L’engagement du fidèle laïc à construire le Royaume de Dieu en Afrique |
L’engagement du fidèle laïc à construire le Royaume de Dieu en Afrique
Ce titre paraît ambitieux, lorsque nous regardons l’étendue du champ d’action qu’il implique. Mais il s’inscrit sur une double ligne. Les évêques du Congo avaient déclaré les années pastorales 2010-2011 et 2011-2012, années du laïcat. Les assises de l’Assemblée plénière des évêques de ces deux années avaient pour but d’approfondir la vocation et la mission du laïc au sein de l’Eglise-famille qui est au Congo. En février dernier, le Conseil National pour l’Apostolat des laïcs avait tenu son assemblée générale à Brazzaville. C’était un haut moment pour redynamiser l’action des laïcs au sein de la famille de Dieu. Entre temps, s’était tenue, au Vatican, la deuxième Assemblée spéciale du synode des évêques pour l’Afrique, du 4 au 25 octobre 2009. A l’issue de cette assemblée synodale, le Pape Benoît XVI a rédigé une Exhortation apostolique intitulée, en latin, Africae Munus (L’engagement de l’Afrique). Cette Exhortation a été donnée à Ouidah, au Benin, le 19 novembre 2011. Dans ce document, le Pape veut poser sur l’Afrique un regard à partir de la foi en Jésus Christ, pour l’inviter, à son tour, à avoir foi et à agir dans la même foi (AM, 5, 13). Tout ce qu’il va dire dans ce document, découle et vise donc cette foi en Dieu, le Dieu de Jésus Christ, pour devenir « sel » de l’Afrique et « lumière du monde » (Mt 5,13.14). Devant les nombreux problèmes qui sévissent l’Afrique, la première attitude que le Pape propose, ce n’est pas une action, mais la foi. Pour nous, c’est à la suite de cette double orientation que nous esquissons cette réflexion, probablement pas pour faire un bilan, mais pour revitaliser la dynamique déjà engagée. 1 – Apprendre à avoir sur l’Afrique un regard de foi Une attitude de foi consonne bien avec ce temps de Pâques. Un temps où nous commémorons l’événement central de notre vie chrétienne : la passion, la mort, la résurrection et la glorification de notre Seigneur Jésus Christ. En effet, pour accepter cela, et, plus encore, pour accepter que cela agit dans notre vie, il faut assurément marquer le pas de la foi. Et parfois, il n’est pas facile. En fait, pendant cette période de Pâques, nous entendons comment les apôtres eux-mêmes vont vaciller entre doute, hésitation et incrédulité, etc., jusqu’à ce qu’ils reçoivent l’Esprit Saint, à la Pentecôte, qui va les conduire, comme le disait Jean, « à la vérité tout entière » (Jn 16,13). Confirmés par l’Esprit Saint, ils pourront proclamer avec assurance que Jésus Christ est Seigneur, et organiser la communauté chrétienne, en adoptant des attitudes parfois audacieuses. Le livre des Actes nous en donne l’exemple avec l’institution des diacres (Ac 6,1-7). Lorsque nous parlons de foi, nous pouvons rencontrer une difficulté : comment la foi peut-elle être la première réponse à donner devant tous les défis qui se posent à nous ? Comment la foi peut-elle être la première attitude chrétienne à avoir devant les difficultés que nous rencontrons en Afrique ? N’est-ce pas une illusion, une utopie pour endormir les consciences et ne plus faire face aux problèmes ? L’idéologie marxiste n’avait-elle pas raison, elle qui voyait dans la religion l’opium des peuples ? Ne faut-il pas entreprendre des actions qui vont apporter des solutions à ces différents problèmes ? Mais en réalité, que comprend le Pape lorsqu’il propose à l’Afrique cette attitude de foi ? En fait, pour Benoît XVI, l’Afrique a grandement besoin d’entendre la voix du Christ, celle qui proclame l’amour de l’autre sans vengeance aucune ; un amour qui atteint jusqu’à l’ennemi et qui peut arriver au don de sa propre vie[1]. A partir de ce point, on peut rejoindre d’autres documents importants du pontificat du Pape théologien, notamment, les Lettres encycliques Deus Caritas est (Dieu est Amour), et surtout Caritas in Veritate (l’Amour dans la Verité). 2 – L’engagement des laïcs africains dans l’exhortation de Benoît XVI Parmi les membres de l’Eglise que l’exhortation apostolique épingle, se trouvent les laïcs (AM, 128-131)[2]. Leur premier rôle en tant que baptisés, est de rendre l’Eglise présente et active dans le monde (AM, 128). On devrait même dire que les fidèles laïcs ont un rôle de plus en plus prophétique à jouer. Dans la théologie chrétienne, le sacrement est un signe visible d’une réalité invisible. Au Concile Œcuménique Vatican II, l’Eglise s’était définie comme sacrement, signe et moyen efficace de l’union des hommes et Dieu et des hommes entre eux[3]. Les laïcs, par leur présence partout où ils sont dans le monde, rendent l’Eglise visible, présente et agissante. Dans l’Eglise Catholique, la première fonction de représentation est reconnue à l’évêque. « Il représente visiblement le Christ, Bon pasteur et Tête de l’Eglise »[4]. Si l’évêque représente l’Eglise en tant que pasteur, le laïc le représente en tant que membre du corps, et ce, dans le monde. Dans ce sens, la présence de l’Eglise dans le monde n’est pas une présence passive, mais plutôt active. Et cette action est celle qui est menée par les fidèles laïcs, compte tenu de la spécificité de leur vocation et de leur mission. On comprend alors la conséquence que tire le Pape. Il faut que les laïcs soient bien formés, de sorte qu’ils se présentent avec compétence chrétienne partout où ils sont. Dans ce sens, Africae Munus rejoint Ecclesia in Africa qui recommandait déjà la mise en place d’écoles, de centres de formation biblique et pastorale[5]. On sent l’insistance que Benoît XVI veut marquer, lorsqu’il précise que c’est chaque diocèse qui doit s’y appliquer, comme pour obtenir une action encore plus efficace. Le problème est que si on n’est pas bien formé, on ne peut bien agir et donc bien jouer son rôle. Il ne suffit plus alors d’avoir fait le catéchisme, d’avoir reçu tous les sacrements, et même de rendre un témoignage de vie cohérent. Encore faut-il qu’on se forme dans le domaine religieux pour mieux agir, pour mieux vivre sa vie chrétienne. En effet, plus on est formé, mieux on peut orienter son action. Le propos ici n’est pas de méconnaître l’importance du témoignage de foi dans la vie chrétienne. Il est irremplaçable. Mais le témoignage lui-même a besoin de l’éclairage que lui apporte la formation religieuse, la compétence. Une responsabilité particulière est attribuée aux évêques pour qu’ils donnent aux laïcs une bonne conscience de leur mission au sein de l’Eglise et dans la société. Au niveau social, le Pape précise qu’ils doivent acquérir un sens de responsabilité qui porte sur le bien commun. Ceci est vraiment nécessaire pour ceux qui s’engagent dans le monde politique et économique, qui doivent prendre à cœur leur propre conversion, condition nécessaire pour transformer le monde (AM, 103). 3 – Quelques lieux de l’engagement des laïcs Un certain nombre de lieux où cette représentation est requise, sont indiqués par le document : c’est le milieu politique, économique et social. Un chrétien qui exerce dans ces milieux, doit avoir conscience d’être comme en ambassade, ce que Paul disait de sa mission aux Corinthiens (2 Co 5,20). Au cœur du monde, là où le destin du monde est en jeu, le chrétien ne doit pas oublier qu’il y est un envoyé spécial du Christ, un représentant de l’Eglise. Ici, il ne faut pas non plus fausser le jugement. Dans notre mentalité congolaise, lorsqu’on parle de politique, on voit d’abord les hautes fonctions de l’Etat. On peut oublier que le chef de quartier, de bloc, de zone, etc., assume lui aussi une responsabilité politique. Mais aussi le simple citoyen. Celui-ci, par exemple, lorsqu’il s’agit d’élections, assume un rôle politique non négligeable. Il ne faut donc exclure aucun échelon social de cette fonction. Ainsi comprise, la vie chrétienne est exigeante. L’enseignement du Magistère, d’ailleurs, demande qu’on encadre de manière particulière ceux qui s’engagent en politique, qu’ils comprennent la délicatesse de leur mission à la lumière de la doctrine sociale de l’Eglise, pour qu’ils y agissent comme le levain dans la pâte, comme sel de la terre et lumière du monde (AM, 128). Dans l’engagement du laïc africain, il faut aussi envisager l’horizon de l’appel à la sainteté (AM, 129). Cet appel est universel. Il concerne tous les baptisés. Et les laïcs vivent cette sainteté, là où ils jouent leur rôle de représentation, c’est-à-dire au cœur du monde. Ceci implique qu’ils doivent prendre soin de leur vie intérieure. Plus haut, nous avons notifié qu’ils devaient acquérir de la compétence chrétienne, maintenant on y ajoute nécessairement le soin de la vie spirituelle[6]. Celle-ci se soigne par la prière, les sacrements, notamment, l’Eucharistie et la Pénitence[7], la lecture et la méditation de la Parole de Dieu. C’est de cette manière que l’Esprit Saint va éclairer la pensée et l’agir. Et si l’Esprit Saint éclaire le cœur et la pensée de la personne, celle-ci peut toujours mettre au centre de son activité le bien commun et le sens de la personne humaine. Un des problèmes pas seulement de la politique, de l’économie, mais de la société en général, c’est d’écarter Dieu de certaines sphères de la vie. Ce que le chrétien fait, c’est donc replacer Dieu de là où on veut l’écarter, et affirmer la transcendance de la personne humaine. C’est dans Caritas in Veritate que Benoît XVI affirmait sans ambages que l’activité économique elle-même devrait être ouverte à cette transcendance si l’homme ne voulait pas être réduit au rang de simple machine de production, s’il ne voulait pas produire un humanisme inhumain. Et cette transcendance appelle en réalité celle de Dieu lui-même[8]. Dans ce sens, le témoignage chrétien dans tous les milieux où il se trouve, est important (AM, 130). On peut prendre l’exemple du milieu professionnel. Ici, le chrétien doit montrer que le travail est un lieu d’épanouissement personnel, très positif et qu’il n’est pas tout d’abord un moyen de profits. Pour le chrétien, le milieu du travail est le lieu où il participe à l’œuvre de la création de Dieu et se met au service de ses frères. A travers ce travail, il rend gloire à Dieu et participe au relèvement du monde. Dans ce travail, il apporte l’esprit de l’Evangile, l’esprit des béatitudes (Mt 5,3-12) et il pratique l’option préférentielle pour les pauvres. Il faut donc se soucier d’acquérir de la conscience non seulement professionnelle mais aussi chrétienne dans son travail, sans oublier du professionnalisme, de la compétence. Tout cela participe dans le témoignage chrétien. Ainsi faisant, on devient sel de la terre, lumière du monde. 4 – La prise en charge des plus pauvres Nous en faisons un paragraphe spécial, non parce qu’il ne serait pas un lieu de l’engagement du chrétien dans le monde, mais à cause de l’importance particulière que ce champ précis revêt. Prendre soin des pauvres restera toujours une pressante exigence au cœur de l’agir chrétien. Ils sont le visage du Christ dans notre société (cf. Mt 25,31-46). Une société qui ne prend pas soin de ses pauvres, est une société qui n’a pas encore atteint sa maturité dans le témoignage de l’Evangile. Les chrétiens doivent penser de plus en plus à prendre en charge les plus pauvres, leur donnant leur dignité et soulageant leur misère. Il faut reconnaître ce qui se fait avec les orphelinats et autres initiatives, mais il faut aussi reconnaître que ce n’est pas encore suffisant. Ceci exige que les chrétiens s’organisent davantage, qu’ils mettent en action tout leur dynamisme. C’est ainsi qu’ils vont témoigner de l’Evangile au cœur de ce monde. Pour mener un tel travail, les chrétiens peuvent s’organiser en association, précise Benoît XVI (AM, 131). Celles-ci sont des lieux où on apprend à agir ensemble à former sa conscience, à lutter pour la justice et la paix, à lutter pour le développement de la société, travailler pour le changement de mentalité. Notre Eglise congolaise ne manque pas d’associations de laïcs. Elles sont aussi actives. Mais il faut qu’elles renouvellent leur dynamisme et s’imprègnent de plus en plus de l’enseignement de l’Eglise. 5 – Quelques points obscurs pour notre société En regardant notre pays, depuis qu’il a reçu le grain de l’Evangile, on peut constater que beaucoup de choses ont évolué. Mais les rapides mutations de ces derniers temps révèlent que d’autres phénomènes sociaux surgissent et risquent de ralentir la réalisation d’une culture chrétienne. Lorsque l’évangile rencontre une culture, il doit la pénétrer en profondeur pour qu’il puisse la transformer. C’est à cela qu’il faut travailler. C’est ce que nous pouvons appeler enracinement de la culture dans l’Evangile. Pour ce qui est des domaines dans lesquels l’Evangile a encore du mal à pénétrer, nous pouvons citer pêle-mêle le phénomène de la sorcellerie qui donne plutôt l’impression de revenir chaque année en force et met en œuvre dans les familles de plus en plus de désaccords, si ce n’est de la violence. Les comportements de déviance devant des cas de décès qui portent atteinte à la pudeur, particulièrement dans les milieux urbains. A ceci s’ajoute la musique impudique, à tout volume, dans les débits de boisson et les transports en commun, atteignant ainsi le droit à l’intimité des usagers. Les difficultés des veuves et des orphelins lorsque meurt le père. Le mariage de la fille décédée si la dot n’avait pas été versée auparavant. A l’opposé de cela, la société ne se bat pas pour que ces jeunes puissent se marier et créer des foyers dignes, des familles dignes. Le mariage coutumier qui ne fait qu’augmenter de prix, en dépit des dispositions du code de la famille, etc. Ce tableau n’est pas exhaustif. Il a juste essayé d’épingler des chantiers dans lesquels les chrétiens laïcs et toute l’Eglise avec eux peuvent s’engager, pour instaurer le règne de Dieu dans notre vie. Une société pénétrée par l’Evangile, s’engage à affronter ces situations qui risquent bien de se révéler comme inhumaines et peut-être, déshumanisantes. Si la vie chrétienne ne se manifeste qu’à travers la dévotion, elle ne peut pas encore être considérée comme mature. Il est important que la dévotion accompagne aussi l’action et vice versa. C’est dans ce sens que l’exhortation a rappelé la création des associations dans lesquelles les chrétiens se regroupent pour vivre les valeurs de l’Evangile. C’est dans ce sens que la création des communautés chrétiennes vivantes de quartier ou de village peut devenir pour nous, pour notre Eglise-famille d’une grande nécessité pour que les chrétiens y apprennent à lire la Parole de Dieu à la lumière de la vie sociale et inversement, et agir dans le monde à la manière d’un ferment. Il faut de plus en plus lier les deux. C’est dans ce sens qu’il nous faut travailler, et qu’il nous faut réfléchir. Abbé Ildevert Mathurin MOUANGA Grand Séminaire Emile BIAYENDA. [1] Cf. Benoît XVI, Exhortation apostolique post-synodale Africae Munus, 19 novembre 2011, n. 5. [2] On peut noter ici que les deux exhortations adressées à l’Afrique, s’adressent pratiquement aux mêmes catégories de personnes au sein de l’Eglise. Ecclesia in Africa pour sa part avait une adresse particulière pour les jeunes (n. 93), une couche que Jean Paul II a beaucoup porté dans son cœur et dans son action durant son ministère de successeur de Pierre. [3] Concile Œcuménique Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium (21 novembre 1964), n. 1. [4] Jean Paul II, Catéchisme de l’Eglise Catholique (11 octobre 1992), n. 1561. [5] Jean Paul II, Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa (14 septembre 1995), n. 90. [6] Cf. Benoît XVI, Lettre Encyclique Caritas in Veritate, (29 juin 2009), n. 79. [7] Au n. 32, le Sacrement de la Réconciliation est présentée comme celui à travers lequel se vit la conversion, qui est appelée à devenir « une véritable "école du cœur" », à laquelle école, le chrétien se forge une vie adulte attentive aux dimensions théologales et morales de ses actes, et arriver ainsi à une vie toute imprégnée de l’esprit évangélique. [8] Cf. Benoît XVI, Caritas in Veritate, n. 75, 76. |