Une promotion de la lectio divina dans le sillage d’Africae Munus

 

Une promotion de la lectio divina dans le sillage d’Africae Munus de Benoît XVI

 

Le 19 novembre dernier, à Ouidah, au Bénin, le Pape Benoît XVI a publié l’Exhortation qui fait suite à la deuxième Assemblée spéciale du Synode des Evêques pour l’Afrique, qui s’était tenue à Rome, du 4 au 25 octobre 2009. Cette Exhortation est intitulée en latin Africae munus (l’engagement de l’Afrique). Le but que poursuit ce document est celui de pousser l’Eglise-famille de Dieu en Afrique d’approfondir sa relation avec le Christ et de promouvoir la réconciliation, la justice et la paix, en devenant toujours davantage « sel de la terre » et « lumière du monde » (Mt 5,13.14). Dans ce sens, la Parole de Dieu à laquelle l’Eglise obéit et qu’elle annonce, occupe une grande place, à côté des sacrements, bien sûr. Car elle est sa norme de foi. Le document lui-même le montre, d’ailleurs. Lorsqu’on le parcourt, on se rend compte qu’il est inondé de citations et de références bibliques. C’est à la source de la Parole de Dieu et de la Tradition vivante de l’Eglise que Benoît XVI a voulu puiser pour porter à l’Afrique et à l’Eglise universelle les résultats de l’Assemblée spéciale du Synode de 2009.

Une coïncidence heureuse, qui ne pourrait passer inaperçue, c’est que ce Synode s’est tenu après celui de 2008 sur la Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Eglise. C’est comme si le premier servait déjà à préparer le second sur le plan précis de la familiarisation avec la Parole de Dieu et son intégration dans la vie personnelle et communautaire, comme un vrai ferment. Cette importance de la Parole de Dieu pour l’Eglise africaine du début du troisième millénaire, se trouve à des endroits importants de l’Exhortation. Dès le premier chapitre, le Pape demande à l’Eglise-famille de porter l’Evangile au cœur des sociétés, d’être servante de la Parole de Dieu (AM, 15). La raison est que cette Parole nous enracine profondément dans le Christ. Il faut donc la lire et la méditer quotidiennement (AM, 16). Celle-ci ne doit pas seulement atteindre le cœur des individus, elle doit aussi imprégner les cultures pour qu’elle les purifie de l’intérieur (AM, 37) et leur donne une vraie vitalité. Pour que tout cela soit possible, le Pape recommande, vers la fin de l’Exhortation, la redynamisation de l’Apostolat biblique (AM, 150) et surtout la pratique traditionnelle de la lectio divina (AM, 151).

Dans le souci de donner un écho aux paroles du Souverain Pontife à l’Eglise-famille, nous nous sommes attelés à mettre à la disposition de nos lecteurs quelques idées sur la lectio divina, pour une meilleure connaissance de cette pratique. Notre réflexion est construite autour de trois moments essentiels : l’importance de la Parole de Dieu dans la tradition juive, puis dans la tradition chrétienne, et enfin, nous donnerons les différentes étapes d’une lectio divina pour encourager sa pratique par les chrétiens.

1 – Qu’est-ce que la lectio divina ?

De prime abord, il sied de signaler qu’elle est une pratique ancienne de l’Eglise qui vise la lecture attentive, la méditation, la prière et la contemplation de la Parole de Dieu. Elle est enracinée dans la liturgie. Elle y trouve sa source et y conduit. Au cours de la lectio divina (que l’on peut traduire en français par lecture sainte), « la Parole de Dieu est lue et méditée pour devenir prière » (CEC, 1177). L’effort de la réflexion qu’on y déploie, est lui aussi d’une grande valeur. C’est, en quelque sorte, une « réflexion priante » (CEC, 2708).

Au sens strict, elle est en principe pratiquée individuellement. Mais elle peut aussi l’être collectivement. En groupe, elle prend plusieurs formes, soit comme partage de la Parole de Dieu (collatio), soit comme méditation publique collective sur un passage des Ecritures, qui s’appuie sur les différentes étapes d’une lectio divina. Dans les lignes qui vont suivre, nous chercherons à présenter l’exercice depuis son enracinement juif, avec l’importance qu’y prend la méditation de la Parole de Dieu, jusqu’à sa pratique aujourd’hui.

2 - La Parole de Dieu dans la tradition juive

Les origines de la lectio remontent d’assez loin. On peut déjà retrouver ses traces dans la tradition juive. Celle-ci établit un lien intime entre Parole de Dieu, prière et vie quotidienne. La parole de Dieu doit être lue, méditée, pratiquée. Dans la liturgie synagogale, après la section de la Torah, on lit un passage prophétique en lien thématique avec la première (Cf. « Glossaire judaïque », dans Dei Verbum 79/80, 2006, 17). C’est une liturgie qui accorde une grande importance à la Parole de Dieu, à son interprétation déjà au sein des Ecritures elles-mêmes, et ensuite dans la vie quotidienne de la communauté et de l’individu.

Le livre du Deutéronome insiste sur l’écoute-obéissance et la pratique de la Torah (Parole de Dieu remise au peuple d’Israël par l’intermédiaire de Moise) qui est la sagesse et la grandeur d’Israël au milieu des autres peuples (Dt 4,6; 6,4-9). Le Psaume 119 (118) est resté comme cet éloge de la Parole de Dieu qui aide le croyant à se maintenir dans une qualité de relation avec le Seigneur et dans une droiture de vie (Ps 119,1-8.9.105). C’est pour cela qu’un juif pieux se repose en méditant, en murmurant la loi du Seigneur (cf. Dt 6,4-9). Un exemple nous est donné dans le NT, dans le récit de la vocation de Nathanaël que Jésus dit avoir vu sous le figuier (Jn 1,45-51, surtout v. 48). Etre sous le figuier devrait être synonyme de repos après le travail, mais un repos rendu fructueux par la méditation de la Parole de Dieu.

En continuant avec la tradition juive, on peut s’arrêter sur l’épisode de la lecture de la Loi en Né 8,1-12. Ici, on peut observer l’articulation entre lecture, explication pour une meilleure compréhension et surtout pour une meilleure application dans la vie, pour mieux vivre son rapport avec Dieu et avec les autres. Ceci est intéressant, lorsque, remontant plus en arrière, au début de l’histoire d’Israël comme peuple, on considère que c’est pour entendre cette Loi que fut convoquée l’assemblée du Sinaï, que Dieu lui-même parle au peuple rassemblé au pied de la montagne (Ex 19-20). Et cela restera le point de référence de toute la vie religieuse d’Israël (cf. Dt 5,1-32). De même, au début de la nouvelle expérience comme peuple qui se reconstruit, après la catastrophe de l’exil, c’est sur l’écoute de la Parole de Dieu qu’Israël veut bâtir sa vie. Dans la conclusion de la nouvelle alliance, la Loi sera écrite non plus sur des tables de pierre, mais directement sur le cœur, pour parvenir à une vraie connaissance du Seigneur (Jr 31,31-34).

Cette manière de concevoir la Parole est importante à un point où elle est considérée comme la nourriture indispensable à la vie de l’homme (Dt 8,3), pour le maintenir pendant sa marche sur cette terre: « […] L’homme ne vit pas seulement de pain, mais que l’homme vit de tout ce qui sort de la bouche de Dieu ». Le Deutéronome est comme un sommet en ce qui concerne l’appel à écouter et à pratiquer la parole de Dieu. Au centre de la vie et du culte juif se trouve la Parole de Dieu, comme nous l’avons signalé ci-haut. Dans la liturgie synagogale, on la lit longuement, on l’explique, on l’actualise. Jésus lui-même a fréquenté la synagogue et a eu à lire publiquement la Parole de Dieu (Lc 4,16-21). Le but visé est de susciter l’adhésion de foi au Seigneur, maître de la vie et de l’histoire. La pratique de la Parole de Dieu aboutit à l’enracinement de la vie dans l’alliance.

Enfin, on peut souligner la nécessité pour chaque juif pieux non seulement de lire la Torah, mais d’en avoir pour son propre compte une copie (dans le Deutéronome, cette recommandation est faite de manière explicite au roi; Dt 17,18). Ce n’est que de cette manière que l’on peut répondre à l’amour de Dieu avec tout l’amour de son cœur (Dt 6,5). Il ne suffit pas seulement de l’observer, mais de s’appliquer à la lire et la mettre en pratique. Le Psaume 1 déclare bienheureux l’homme qui médite jour et nuit la Loi du Seigneur.

2 - Dans la tradition chrétienne

La pratique juive de la lecture assidue de la Parole de Dieu a été assumée aussi dans l’Eglise naissante. Le livre des Actes, par exemple, fait mention de cet eunuque éthiopien qui, venu adorer le Seigneur à Jérusalem, retourne chez lui en lisant un passage du prophète Isaïe. C’est sur ces entrefaites que Philippe le rejoint, lui explique la Parole en l’actualisant au Christ, et finalement lui donne le baptême (Ac 8,26-40; cf. 2 Tm 3,14-16). Mais c’est dans les milieux monastiques que cette pratique va connaitre sa floraison. Guigue le cistercien (+ 1188) invente l’instrument qui réalisera cette union à Dieu, à travers le moyen de la lecture et de la méditation de sa Parole ; ce qu’on finira par appeler « l’échelle monastique ».

Origène (185-254), prêtre d’Alexandrie (Egypte), la pratiquait avec sa communauté. Il insistait pour que les chrétiens scrutent la Parole de Dieu avec la sollicitude d’un amoureux. Les Pères du désert font un grand usage de la Parole de Dieu. On dit de St Antoine Abbé (le père du monachisme) qu’il connaissait toute la Bible par cœur. St Jérôme et autres fondèrent sur la lectio divina toute la vie anachorétique ou cénobitique. Les Pères de l’Eglise, en général, pratiquent la lecture assidue de la Parole de Dieu, à la manière de la tradition rabbinique juive, mais enrichie, cette fois-ci d’éléments de la révélation chrétienne. Leur théologie montre un effort constant de référence à la Parole de Dieu.

Similairement, la liturgie de l’Eglise primitive met en exergue un usage abondant de la Parole de Dieu. La tradition nous a fait parvenir le témoignage de St Justin de Rome (Martyr, +165) au sujet des premières Eucharisties célébrées par l’Eglise: « Le jour appelé jour du soleil, tous, qu’ils habitent la ville ou la campagne, ont leur réunion dans un même lieu, et on lit les mémoires des Apôtres et les écrits des prophètes aussi longtemps qu’il est possible. Quand le lecteur a fini, celui qui préside fait un discours pour nous avertir et pour nous exhorter à mettre en pratique ces beaux enseignements » (La Liturgie des Heures, 532).

C’est en travaillant manuellement que Guigue demande à Dieu de lui suggérer un instrument qui lui permettrait de monter jusqu’à lui. Et se présentèrent à lui, à l’improviste, quatre marches spirituelles: la lecture, la méditation, la prière, la contemplation. C’est ce qu’on appellera donc l’échelle monastique, qui s’élève de la terre vers le ciel.

A partir du 12ème siècle jusqu’au Concile Vatican II, la lectio divina connait une longue période obscure. C’est donc le Concile (du 11 octobre 1962 au 7 décembre 1965), avec son mouvement biblique, qui retrouve la centralité de la Parole de Dieu et ouvrira son usage à tout le peuple de Dieu. Une Constitution dogmatique entière, Dei Verbum (18 novembre 1965) traitera de la Révélation. Celle-ci définit le rapport entre la Parole de Dieu et l’Eglise, comme un rapport d’écoute religieuse et d’annonce hardie (Cf. LG 1). Dès lors, les Papes ne manqueront pas de recommander la lectio divina à l’usage de tous les chrétiens. Tout dernièrement, dans l’Exhortation post-synodale, Verbum Domini (30 septembre 2010), le Pape Benoit XVI est revenu sur la nécessité de la pratique de la lectio divina dans la vie de chaque chrétien et dans la vie des communautés ecclésiales.

3 - Les étapes principales de la lectio divina

La lectio divina se déroule dans son essentiel en quatre étapes qui peuvent se développer en autant d’étapes intermédiaires.

Þ La lecture (répétée au moins trois fois) qui donne la compréhension du texte déjà dans son sens littéraire. Je dois comprendre chaque mot, chaque phrase, les différentes idées, etc.

Þ La méditation de la Parole lue. Elle est une action de l’intelligence, de la mémoire, mais aussi du cœur. C’est dans mon cœur qu’habite Dieu. Elle mobilise la pensée, l’imagination, l’émotion et le désir. « Cette mobilisation est nécessaire pour approfondir les convictions de foi, susciter la conversion du cœur et fortifier la volonté de suivre le Christ » (CEC, 2708).

Þ La prière sur cette Parole de Dieu et sur ce qu’elle m’a inspiré au cours de la méditation.

Þ La contemplation. La parole lue, méditée, priée, doit habiter dans mon cœur. Je la laisse agir au-dedans de moi, pour qu’elle me transforme. Elle est Parole de Dieu pour moi.

La Parabole du semeur, que l’on rencontre chez les Synoptiques (Matthieu, Marc et Luc), décrit plusieurs attitudes qui peuvent correspondre aux différentes étapes de la lectio divina: « Celui qui entend la Parole et la comprend » (Mt 13,23); c’est l’étape de la lecture. « Ceux qui écoutent la Parole et l’accueillent » (Mc 4,20); c’est l’étape de la méditation et de la prière. « Ceux qui écoutent la Parole avec un cœur parfait et la gardent » (Lc 8,15); c’est l’étape de la contemplation.

Pour clore ce bref parcours, on peut proposer la Vierge Marie, celle qui garde tout dans son cœur, qui y cherche le sens profond des choses (Lc 2,19.51), comme modèle pour la lectio divina. Vivant tous les événements relatifs à la conception et à la naissance de Jésus, elle gardait tout dans son cœur, cherchant d’en saisir le sens en mettant les choses ensemble, en les interprétant, etc. Mais, bien que Luc ne mentionne cela que dans l’évangile de l’enfance, on peut aussi, sans hésiter, évoquer l’épisode de la croix, parce qu’elle y est présente, debout et en silence (Jn 19,25). Et peut-être plus loin, la préparation à la Pentecôte, où Luc la nomme au milieu des apôtres (Ac 1,14). Ceci implique un effort de compréhension, de réflexion qui est indispensable dans la lectio divina. Marie, après avoir entendu la prophétie de Siméon et d’Anne, après avoir retrouvé l’enfant Jésus dans le temple, au milieu des docteurs de la Loi, retourna avec la famille à Nazareth, et elle gardait tout dans son cœur (Lc 1,51). C’est cela la contemplation qui se poursuit dans la vie concrète, au milieu des occupations ordinaires quotidiennes. Ainsi la prière peut nourrir toute la vie, et la vie tout entière devenir prière.

                                                                                         Ildevert Mathurin MOUANGA

                                                                                         Grand Séminaire Cardinal Emile Biayenda

                                                                                         Brazzaville