Jean Guth a porté les souffrances de la mort de Jésus

 

Homélie de Mgr Louis Portella Mbuyu, Evêque de Kinkala, à la messe des funérailles du Père Jean Guth

«Jean Guth a porté, en son corps, les souffrances de la mort de Jésus»

"Le dernier souvenir que je garde du Père Jean Guth, est celui de la rencontre des ouvriers apostoliques du diocèse de Kinkala.

En effet, au lendemain de l'intronisation du nouvel évêque, nous nous étions donné un prochain rendez-vous, pour les 19, 20 et 21 mars 2002. Il était question, pour nous, de réfléchir et de nous concerter sur les problèmes urgents et le calendrier de l'année pastorale en cours. Mais aussi, d'échanger sur les perspectives pastorales d'avenir du diocèse. Jean Guth était bien au rendez-vous, avec tous les autres.

Après avoir, bien sûr, subi les tribulations de cette fameuse route, qui demeure encore aujourd'hui, pour nous, un véritable calvaire. D'ailleurs, ce n'est pas cela qui pouvait l'arrêter. Lui qui avait lié sa vie à celle des pauvres, aux populations rurales, soumises à des conditions de vie plus que précaires. Il n'en était pas à son premier calvaire, ni hélas, à son dernier. C'est lui qui nous rassemble à présent.

Cette rencontre a été couronnée par la messe chrismale, anticipée, le jeudi 21 mars. Et la photo du presbytérium de Kinkala, qui est devant l'autel, a été prise à la sortie de cette messe. C'est, je pense, sa dernière image.

C'est au cours de cette rencontre qu'il s'était acquis l'aide d'un des deux prêtres de Kinkala, membre de l'équipe des formateurs du Grand séminaire, l'abbé Camille Biémoundonga.

Dans le secteur Mayama-Kindamba et Vinza, il se sentait le devoir d'aller auprès des communautés chrétiennes lointaines. Ainsi donc, Camille devait remplacer Jean Guth à Mayama, et lui-même devait monter à Kindamba, pour les fêtes de Pâques.

Un autre programme avait été aussi élaboré, au cours de cette même rencontre. Celui de mes visites pastorales. Et la première devait commencer chez lui.

Du 12 au 7 avril, il devait m'accueillir à Kindamba.

Et du 17 au 22 avril, il devait m'accueillir à Mayama.

Mais le Seigneur, le Maître de l'Histoire en a disposé autrement.

D'après les informations dont nous disposons, le Père Jean Guth, après avoir accueilli l'abbé Camille, a quitté Mayama, pour rejoindre Kindamba.

Les célébrations du triduum saint se sont passées normalement, jusqu'au Vendredi-Saint. C'est dans la soirée du Samedi-Saint, le 30 mars, que le drame a commencé. Coups de feu, panique générale, appels de la Force publique à quitter les maisons; pillages, rançonages, tout est de la partie. Jean Guth, lui aussi, a été sommé de débourser aux jeunes de la Force publique, la somme d'argent qu'il détenait, pour les frais de son séjour.

A cause de ce climat malsain, il décide de rejoindre Mayama, aussitôt, après la fête de Pâques. Malgré, nous, a-t-on dit, l'avis contraire du Sous-Préfet de Kindamba qui l'en aurait dissuadé.

C'est sur le chemin du retour qu'il est appréhendé par un groupe de Ninjas. Ici commençait, pour Jean Guth, alors que partout ailleurs, on célébrait dans l'allégresse, la Résurrection du Seigneur, un long chemin de Croix qui va durer quatre mois et dix jours, du 31 mars au 10 août 2002.

Depuis ce jour du 31 mars, nous n'avons plus eu de contacts avec Jean Guth. Il fallait désormais se contenter d'informations qui pouvaient nous parvenir, soit de la part de certains témoins fiables, soit de la part d'informateurs plus ou moins fantaisistes. Les quelques tentatives d'envoi de message oral ou écrit, par l'un ou l'autre, qui prétendait l'atteindre n'ont donné aucun résultat.

Ainsi, à partir de ce Saint jour de Pâques, Jean Guth n'a eu aucune communication, ni avec ses frères de la congrégation du Saint-Esprit, ni avec ses frères et soeurs, ouvriers apostoliques de Kinkala. encore moins avec ses parents et ses supérieurs de Paris ou de Rome. Une solitude que nous pouvons deviner, cruelle et intolérable.

Au niveau de l'Episcopat du Congo, nous avons proposé la voie incontournable du dialogue, pour sauver sa vie, ainsi que celle d'autres personnes, et allèger les souffrances des pauvres populations. Hélas! C'est sûr, on ne fait jamais assez pour sauver la vie d'un frère. Et à ce titre, nous n'hésitons pas à demander humblement pardon au Seigneur, et à toi Jean, pour ce que nous aurions pu et dû faire encore et que nous n'avons pas fait.

Nous, Eglise qui est au Congo, dont tu étais membre, en tant que missionnaire et ministre et ordonné. Nous, peuple Congolais, avec ses autorités, dont tu as voulu partager le sort, en te situant au plus bas de l'échelle. Que le Seigneur, qui sonde les reins et les coeurs et qui est riche en miséricorde, nous libère de nos fautes, de nos négligences, de notre torpeur, dans le combat de foi et d'amour que nous devons mener, pour plus de paix, plus de justice et plus de vérité.

Oui, chers frères et soeurs, l'itinéraire paradoxal suivi par Jean Guth, surtout ces dernières années, depuis son installation à Mayama, nous fait penser à l'apôtre Paul et au Seigneur Jésus lui-même.

Voilà un véritable fils de Libermann qui a planté sa tente dans un peuple, une région: celle du Pool. Il l'a vraiment épousée. Allant jusqu'à maîtriser les subtilités de la langue, et partant de la culture du lieu. Vivant dans une simplicité extrême. Se contentant même de se nourrir de ce dont se nourrissaient les populations, parmi lesquelles il était. Mais cet enfouissement était pour le relèvement de son peuple. Travailleur acharné, rigoureux, constructeur infatigable, il avait, bien sûr, réhabilité l'église de Mayama. Mais, il est allé plus loin. Il avait commencé à lancer le maréchage. Et comme on l'a dit tout à l'heure dans la biographie, il avait un grand projet d'électrification et d'adduction d'eau. Grâce à des financements extérieurs.

C'est donc cet homme, Congolais dans l'âme, parce que missionnaire; respecté et vénéré dans la région comme un ancien, un «n'kâka», celui qui va être torturé, suicidé, humilié, ballotté par-ci par-là, par ses propres fils, ses propres petits fils, ses propres «batékolo».

Faut-il dire qu'il est venu chez les siens et que les siens ne l'ont pas reconnu, ne l'ont pas reçu? Je ne le pense pas! Il s'agit plutôt là d'une génération de fils perdus; ayant effectivement perdu les vrais repères de la vie, devenus sans foi ni loi. Et malheureusement utilisés par des responsables.

Oui, comme l'apôtre Paul, Jean Guth, durant tout ce calvaire, a porté en son corps, les souffrances de la mort de Jésus. Il a continuellement, durant ce long calvaire, été livré à la mort. A cause de Jésus. Et si la mort a fait son oeuvre en lui, nous savons, par la foi, que la vie fera son oeuvre en nous, dans ce peuple qu'il a tant aimé. Et pour lequel il a donné sa vie. La vie fera son oeuvre dans ce peuple. Oui, vie de paix, vie de justice, vie de promotion humaine, vie d'amour.

Une relecture de foi de ce drame doit nous faire découvrir la logique de l'Evangile. La logique du grain de blé tombé en terre. Et, nous ne pouvons porter du fruit que grâce à sa mort.

Mourir, voilà ce à quoi a consenti Jean Guth. Mourir, oui, nous aussi, nous avons, en tant que messagers de l'Evangile, à y consentir. Si nous voulons que la vie fasse son oeuvre, dans ceux vers lesquels nous sommes envoyés. Mais, mourir à quoi? Mourir à notre tiédeur!

Mourir à notre manque d'ardeur! Mourir à la recherche égoïste de notre confort personnel! Mourir à notre torpeur intellectuelle! Mourir à notre lourdeur pastorale! Devant la misère spirituelle et matérielle du peuple! Devant les atteintes aux droits humains!

Devant l'injustice! Devant le mensonge!

Puisse, avec la grâce de Dieu, le grain de blé qui est devenu Jean Guth, porter beaucoup, beaucoup de fruits, pour notre Eglise, pour notre peuple. Amen!"

Mot du Père Joseph Mermier de la congrégation du Saint-Esprit

Nous nous sentons, ce matin, solidaires du sacrifice que le Père Jean Guth a fait de sa vie. Nous savons et nous acceptons pleinement qu'avoir à verser son sang fasse partie de la vie missionnaire.

C'est dans la paix et l'action de grâce que nous nous efforçons de traverser ce moment douloureux.

La vérité sur les événements qui, depuis le dimanche de Pâques, perturbent la région du Pool, est mal connue. Notre vérité à nous missionnaires, celle dont nous pouvons témoigner, c'est la vérité de la souffrance de tout un peuple dont nous partageons la Vie.

S'il fallait qu'un prêtre français meurt au milieu des paysans congolais pour que cette Vérité soit dite, la mort du père Jean n'aura pas été inutile.

Mot de remerciement de Mgr Portella

A tous ceux qui, de près ou de loin, ont aidé, et les Pères du Saint-Esprit, et le diocèse de Kinkala et l'Eglise du Congo, à ce que cette célébration se fasse de cette manière. Nous disons merci au Gouvernement congolais qui a facilité les démarches, pour aller jusqu'à Louolo et exhumer les restes du Père Jean Guth. Merci à l'Ambassade de France, à Monsieur le Chargé d'Affaires, aux responsables militaires de l'Ambassade de France, les gendarmes particulièrement, qui sont allés jusque là-bas, et qui ont participé à cette opération d'exhumation.

Merci aux gendarmes congolais qui ont été, aussi, de la partie; merci au médecin légiste qui nous a aidés à voir clair dans l'état du corps de Jean Guth. Merci aux responsables de la morgue municipale de Brazzaville qui nous ont manifesté tant d'égards, de la délicatesse, pour que toutes ces opérations se fassent de la manière la plus simple et la plus rapide. Merci à toutes les autorités qui ont contribué à tout cela.

Merci à vous, Pères, à vous chers évêques, à vous chères soeurs religieuses, à vous fidèles, frères et soeurs.

Vous avez été à plusieurs reprises et à plusieurs titres proches de cette souffrance. Comme a dit le Père, non seulement de l'Eglise mais d'un peuple. Vous êtes de ce peuple.

Un merci spécial à Mgr le Nonce apostolique qui, depuis le début de ce drame, a été très proche, très attentif. Et nous lui demandons de transmettre au Saint Père, à travers le Cardinal Angelo Sodano, notre gratitude, pour son attention paternelle. Que dire donc?

Dans la foi chrétienne, là où il y a la mort, il y a l'espérance de la résurrection. Comme l'a dit Saint Paul, dans la lettre que nous avons entendue, la mort a fait son oeuvre dans Jean Guth, pour que la vie fasse son oeuvre en nous. C'est cela notre conviction.

Nous croyons fermement qu'à travers cette mort et à travers ses souffrances, il y a comme un enfantement qui est en train de se faire. Un enfantement d'un Congo nouveau, où il n'y a plus de guerres, de pillages, de tortures, de soupçons, de ceci ou de cela. Un Congo où la vie est respectée.

Nous prions pour que, réellement, ce drame auquel nous avons tous participé, puisse produire beaucoup de fruits. Aujourd'hui, encore, nous savons que la région est en ébulition. Le fait est que nous ne sommes même pas capables de rejoindre notre lieu de travail.

Il était prévu, en effet, que lundi, tous les ouvriers apostoliques soient à Voka, pour toute une semaine de réflexion pastorale. Eh bien, aujourd'hui, cela n'est pas possible. Malgré tout, comme le dit Saint Paul: «Dans l'impasse, mais nous passons, nous passerons."