La foi et l’opulence |
La foi et l’opulence
Plus que celui d’antan, l’homme d’aujourd’hui a le sentiment de se réveiller d’un long sommeil pendant lequel la coutume, le despotisme, le fanatisme et les préjugés étouffaient son agir. Faisant usage des pouvoirs que lui confèrent la raison, l’esprit critique et la liberté, il part à l’assaut de toutes les forteresses taxées d’obscurantisme. Sa foi en la raison s’étend ainsi à tous les domaines. Il perfectionne la technique et favorise le commerce et la prospérité. Il est, par ce fait même, emporté par les vagues du changement. Cette révolution est, à bien des égards, la cause du relativisme religieux. Ainsi, dans un monde gagné par l’évènementiel, la recherche du profit, « selon les règles comptables des boutiquiers », devient le maître mot, mieux le paradigme de toutes relations sociales. Dans un tel contexte, comment parler de la foi à des hommes et à des femmes assis dans un confort inexorable, quand on sait – même si on n’ose pas l’avouer – que le bien matériel paraît être l’expression d’une vie exemptée de soucis des besoins naturels et nécessaires comme le manger, le boire, le dormir ? 1. L’opulence comme fausse sécurité En considérant la société humaine d’un regard tranquille et désintéressé, elle ne semble montrer, d’abord et avant tout, que la violence des hommes puissants et l’oppression des faibles. De ce constat, une question surgit : quelle est la cause de cette lutte permanente ? En effet, cette question peut-être dite rhétorique, en ce sens qu’elle porte en son sein sa propre réponse, c’est-à-dire que cette lutte se donne déjà à comprendre comme une volonté manifeste de persévérance des forts dans leur forteresse, et un enfoncement des faibles dans leur faiblesse. Dès lors, le désir universel de mégalomanie, de réputation, d’honneur et de préférence, exerce et compare les forces. Il excite et multiplie les passions, rend tous les hommes concurrents, rivaux ou ennemis, et favorise ipso facto le renfermement, mieux le repli sur soi. A ce stade, l’abondance des biens, ou l’opulence, devient un simple moyen de manifester sa volonté de puissance. Ainsi, l’ambition dévorante, l’ardeur d’élever sa fortune relative, moins par un véritable besoin que pour se mettre au-dessus des autres, inspire à tous les hommes un noir penchant à se nuire mutuellement. Dans ce contexte, le Pape Paul VI écrit : « l’acquisition des biens temporels peut conduire à la cupidité, au désir d’avoir toujours plus et à la tentation d’accroître sa puissance »[1]. De cette assertion, il résulte que, dès lors que l’opulence devient le bien suprême qui empêche l’homme de « regarder le ciel », les cœurs s’endurcissent et les esprits se ferment ; les hommes ne se réunissent plus par amitié, mais par intérêt. De la sorte, la croyance en ses propres mérites et la surestimation de soi peuvent faire dire à l’opulent : « Que vais-je faire ? Je ne sais pas où mettre ma récolte. Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y entasserai tout mon blé et tout ce que je possède. Alors, je me dirai à moi-même : Te voilà avec des réserves en abondance pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence » (Lc 12, 17-19). Or, la parabole ajoute : « Mais Dieu lui dit : Tu es fou : cette nuit même, on te redemande ta vie. Et ce que tu auras mis de côté, qui l’aura ? » (Lc 12, 20-21). Comme conséquence, « l’autosuffisance dit l’autodestruction ». Car, comme un fruit qui atteint la maturité se décompose s’il n’est pas cueilli, ainsi un homme autosuffisant rompt-il tous rapports extérieurs pour avoir évacué la dimension de l’entraide. Or, la vie est bien lourde pour un solitaire, dans la mesure où « l’homme par sa nature profonde, est un être social, et sans relations avec autrui, il ne peut ni vivre ni épanouir ses qualités»[2]. Au final, la constance dans « les eaux stagnantes » de l’opulence a pour résultat la mort intérieure de l’opulent. La mort entendue comme « l’instant de la disparition et la disparition de tous les instants », car « la recherche exclusive de l’avoir fait obstacle à la croissance de l’être »[3]. 2. L’opulence comme lieu privilégié de la pratique de la charité Dans le monde actuel, la foi n’est plus une évidence sociale. Mais contre toute attaque, elle doit prouver sa crédibilité. Aussi la crédibilité d’un Dieu qui est l’Amour même ne doit-elle se prouver que par l’amour de ceux qui transmettent à leurs frères humains, l’amour de Dieu qu’ils ont reçu et le rendent présent dans l’aujourd’hui de leur agir. Dans ce contexte précis, évangéliser serait d’abord regarder le monde et les hommes avec le même regard que celui du Christ. De là, on peut dire : bien que la société soit le lieu des affrontements entre les hommes, elle reste cependant le lieu où ceux-ci éprouvent le besoin de l’autre et la communion nécessaire. Dès lors, l’opulence devient un lieu où la charité tente d’atteindre son paroxysme. En effet, « Tout programme, fait pour augmenter la production, n’a en définitive de raison d’être qu’au service de la personne. Il est là pour réduire les inégalités, combattre les discriminations, libérer l’homme de ses servitudes, le rendre capable d’être lui-même l’agent responsable de son mieux-être matériel, de son progrès moral et de son épanouissement spirituel »[4]. De cette manière, l’abondance des biens de l’homme ne doit avoir pour point culminant que la charité ou le service, en ce sens que celui-ci est « la seule voie véritable de glorification de l’homme ». Bien que « la charité sans la foi serait un sentiment à la merci constante du doute »[5], n’empêche qu’elle demeure la plus grande des vertus théologales (1 Cor 13, 13). De ce fait, aux personnes qui n’ont pas encore reçu la foi, en ce sens que celle-ci « est un don de Dieu, une vertu surnaturelle infuse par Lui »[6], l’Eglise ne devrait commencer que par lancer un vibrant appel à la charité, car la rencontre avec Dieu se place dans le champ des relations sociales de l’homme avec son prochain. Dans cette optique, Claver Boundja écrit : « le reflet de Dieu dans l’immanence historique advient en cet instant où un être humain se trouve investi par Dieu, sous forme d’un appel à servir le pauvre, l’étranger, la veuve et l’orphelin, car il s’agit là de la justice la plus grande qui puisse leur être rendue »[7]. C’est dire que la charité est le critère déterminant d’une société qui se veut juste, car c’est d’elle que proviennent la justice, la paix et la réconciliation. Ainsi, l’opulent, s’il n’a pas encore reçu la foi, – car « Nous ne pouvons pas oublier que, dans notre contexte culturel, de nombreuses personnes, bien que ne reconnaissant pas en soi le don de la foi, sont quand même dans une recherche sincère du sens ultime et de la vérité définitive sur leur existence et sur le monde. Cette recherche est un authentique "préambule" à la foi, parce qu’elle met en mouvement les personnes sur le chemin qui conduit au mystère de Dieu »[8] –, doit mettre ses biens au service de la charité. De la sorte, l’attention et le secours à apporter aux catégories les plus courantes de la détresse humaine, pourront devenir un sol de germination d’une foi en l’Auteur même de la vie. En péroraison, il appert que si notre opulence est un signe visible de l’amour reçu de Dieu, alors elle est donc une invite à faire de nous-mêmes et de notre vie un don. C’est justement un tel message qui sonne étrangement dans les oreilles de la plupart des gens d’aujourd’hui, car un trait fondamental de notre société est de prendre, puis à nous accrocher à ce que nous avons pris, plutôt que de donner. Cet égoïsme rigide est signe de mort, non de vie, car la vie naît de l’amour, et seul celui qui donne sa vie la trouvera (Mc 8, 35).
Newman Suijès SAMBA DIA MBEMBA IIème Année de théologie Grand séminaire Emile Biayenda
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