Qui s’élèvera sera abaissé, et qui s’abaissera sera élevé

 

Qui s’élèvera sera abaissé, et qui s’abaissera sera élevé (31èmeDimanche ordinaire - A)

 

 Textes: Ml 1, 14-2. 2, 8-10; Ps 131; 1 Th 2, 7-9, 13; Mt 23, 1-12.   

 

 

Notre monde approuve des relations de vie où la loi du plus fort est toujours la meilleure. La valeur monétaire catégorise les gens selon le show-business du paraître. Elle les place en situation de suprématie sur les autres. Par exemple, l’on cherchera un positionnement qui vous assure pouvoir et notoriété. Disons que l’abaissement n’est pas prisé comme une valeur de société. Pourtant, les mots de Jésus sont bien pragmatiques : « Quiconque s’élèvera sera abaissé, et qui s’abaissera sera élevé». Comment déchiffrer son enseignement dans un monde qui impose l’ostentation comme moyen de contrôle sur les autres?

L’Évangéliste Mathieu écrit dans un contexte qui est déjà conflictuel. Le judaïsme est, depuis la mort de Jésus, hostile au christianisme. Jésus lui-même a expérimenté cette hostilité. Dans la péricope de Mt 23, 1-12, il est mis intentionnellement en scène face aux foules et aux  disciples (Mt 23, 1). Nous sommes dans un espace public. Le discours de Jésus n’est pas ici réservé à ceux et celles qui croient en lui. Jésus s’adresse intentionnellement à ceux qui ne sont pas ses disciples, et, au plus direct, à ses farouches adversaires. D’où la pesanteur conflictuelle et lourde de conséquence découlant de son discours. Sans doute, il est pleinement conscient de la tournure dramatique que peut prendre sa joute oratoire. Son discours introduit un renversement de valeurs. Voici le coup de gueule : s’élever soi-même par ostentation est vil. Voici le coup de cœur : s’abaisser est un gain ; on sera élevé.

Cette vision nouvelle a dû, sans aucun doute, choquer les pharisiens. L’on peut mesurer ici toute l’audace de Jésus. Sans faux fuyant, il remet sur la sellette la perception religieuse des pharisiens. Les pharisiens sont probablement dans les alentours. Ils épient la moindre occasion pour en découdre avec lui. On s’en aperçoit en décrivant le type de pouvoir dont ils jouissent. Ils ont le pouvoir religieux et, par condescendance, le pouvoir politique. Enjôleurs et manipulateurs, ils ont main mise sur l’intelligentsia juive. Ils sont souvent cités à côté des scribes et des docteurs de la Loi. Ils savent amadouer la ténacité de l’occupant romain. Ils finissent par imposer astucieusement leur volonté au Grand-prêtre et au  Sanhédrin. En un mot, ils sont les hommes forts du pouvoir religieux juif. Jésus semble bien les connaître : « Sur la chaire de Moïse se sont assis les scribes et les pharisiens : faites donc et observez tout ce qu’ils pourront vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes : cas ils disent et ne font pas » (Mt 23, 3). Il y a pire : « Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt» (Mt23, 4). L’ostentation est l’appoint spécifique des pharisiens : ils agissent pour se  faire remarquer des hommes…font bien larges leurs phylactères et bien longues leurs franges…aiment à occuper le premier divan dans les festins….recevoir les salutations sur les places publiques, etc. ».

On voit assez distinctement que l’enseignement de Jésus est diamétralement opposé à l’échelle de valeurs des pharisiens. Jésus recommande vertement aux foules et à ses disciples de ne pas les imiter pas. Il pointe du doigt le type d’humilité sous-jacente. La différence est nette : pour vous, ne vous faites pas appeler Rabbi… La leçon est directe : l’humilité est une valeur religieuse qui a une incidence éthique déterminante dans les relations humaines.  

Pour marquer la différence, le témoignage du disciple commence sur l’humilité et se parachève dans l’humilité. C’est cette humilité qui nourrit la foi de Paul. Il en témoigne dans sa première Lettre aux Thessaloniciens (I Th 2, 7-9, 13). De sorte, il en vient aisément à concilier annonce du message de l’Évangile et droiture de sa propre vie. C’est ce que le Synode africain de 1994 désigne sous les termes de « la crédibilité des porteurs du message ». Derrière cette requête de crédibilité se cache une exigence : l’écoute de la voix de Dieu. Le prophète Malachie, en Ml 1, 14-2. 2, 8-10, radicalise cette écoute, pour les prêtres. Elle est écoute intransigeante du cœur qui cherche Dieu.  Au risque de rejet, les prêtres sont tenus d’obéir et de montrer le bon exemple. 

Nous avons deux messages :

1. L’abaissement dont parle Jésus est signe de notre identité. C’est dans l’humilité que notre relation à Dieu et au prochain devient authentique. Si Jésus est rude vis-à-vis des pharisiens, c’est pour nous montrer le vrai visage de Dieu. Ce Dieu qui vient à nous sous le visage humble de la fragilité. Partant, l’ostentation ou toute forme d’orgueil empêche Dieu de prendre sa vraie place dans nos cœurs.

2. Vivre ce que nous prêchons et célébrons, croyons et confessons, c’est réécrire une nouvelle page d’Évangile; c’est devenir un Évangile vivant. Nous comprenons mieux la réalité de la conversion qui s’offre à tous les agents de l’évangélisation, à quelque niveau que ce soit. On peut manifestement admettre l’adéquation ci-après: à message crédible, messager crédible.

 

Abbé Luc Augustin SAMBA