L’amour de Dieu oriente notre vie

 

L’amour de Dieu oriente notre vie (Sixième dimanche de Pâques - Année B)

 

Textes : Ac 10,25… 48 ; Ps 97 ; 1 Jn 4, 7-10 ; Jn 15, 9-17

 

La lecture des Actes des Apôtres montre la première ouverture de la communauté chrétienne primitive vers le monde païen, prélude de la grande entreprise missionnaire dont Paul sera le grand protagoniste. Ici, il s’agit du premier contact de Pierre avec les gentils. Probablement, Pierre n’avait cédé qu’après plusieurs résistances intérieures, comme on le voit bien dans le livre (Cf. Ac 10, 9-16). Les Actes des Apôtres montrent aussi de quelle manière l’homme obéit aux impulsions de l’Esprit Saint. Dans cette ouverture vers les non Juifs, il y a comme un principe de base que l’homme doit nécessairement apprendre, en commençant par Pierre lui-même : « Dieu ne fait pas de différence entre les hommes ». Ce principe se trouve dans le Deutéronome (10, 17), dans un contexte de justice à appliquer surtout envers les catégories sociales les plus faibles, notamment la veuve, l’orphelin, l’étranger. Si l’Eglise est de Dieu, elle doit accueillir tous les hommes, sans distinction. Si les chrétiens sont membres du Christ, ils ne doivent faire acception de personne. C’est sur cette base que l’Eglise primitive s’ouvre aux païens, cherche à construire une fraternité qui abat les frontières, en appliquant la justice, surtout en faveur des plus vulnérables (Cf. Ac 6). Une fraternité vraie implique une justice équitable, impartiale, authentique.

Dans le texte, la preuve que Dieu ne fait pas de différence entre les hommes, entre les peuples, c’est qu’il donne le même Esprit Saint aux païens, chez Corneille, comme aux Juifs, les apôtres. L’Esprit Saint devient donc le principe de l’amour qui unit non seulement les personnes trinitaires mais aussi tous les hommes en Dieu et entre eux (Cf. Rm 5, 5). Le baptême, qui immerge dans le Christ et nous fait entrer dans la famille des enfants de Dieu, devient la reconnaissance et le ciment de ce peuple nouveau sans frontières, qui s’est créé en Jésus Christ, par le don de l’Esprit. Dans la construction de l’Eglise-Famille aujourd’hui en Afrique, nous sommes appelés à redécouvrir ce principe qui a été à la base de la consolidation de la communauté chrétienne primitive et de son ouverture. Les sacrements du Baptême, de la Confirmation et de l’Eucharistie doivent de nouveau être vécus comme autant de chemins de l’Eglise pour construire le peuple de Dieu dans la richesse de sa diversité.

La deuxième lecture vient renchérir cette ouverture de la famille chrétienne, en exhortant à l’amour. Cet amour, dont Dieu est l’origine, est tellement important qu’en manquer est synonyme d’ignorer Dieu, et en avoir, c’est être enfant de Dieu. L’amour est tel dans la nature de Dieu que quiconque se reconnaît de lui doit savoir l’exprimer. Un adage très célèbre de chez nous stipule que « L’herbe que mange la chèvre est celle-là aussi que mange son petit ». L’homme apprend à aimer de Dieu. C’est le Christ qui nous apprend comment on aime jusqu’au bout (Cf. Jn 13, 1). Le Pape Benoît XVI avait ouvert son pontificat avec une Lettre encyclique sur l’amour chrétien, Deus Caritas est (Dieu est amour). Dans cette lettre, il faisait ressortir les différentes conceptions de l’amour humain dans le monde grec, ou, mieux encore, les différentes dimensions de cet amour qui peuvent prévaloir les unes sur les autres, depuis l’amour eros jusqu’à l’amour agapè, comme amour fondé sur la foi et modelé tout entier par elle (DCE, n° 7). Voilà pourquoi nous parlons d’amour qui vient de Dieu.

Cet amour n’a pas d’abord l’autre pour objet, mais Dieu. C’est dans la mesure où je manifeste d’abord de l’amour pour Dieu que je suis amené à aimer aussi les autres. L’amour pour Dieu est premier et oriente celui envers les autres, le soutient, le fortifie. Mais l’homme ne saurait aimer, si Dieu ne l’avait pas aimé le premier. C’est pour cela que l’amour de Dieu est source et sommet de l’amour de l’homme. Source dans la mesure où il naît de lui, et sommet, parce qu’il culmine vers lui. Ici apparaît une exigence, celle de toujours purifier son propre amour en l’orientant d’abord vers Dieu qui en est la source.

En Jésus Christ et par lui, Dieu nous a donné la preuve suprême de son amour : il est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs (Cf. Rm 5, 8). C’est ainsi que nous avons été sauvés. L’amour chrétien n’attend donc pas que la personne à aimer soit d’abord parfaite, bonne. Mais il est déjà donné sans condition, et c’est aussi dans cette mesure qu’il devient force qui convertit la personne aimée à l’amour. Celui qui se sent vraiment aimé ne peut qu’aimer à son tour.

L’Evangile, tout en allant dans le même sens de l’amour jusqu’à en faire un commandement, y ajoute d’abord un élément de grande importance : le verbe demeurer. C’est celui-là qui doit caractériser l’élan de l’homme vers Dieu et celui de l’homme vers son prochain. L’amour chrétien n’est pas un acte passager, fugace, mais un acte qui dure dans le temps et qui finit par imprégner l’homme tout entier, au point de devenir sa seconde nature. L’homme est caractérisé, en effet, par une diversité d’expériences d’amour fugitif, sans lendemain, qu’il cherche parfois à sublimer, à considérer comme un amour avec « a » majuscule. Mais parfois, il en reste avec un goût amer dans la bouche, et il réalise alors que ce n’était pas un amour comme tel, tant il était passager et fugace. L’amour, c’est Dieu, et Jésus Christ est l’amour de Dieu en personne. C’est lui l’amour qui demeure, qui ne change pas, qui ne vieillit pas, qui ne déçoit pas.

La beauté de ce texte d’Evangile, c’est qu’il contient plusieurs fois le verbe aimer ou le nom amour ou encore un autre terme connexe. Nous pouvons compter jusqu’à douze usages au sein de ce passage. Et cela n’est pas rien. On sent l’insistance. Mais en même temps, l’Evangile est clair. Ce que l’on propose comme amour s’enracine en Dieu. Il est intéressant d’observer le jeu qui est tout au début : c’est un amour qui commence du Père vers le Fils, qui passe de lui vers les disciples à qui on s’adresse et qui culmine dans l’ordre d’y demeurer. On sent ici que l’amour devient une exigence qui engage toute la vie et toutes les potentialités de l’homme. Il faut y appliquer tout son être pour que tout son agir suive et en soit modelé. C’est dans ce sens que le Pape Paul VI, au cours de la Pentecôte 1970, parlait pour la première fois de « civilisation de l’amour », une expression qui aujourd’hui a traversé même les frontières de l’Eglise quant à son usage.

Lorsque l’Evangile parle de commandement, il convient bien de lui attribuer une valeur non ponctuelle mais perpétuelle. A tel point que c’est l’amour qui devient le signe distinctif des fidèles du Christ. De génération en génération, c’est par l’amour qu’ils ont les uns pour les autres, jusqu’aux ennemis, qu’ils seront reconnus comme disciples du Christ (Jn 13, 35). Au soir de la vie de chacun, c’est aussi sur l’amour que l’on sera jugé. Voilà comment cet amour est placé au centre de la vie. Les disciples en avaient fait l’expérience, eux que le Maître n’appelait plus esclaves, mais amis. Ils ont pu vivre du même amour, eux qui ont versé leur sang pour Dieu et pour leurs frères. C’est du même amour que nous aussi sommes appelés à vivre partout où nous sommes, dans nos différents milieux de vie, pour répandre partout l’odeur du Christ. C’est cet amour qu’il faut chercher à faire naître dans nos cœurs, à faire grandir, pour qu’il arrive à maturité et à une vraie expression de vie chrétienne. C’est l’amour du Christ que nous aurons les uns envers les autres, qui sauvera l’Afrique.

Abbé Ildevert M. MOUANGA

Grand Séminaire E. BIAYENDA