l’intelligence (Sg12, 15).

 

Ces textes riches nous livrent trois messages :

 

- Beaucoup de situations contemporaines cristallisent l’idée de somnolences au sens de l’Évangile. Insensées, lesdites somnolences se cachent sous la forme de l’insouciance et de la haine religieuse, du désespoir et du suicide collectif, du matérialisme idéologique et du refus de transcendance, etc. Elles révèlent comment la question de Dieu a perdu son enjeu dans l’espace public. Pourtant, bon gré mal gré, elle revient toujours au galop, là où l’humain opère des choix existentiels, face à la souffrance, à la perte du sens de la vie, à la question de la mort.  Là où la souffrance a manqué sa leçon, la sagesse fera son chemin. L’exemple des vierges folles est aussi une leçon.  Cette dernière donne de  discerner combien le refus de Dieu reste à coup sûr une voie sans espérance.  

 

- La rencontre de l’Époux qu’est le Christ est voie du bonheur. Mais, il nous faut s’y atteler en tenant compte du facteur temps. Ce temps, temps de l’Époux, nous intime, pour être capable de bien veiller, de mettre à profit nos talents. Que de désirs de sainteté  nourris, et souvent oubliés dans la nonchalance de la nuit, par manque de créativité, de prévenance et de persévérance ! Sans cet élan de nous-mêmes rivé sur la route du bonheur, la vie chrétienne s’étiole.

 

- Le christianisme est aussi une école de la Sagesse. A ceci, la Sagesse forge notre opiniâtreté à aimer Dieu. Cet aspect a été quelque peu obscurci par une lecture fixiste de la grâce. Or, le chemin de la grâce est un chemin dynamique qui nous met à l’écoute de la Sagesse. Cette écoute ne porte ses fruits que par la redécouverte du silence qui ouvre à l’intelligence du cœur, voie de la petitesse, don de l’Esprit. Dans un monde régenté par la spirale de la performance, repartir de la Sagesse redonnerait enthousiasme à nos expériences de vie spirituelle. 

 

 

Abbé Luc Augustin SAMBA