Interview de Mgr Louis Portella sur l’éducation au Congo

 

Interview de Mgr Louis Portella sur l’éducation au Congo

 

 

« Eduquer ou périr ». C’est le titre de la déclaration sur l’éducation nationale, publiée par les évêques du Congo, mardi 4 février 2014, à Brazzaville. Dans cette déclaration l’Eglise catholique, en tant qu’entité de la société civile, attire l’attention des décideurs et partenaires de l’Education sur les maux qui minent le système éducatif congolais. Mais comme au sujet du pétrole, il y a quelques années, l’Eglise a dû faire une mise au point avec des autorités policières. Malgré cela, Mgr Louis Portella Mbuyu, président de la Conférence épiscopale du Congo, Evêque du Kinkala, exhorte à davantage de contrôle, à la prise de conscience et à l’appui d’autres acteurs de la société civile pour réduire, sinon éradiquer les maux qui minent l’école congolaise.

 

J.M. : Pourquoi un tel titre ?

 

Mgr L. P. : Ce titre a été choisi à dessein par la commission épiscopale Justice et paix. Il fait référence à un livre écrit par un grand historien africain, Joseph Kizerbo, dans les années 90, et que j’avais lu moi aussi à l’époque. L’auteur attirait l’attention des responsables africains sur l’impérieuse urgence de s’investir sérieusement dans l’éducation, si l’on veut préparer de manière adéquate l’avenir de l’Afrique. En effet, les générations passent et se relaient. Si la jeune génération d’aujourd’hui n’est pas éduquée comme il faut sur le plan, non seulement intellectuel, mais aussi moral et spirituel, c’est comme si on hypothéquait l’avenir du continent, étant donné que c’est cette génération qui, demain, devra prendre en main les destinées de l’Afrique.

 

J.M. : « Lutte contre la corruption dans le domaine de l’éducation nationale et contre les injustices en vue de réduire la pauvreté au Congo ». Selon votre enquête, quels sont les indices qui vous ont permis de déceler ces maux dans le cadre de l’éducation ?

 

Mgr. L. P. : Il faut d’abord bien limiter le cadre de l’enquête. Celle-ci a été effectuée sur l’exécution budgétaire au cours des deux années 2010 et 2011, dans un domaine bien précis : l’éducation. Il s’agissait de voir, dans ce laps de temps, d’une part, les budgets qui ont été arrêtés par les autorités pour l’éducation dans différents départements, et d’autre part, la mise en œuvre effective des projets. La commission Justice et paix, qui s’est occupée de cette enquête, s’est rendue compte que l’exécution budgétaire, dans plusieurs départements, s’est faite à hauteur de 30 %, 40 % ou 50 %. Ainsi donc, on peut parler de faille de la part de certains entrepreneurs et un manque de suivi de la part de certaines autorités. Et comme l’ont signalé certains honorables [députés], ce constat est révélateur d’un phénomène assez fréquents. Il était donc de la haute importance de lancer un appel, non pour accuser, mais plutôt pour éveiller et attirer l’attention de tous.

 

J.M. : Qu’est-ce que l’Eglise suggère pour réduire, sinon éradiquer ces maux ?

 

Mgr L.P. : Ce que nous suggérons, c’est qu’il y ait une plus grande vigilance de la part de nos autorités. Il y a tout un dispositif institutionnel qui a été mis en place par nos autorités : le Contrôle d’Etat. Il faut donc que cette institution soit encore plus rigoureuse, avec tout ce que cela implique : interpellations, sanctions, etc. Ce n’est qu’ainsi qu’on aidera les gens à ne pas se laisser entrainer sur le chemin de la corruption, du laxisme. Bref, vigilance et rigueur, voilà ce que nous attendons de la part de l’Etat. Dans ce sens, la sanction est médicinale et donc bienfaisante pour la société.  

 

J.M. : La déclaration s’inscrit dans le contexte d’un plaidoyer social afin d’inciter les décideurs politiques à investir davantage dans l’éducation de la jeunesse du Congo. Que faites-vous exactement ?

 

Mgr L.P. : L a première démarche que nous avons faite a consisté dans ce qu’on a appelé la « Semaine Sociale ». Il s’agissait de sensibiliser différents acteurs concernés par ce domaine de l’éducation, comme l’Etat, la société civile, l’Eglise elle-même. Il faut reconnaitre que cette « Semaine Sociale », a été un succès. Dans un deuxième temps, nous avons publié un appel, sous le titre déjà évoqué, « Eduquer ou périr ». Mais le travail est à poursuivre, à travers des contacts et des relations à entretenir avec les autorités pour obtenir que des mesures sévères soient prises à l’endroit de ceux qui doivent exécuter les budgets. Attirer l’attention, mettre le doigt sur une situation, un problème, voilà une fonction que nous appelons « la mission prophétique », qui n’est pas, encore une fois [sic], mais plutôt d’éveil des consciences et d’appel à un sursaut.

 

J.M. : Comment votre rapport a été accueilli par les différents intervenants dans la sphère de l’’éducation ?

 

Mgr. L.P. : Le rapport a été bien accueilli, tant dans les services du Ministère de l’éducation nationale que chez certains membres de l’Assemblée nationale, ainsi qu’au niveau de la société civile. C’est en fait une préoccupation qui est partagée à plusieurs niveaux de notre société. Prenons une image : s’il n’y a pas de lampes rouges qui de temps en temps s’allument pour attirer l’attention de la société, on ne rendrait pas service à la société. Nous sommes tous faillibles. Nous avons à nous aider les uns les autres. Et tant qu’on peut le faire, il faut le faire, si on aime sa société.

 

J.M. : Nonobstant, l’Eglise a été interpelée par les autorités policières ?

 

Mgr L. P : Disons que ce n’est pas en fait une interpellation. C’était plutôt une mise au point. Les autorités de la police ont appelé le responsable de la commission [Justice et paix] pour lui demander comment l’enquête a été réalisée. En même temps pour souligner les limites de l’enquête. On s’est limité à deux années. Elles ont dit, « que certains budgets ont été exécutés après, donc en 2013 ». Tant mieux ! Mais toujours est-il que pour la période concernée (2010-2011), ces budgets n’étaient pas exécutés à cent pour cent. C’était cette mise au point qu’il y a eu. Au début, cela a donné l’impression d’un harcèlement. A la fin, c’est cette conclusion que les autorités de la police elles-mêmes ont tirée. De ce côté-là, on n’a pas du tout à s’en faire. Il faut continuer de travailler.

 

J.M. : Alors, Excellence, que faire pour ne pas « périr » ?

 

Mgr. L.P. : Il faut d’abord travailler d’arrache-pied à une éducation complète du Congolais. L’éducation n’est pas seulement intellectuelle ; c’est la formation de toute la personne. Il y a la dimension morale, spirituelle, psychologique de la personne, etc. C’est tout cela qu’il faut prendre en compte pour que demain, le jeune qui est formé, puisse apporter le meilleur de lui-même à cette société. Nous savons qu’il y a beaucoup de talents parmi ces jeunes. Il faut aider ces talents à émerger. C’est cela finalement que nous avons à faire. Tout ce que nous pouvons faire dans le domaine de l’éducation n’est jamais perdu.

 

Interview réalisée par Justin MAMBIKI