La Famille dans la Bible

 

La Famille dans la Bible

 

 

0. Introduction

 

Il m’a été demandé de nous parler de la famille dans la Bible. Comme vous pouvez le constater, formulée telle qu’elle est, la thématique nous entraîne dans un terrain très vaste. Car elle implique l’homme dans sa dimension  socio anthropologique et cela requiert une réflexion à plusieurs facettes à savoir le mariage, l’égalité de dignité entre l’homme et la femme, la sexualité et partant, la fécondité.

 

Donc pour éviter toute dispersion, mon exposé portera essentiellement sur la famille comme un noyau sociale, ce que nous appelons communément, cellule de la société, Eglise domestique. Une réalité sociale qui unit un homme et une femme en vue de perpétuer la lignée. Aborder la réflexion dans cette direction, nous pousse à toucher comme je viens de l’énoncer, une réalité incontournable qu’est le mariage. Le mariage qui du point de vue de la théologie juive suivie par la théologie chrétienne  est défini comme l’union d’un homme et d’une femme en vue de fonder une famille. Donc bibliquement parlant, la famille est une réalité intrinsèquement liée au mariage.

 

Pour aborder un tel sujet, puisque nous avons la Bible comme point de repère, je prendrai des textes que je considère comme étant fondateurs de la réalité familiale. Il s’agit de Gn 1, 26-27 ; 2, 18-25. D’autres passages bibliques seront évoqués pour dénoncer les menaces auxquelles la famille est exposée. Aussi, il sera nécessaire de se baser sur les mêmes Ecritures, pour en tirer ce que nous pouvons appeler les piliers du maintient  de la famille.

 

1. La famille comme réalité voulue par Dieu

 

Le récit  le plus ancien de la création (Gn 2, 18-25) présente le mariage comme étant une institution voulue par le Créateur ; une institution dans laquelle sont impliqués un homme et une femme.  Ce caractère institutionnel du mariage est marqué par ce syntagme explicatif « c’est pourquoi » que nous trouvons au chapitre 2,24.  En effet, le mariage entre un homme et une femme est une réalité naturelle, instituée par Dieu dès l’origine par sa parole créatrice et fondatrice. L’aspect proprement institutionnel du mariage est également remarquable dans le verbe « quitter » (v24). Quitter ses parents, c’est fonder publiquement une nouvelle communauté des personnes. Quitter ses parents ne signifie pas pour autant les abandonner ; bien au contraire, en établissant d’autres formes des liens avec eux  et en s’attachant à sa femme, l’homme honore pleinement son père et sa mère, témoignant ainsi de la réussite de la vocation des parents.   

 

A travers les deux  récits de la création, l’auteur insinue que le Créateur lorsqu’il crée l’Homme, il le veut comme étant un être de relation. Une relation qu’il établit au sein d’un couple, un couple de deux personnes de sexes différents. Pour établir cette disparité des sexes au sein du couple, l’auteur du deuxième récit de la création (1,27) insiste sur les concepts homme et femme il les créa. Ce texte de tradition sacerdotale qu’on peut fixer vers le VI siècle avant Jésus Christ, présente l’être humain comme une entité orientée à la rencontre  du conjoint de l’autre sexe. Cette rencontre de deux êtres de sexes différents, s’inscrit dans l’optique de la complémentarité entre l’homme et la femme.

 

Mais avant d’aborder l’aspect de la complémentarité que présente la rencontre de deux sexes contraires, il faut souligner la dimension de l’égalité de dignité que l’homme et la femme partagent au sein du couple. En effet quand Dieu crée l’Homme, il le crée à son image ; cette image est partagée par les deux, homme et femme, ish et ishah. Ce détail est très significatif pour la considération mutuelle au sein de la famille. En effet, d’après cette source sacerdotale, l’homme et la femme partagent une même dignité, qui signifie égalité des droits au sein du couple, car le Créateur a imprimé son image dans les deux êtres.  

 

En créant l’Homme à son image, comme homme et femme, cette action de créer n’est pas une fin en soi ; en effet, cette ambivalence sexuelle dans l’acte de la création de l’Homme, a comme fondement et but essentiel la procréation. Une procréation que Dieu non seulement encourage, mais aussi qu’il bénit. Il est dit au verset 28 « soyez féconds, multipliez, emplissez la terre ». Cette fécondité et cette multiplication qui passent par l’union de l’homme et de la femme sont vues comme étant une perpétuation  de l’acte de la création. Ainsi, pour continuer à créer les êtres humains à son image et ressemblance, Dieu ne se sert plus de la glaise du sol (Gn 2, 7), ni de la côte de l’homme, mais de l’accouplement de l’homme et de la femme. Donc à travers la procréation, l’image de Dieu est retransmise de génération en génération. C’est-à-dire, tant que durera le temps, l’homme et la femme,  porteurs de l’image de Dieu seront co-créateurs. Selon certains rabbins- Rachi par exemple- l’expression  « l’homme et la femme deviendront une seule chair » désigne l’enfant qui naît de l’attachement des époux. En effet, l’enfant qui est l’épanouissement surprenant de l’amour conjugal, est le lieu par excellence où l’homme et la femme sont un. L’amour qui unit en vérité ne peut rester clos sur lui-même.  

 

Ce faisant, nous sommes confrontés ici à une attitude fondamentalement positive vis-à-vis de la sexualité, laquelle pour la société de l’Ancien Testament trouve son sens dans la rencontre avec le conjoint de l’autre sexe. Considérant cette positivité que représente l’acte sexuel au sein du couple, des conceptions qui voyaient dans le péché originel, (la chute Gn 3) un péché sexuel, (ces conceptions) demeurent insoutenables. Car la sexualité est comprise dans ce contexte comme une création de Dieu ; donc voulue par lui.

 

Cette idée positive de la sexualité en vue de la procréation trouve aussi des échos dans plusieurs pages des Ecritures de l’Ancien Testament, notamment dans l’histoire des patriarches : en effet, on se marie pour continuer la descendance, pour augmenter la lignée d’Abraham et accroître l’espérance d’Israël.

 

C’est au nom de la continuité de la lignée que la polygamie peut être consentie  (Gn 16 1-15) : en vue de perpétuer la descendance de son mari, Sara consent que Abraham puisse s’unir à Agar l’esclave. D’après le droit mésopotamien, une épouse stérile pouvait donner à son mari une servante pour femme et reconnaître comme siens les enfants nés de cette union. C’est dans cette même logique que le code deutéronomique a institué le lévirat (Dt 25,5). Du latin levir (beau-frère) qui traduit l’hébreu yabam, cette institution qui existait aussi chez lez Assyriens et les Hittites, avait pour fin de perpétuer la descendance et d’assurer la stabilité de la famille.

 

Donc, pour l’homme de l’Ancien Testament, la stabilité et l’équilibre de la famille dépendent essentiellement de la procréation qui est vue comme une bénédiction. C’est dans ce sens qu’Abraham exprime son inquiétude devant Dieu avant la naissance d’Ismaël et d’Isaac. En effet, bien qu’étant déjà avancé en âge, la descendance demeure pour le patriarche une préoccupation majeure.

 

Cette descendance ne pourra  être assurée tant que l’homme demeure seul ; c’est ainsi que le plus ancien récit de la création de l’homme dit : « qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul, il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie » (Gn 2, 18). L’expression « qui lui soit assortie » n’a pas été bien rendue en français, car kenegdô traduit mot à mot de l’hébreu  veut dire  quelque chose qui correspond à lui, quelque chose qui soit comme lui.  Donc dans kenegdô, nous avons  non seulement l’idée de l’égalité que nous venons d’évoquer, mais aussi celle de la complémentarité en vue de la procréation. L’arrière plan de cette complémentarité c’est la rencontre des deux égalités (c'est-à-dire, du point de vue ontologique, deux êtres qui partagent la même dignité en tant qu’images de Dieu) mais différents (du point de vue somatique), une différence incontournable, indispensable, comme moyen essentiel et je dirais exclusif dans la retransmission de l’image de Dieu. Lorsque le créateur dit « qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul », il évoque là, non seulement un détail du point de vue socio anthropologique ; en effet  derrière cette considération, se cache l’idée selon laquelle l’homme Adam ne peut pas à lui seul garantir la fécondité commandée par le créateur. Il faudra nécessairement que de Adam soit assortie ishah pour qu’avec ish  ils puissent tous deux continuer à produire des images de Dieu.    

 

En effet, ayant reçu cette image du créateur, ish et ishah, malgré leur ressemblance au créateur,  ils ne pourront pas reproduire cette même  image du créateur étant seul.  Les deux images séparées l’une de l’autre  expriment une pauvreté, une incapacité anthropologique de soumettre la terre tel que le créateur le veut en genèse 1, 28. Ceci veut dire que l’homme n’a pas été projeté comme un être auto suffisant.

 

En guise de conclusion de cette partie, il faut rappeler que dans la Bible et plus précisément dans l’Ancien Testament, la famille trouve son espace de réalisation au sein du mariage. En effet, mariage et famille sont deux réalités indissociables. Et lorsque nous parlons du mariage, nous voyons dans cet acte, la rencontre d’un homme et d’une femme  en vue de procurer une progéniture.

 

2. Les menaces contre la famille

 

Dans le code deutéronomique qui va de Dt 12-26, l’auteur a réservé une pensée qui consiste à préserver la famille de certaines attaques. La première atteinte contre la famille que l’Ancien Testament signale c’est l’adultère. Au chapitre 22, 22 du livre du Deutéronome, le législateur parle d’un mal qu’il faut faire disparaître en Israël, parce que c’est un facteur destructeur de l’équilibre de la famille. A coté de l’adultère, l’auteur ajoute également l’inceste auquel le  livre du Lévitique a réservé un grand espace (Lv 20, 8-21): maudit soit l’homme qui commettra l’inceste, dit l’auteur sacré, car c’est un déshonneur pour la famille. Dans la même ligne d’idée, c’est-à-dire, celle qui consiste à dénoncer les fautes contre la famille, le Lévitique signale  l’homosexualité qui est considéré comme  une abomination, une pratique délétère contre l’institution familiale (Lv 20, 13).

 

Plus loin dans le Nouveau Testament, Jésus signale une autre menace contre la famille, à savoir le divorce. Si dans les écoles rabbiniques les Maîtres tergiversaient au sujet de l’insolubilité du mariage, Jésus, en sa qualité de nouveau Moïse, exprime sa fermeté en la matière. En effet, dans Mc 10, 1-10 lors d’une controverse avec les pharisiens, Jésus condamne avec vigueur le divorce. En cette circonstance, le prophète de Nazareth  cite les deux textes fondateurs du Mariage (à savoir Gn 1,27 et 2,24) et conclut en disant qu’il ne revenait pas à l’homme de séparer ce que Dieu a uni. Il s’agit ici de l’union indissociable du couple humain dont Dieu est l’auteur. En se prononçant contre le divorce, Jésus rectifie la loi mosaïque, car comme il était déjà signifié auparavant, tout repose sur une volonté divine qui précède et qui transcende la législation donnée à Israël. Le divorce est vu ici comme une désobéissance au commandement de Dieu.

 

3. Les piliers du maintient de la famille selon les Ecritures

 

L’importance et la centralité de la famille par rapport à la personne et à la société est soulignée et ce, de façon répétée dans les Ecritures. Considérée comme le premier espace d’humanisation de la personne et de la société, la famille est incontestablement le berceau de la vie et de l’amour. C’est ainsi que nous trouvons dans la Bible des indications morales, avec le but de maintenir et de garantir l’intégrité de la famille.

 

En effet, saint Paul nous fournit quelques pistes, permettant à chaque composante de la famille d’assumer sa place, pour plus d’équilibre et d’efficacité de ce noyau social. C’est dans sa lettre aux Ephésiens au chapitre 5, 21 ; 6, 1-4  ainsi que dans la lettre aux Colossiens 3, 18-21  que nous trouvons un véritable code de la famille. Les devoirs des uns et des autres sont ceux-là que nous appelons par piliers du maintiennent  la famille. A travers cette morale domestique, l’Apôtre veut insinuer que ce qui soutient la famille c’est l’amour vrai, l’altruisme et l’humilité. En effet, les femmes sont invitées à se soumettre à leurs maris, pas dans une attitude servile, mais dans le respect, en leur qualité de chef de la famille.

 

Aux maris, on exige plus, car ils sont appelés à aimer leurs épouses comme eux-mêmes. Pour parler de l’amour que les maris doivent avoir vis-à-vis de leurs femmes, saint Paul se réfère à celui que le Christ a nourri pour l’Eglise. Ainsi, le mariage chrétien comme féconde communion d’amour entre deux personnes, est un symbole et une participation à  l’union entre le Christ et l’Eglise. Par voie de conséquence, les attitudes respectives du Christ et de l’Eglise commandent celles de l’époux et de l’épouse. Vécu dans cette logique, le mariage devient non seulement un lieu dans lequel on revit l’alliance, mais aussi un lieu de témoignage. En effet, le mariage saint, vécu dans l’amour, est un signe et un témoignage de l’amour réciproque entre le Christ et l’Eglise.

 

Aux enfants, il est demandé d’obéir à leurs géniteurs, car dit l’Apôtre, cela est juste. Cette obéissance qui est l’expression de l’amour filial, s’inspire des vertus qui émanent des deux géniteurs. Une famille où l’amour réciproque est une évidence entre mari et épouse, les premiers bénéficiaires de ces bienfaits ce sont les enfants. En transmettant cette morale domestique, saint Paul veut insinuer que la famille est l’espace où l’amour est vécu, et partant, le lieu par excellence de la retransmission des valeurs. En effet, c’est au sein de la famille que l’enfant apprend à faire les premiers pas d’humanisation de soi ; c’est là qu’il puise les vertus de l’amour de l’obéissance et du respect mutuel.

 

4. Quelle leçon tirer de cette parole de Dieu ?

 

Toute parole de Dieu ne peut pas ne pas interpeller un esprit sensé ; celle qui nous a servi de point de départ pour cette réflexion  sur la famille,  vient à point nommé dans un monde en mutation, un monde dans lequel nous sommes confrontés à un combat des valeurs. En effet, à travers les deux récits de la création, soutenus par d’autres textes des Ecritures, nous avons appris que la famille, telle que nous l’avons présentée, demeure une valeur incontournable. C’est-à-dire, pour nous croyant, chrétiens et pasteurs, la famille est une valeur à défendre, pourvu qu’elle reste dans les normes établies par le créateur : à savoir, l’union d’un homme et d’une femme, avec le but (et ce par la grâce de Dieu) de procréer des enfants.

 

Donc, si telle est notre conviction, alors nous n’admettons pas certaines théories telles que celle du mariage pour tous, prôné sous d’autres cieux, une théorie à laquelle nous ne sommes pas épargnés, vue l’influence de la mondialisation. C’est-à-dire, en tant que chrétiens et  hommes d’Eglise, l’Eglise vue comme garante de la vie morale en société, nous sommes invités à avoir une parole ferme vis-à-vis de toute théorie sensée menacer l’ontologie du mariage. En défendant le mariage de tous ce qui peut le désintégrer, nous n’offensons personne ; nous ne portons atteinte à la dignité de qui que ce soit ; nous préservons quelque chose de cher qui constitue le socle de l’Eglise et partant de la société.

 

En nous opposant au mariage des homosexuels, s’il faut aller jusqu’au bout de notre logique, nous n’acceptons pas également l’adoption des enfants par des couples homosexuels. Car comme nous venons de le voir, la famille demeure l’environnement par excellence où l’homme acquiert les vertus essentielles pour une existence menée en conformité avec la volonté de Dieu. Considérant l’idée que nous avons du mariage, idée que nous héritons des Ecritures, nous estimons qu’un couple homosexuel n’est pas en mesure de retransmettre à un enfant le contenu de la famille telle que l’a voulu le Créateur.

 

Admettre que des homosexuels adoptent des enfants, c’est collaborer à la ruine de la société de demain, qui sera dirigée par des membres avec une idée tordue de la famille. En effet, les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de  demain, sensés conduire les destinées des peuples dans l’avenir. S’ils grandissent dans un environnement  homosexuel, ils ne pourront promouvoir et défendre que ce qu’ils auront reçu dans leur milieu de vie. Car vous conviendrez avec moi qu’un couple homosexuel  ne peut que retransmettre à ceux qui sont sous sa tutelle, l’idée ou le concept qu’il a de a famille. Une idée qui ne concoure pas à la bonne santé de celle-ci telle que le créateur le veut.  

 

Conclusion

 

En guise de conclusion, et en accord avec la constitution Lumen Gentium, au numéro 52,  je dirai que la famille demeure une école d’enrichissement humain. Le lieu par excellence de la floraison et de l’épanouissement de la vie. Mais pour qu’elle puisse atteindre la plénitude de sa vie et de sa mission, elle doit être protégée contre toute sorte d’idée visant à détruire sa vocation. Ceci suppose mettre en place des mécanismes visant à promouvoir le mariage (que nous considérons comme étant le socle de la famille), en lui donnant sa valeur et son sens que le Créateur lui a donné depuis les origines.

 

Le mariage n’est pas une institution purement humaine, malgré les nombreuses variations qu’il a pu subir au cours des siècles, dans les différentes cultures, structures sociales et attitudes spirituelles. Ces diversités ne doivent pas oublier les traits communs et permanents qu’il incarne. En notre qualité de chrétiens et d’hommes d’Eglise, il est de notre devoir d’éclairer les consciences sur cette problématique du mariage et de la famille : que le pouvoir civil et toutes les personnes de bonne volonté considèrent comme un devoir sacré de reconnaître leur véritable nature, de les protéger et de les faire progresser, de défendre la moralité publique et de favoriser la prospérité des foyers.

 

Ce qui revient à dire qu’il faut garantir la procréation  des parents et le droit d’élever leurs enfants en famille. C’est de cette manière que la famille peut revendiquer son statut de cellule de la société et de l’Eglise.   

 

Abbé Antonio MABIALA

le 7 Mai 2014, à l’occasion de la plénière

de la Conférence épiscopale du Congo

 

        

   

 

 

 

 

 

 

 

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