La Loi nouvelle et la question du bonheur

 

La Loi nouvelle et la question du bonheur

Une Méditation à partir de l’épisode du Jeune homme riche dans Mt 19, 16-22

 

1. Introduction

Toute morale est quête du bonheur, et tout homme désire naturellement le bonheur[1]. Cependant, quand nous lisons l’épisode du Jeune homme riche, nous avons l’impression que la Loi nouvelle[2] instituée par Jésus est « utopique », « irréalisable » à cause de sa radicalité, de son urgence et de ses exigences de l’amour du prochain à la sequela Christi. A la parole du Christ : « Va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi », le jeune riche s’en alla, contristé, profondément abattu, affligé et déçu. Car il avait de grands biens. La question qui se pose face à l’urgence, à la radicalité et aux exigences de cette Loi nouvelle est de savoir si cette dernière est vraiment réalisable et si elle garantit le bonheur. C’est à cette question que la présente réflexion tente de répondre.

2. Le Jeune homme riche et la Loi ancienne

Matthieu nous présente un jeune homme qui avait de grands biens, qui observait la Loi de Moïse, et qui avait un grand désir d’obtenir la vie éternelle. « Maître, que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle ? » Telle est la question que le jeune homme pose à Jésus. Son désir d’obtenir la vie éternelle est vrai puisqu’il dit observer la Loi de Moïse dès sa jeunesse. Cependant, le jeune homme riche est dans une morale d’obligation où émane une justice légaliste. La morale d’obligation est une morale « individualiste ». Elle ne prend pas en compte l’autre dans la quête du bonheur. Elle est une morale qui consiste en l’application formelle des normes, bien que celles-ci peuvent entrer en contradiction les unes avec les autres. Or, il n’y a véritablement justice de la Loi que quand il y a justesse de la Loi. C’est ce à quoi bute le jeune homme riche quand Jésus lui propose de vendre tout ce qu’il possède, de le donner aux pauvres et de suivre Jésus. Cette phrase de Jésus, « va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, puis viens, suis-moi », est une manière pour Jésus d’exprimer et de formuler la Loi nouvelle. En quoi consiste cette Loi nouvelle et comment garantit-elle le bonheur ?

3. La Loi nouvelle comme garantie du bonheur

Dieu nous a choisis dans son Fils Jésus-Christ, dès avant la fondation du monde, pour être saints et irréprochables en sa présence, dans l’amour (Cf. Ep. 1, 4). Il nous a créés pour la vie béatifique, qui est l’union parfaite avec Lui. C’est ce que Saint Augustin exprime par sa célèbre phrase : « Tu nous as faits pour Toi Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi ». Saint Thomas, pour sa part, parle de mouvement du retour vers Dieu (reditus), qui caractérise toutes créatures puisqu’elles viennent de Lui (exitus). Or, par un seul homme, Adam, le péché est entré dans le monde, et, par le péché, la mort (Cf. Rom 5, 12). Mais Dieu a tellement aimé le monde qu’il a envoyé son Fils unique Jésus-Christ, pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle (Jn 3, 14-15). La Loi nouvelle, qui est la loi évangélique, est en effet à comprendre à travers cette promesse du salut. C’est cette Loi nouvelle que Saint Matthieu développe dans les Béatitudes (Mt 5, 1-48). Elle peut être résumée par l’amour de Dieu et du prochain. Mais cette Loi nouvelle n’est praticable qu’à la suite du Christ car il est celui qui, « pour accomplir la volonté de Dieu, a inauguré sur terre le royaume des cieux et nous a révélé son mystère, et par son obéissance a opéré la rédemption » (Vat II. Constitution dogmatique sur l’Eglise, n°3). Dieu, étant en effet la fin ultime de l’homme, celui-ci est appelé à parvenir à la béatitude par des actes libres, conscients, responsables et vertueux.

« Va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi. » est une invitation à la perfection et au bonheur. A la perfection comme Dieu notre Père est Parfait, et le bonheur est participation à son amour en s’unissant à Lui. C’est à cette perfection que nous sommes tous appelés. Pour l’accomplir, nous devons nous rendre disponibles et ouverts à la grâce divine. La Loi nouvelle n’est donc pas utopique, elle est celle par quoi nous accédons à la Béatitude éternelle, qui est l’union parfaite et éternelle à Dieu. Certes, par rapport à la Loi ancienne, la Loi nouvelle est urgente, elle nécessite pour nous une réponse urgente. Sa justice surpasse l’ancienne justice, par sa radicalité et les exigences de l’amour du prochain ; elle se « vérifie » dans les œuvres et prend origine dans une relation intérieure et intime avec Dieu. Mais Dieu, qui nous a destinés à partager son bonheur, prend soin de nous, ses enfants, en nous donnant les grâces nécessaires pour y accéder. Ces grâces dont Il nous comble sont, d’une part, les vertus théologales qui nous purifient et nous aident à s’unir à Lui, et, d’autre part, les sacrements. La radicalité de la Loi nouvelle peut donner l’impression de la difficulté et même de l’impossibilité d’accéder au salut, à la vie éternelle, au bonheur. C’est Dieu qui nous a aimés le premier et sa grâce nous précède toujours. Jésus exprime cela en disant : « quiconque aura laissé maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra bien davantage et aura en héritage la vie éternelle (Mt 19, 29). Cette réponse de Jésus à ses apôtres confirme le bonheur qui a été préparé pour les hommes depuis la fondation du monde.

Le jeune homme riche n’a pas pu se détacher de ses biens malgré son désir de perfection. Une perfection non plus par rapport à la Loi ancienne, mais par rapport à la Loi nouvelle, celle de l’amour de Dieu et du prochain. « Va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, puis viens, suis-moi » est donc une invitation à se mettre à la suite du Christ. C’est une invitation à se mettre en mouvement qui est un encouragement pour une félicité parfaite. Le Christ nous garantit la vie éternelle parce qu’il est mort et ressuscité pour nous, pour le salut du genre humain. Il est la Norme véritable. La morale chrétienne nous invite à devenir à notre tour des « Christ », en incarnant dans notre vie les faits, gestes et paroles de Jésus-Christ, lui qui est « Chemin, Vérité et Vie ».

4. Conclusion

De tout ce qui précède, il ressort que le salut n’est pas impossible et que la loi nouvelle nous garantit la Béatitude éternelle. Si donc, par « la faute d’un seul le péché et la mort sont entrés dans le monde, par un seul, Jésus, nous avons été sauvés et réconciliés à Dieu » (Ep. 5, 12). C’est pourquoi, « quiconque professe de sa bouche que Christ est Seigneur, et croit en son cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, il sera sauvé » (Rom 10, 9). C’est dire que la Loi nouvelle nous oriente vers la plénitude de la vie future, l’union parfaite avec Dieu, qui est notre bonheur. Jésus est pour nous la Norme et le Médiateur pour y parvenir.

 

Adret Claudel BAKATOULA, s.j.

Institut de Théologie de la Compagnie de Jésus

Abidjan-Côte d’Ivoire

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[1] Pour Saint Thomas, toutes les créatures, raisonnables et non-raisonnables, puisque dérivant de Dieu, retournent à Dieu qui est la Vraie Béatitude. Et le bonheur de l’homme, c’est de participer au bonheur de Dieu.

[2] La loi nouvelle prend sa formulation dans le Nouveau Testament, mais nous nous appuyons ici sur les Béatitudes de Matthieu (Cf. Mt 5, 1-48).