Nous faisons partie de ces vignerons infidèles

 

Nous faisons partie de ces vignerons infidèles (27e  Dimanche du temps ordinaire – Année A)

Textes : Is 5,1-7 ; Ps 80(79) ; Philip. 4,6-9 ; Mt 21,33-43

Pour le troisième dimanche consécutif, les textes liturgiques nous proposent une image allégorique suggestive des Saintes Écritures : l'image de la vigne. La péricope initiale du récit évangélique fait référence au « cantique de la vigne » que nous trouvons dans la première lecture, tirée du livre du prophète Isaïe. Il s'agit d'un chant situé dans le contexte automnal de la vendange : un petit chef-d'œuvre de la poésie juive, qui devait être très familier aux auditeurs de Jésus et à partir duquel, ainsi qu'à partir d'autres références des prophètes (Cf. Os 10, 1 ; Jr 2, 21), on comprenait bien que la vigne désignait Israël. Et le Seigneur prend soin de son peuple comme un époux bon et fidèle le ferait à son épouse.

Cette image de la vigne, avec celle des noces, décrit donc le projet divin du salut et se présente comme une allégorie touchante de l'alliance de Dieu avec son peuple. L’Évangile de Mathieu que nous écoutons, récupère et prolonge le cantique d'Isaïe, mais en la simplifiant et en l'adaptant à ses auditeurs et à la nouvelle ère de l'histoire du salut. Notre attention n’est pas tant orientée sur la vigne que sur les vignerons, auxquels les « serviteurs » du maître demandent, en son nom, le loyer du terrain. Mais les serviteurs sont frappés et même tués. Et à la fin, le propriétaire de la vigne envoie son propre fils, croyant qu’il serait écouté. Bien au contraire, les vignerons le tuent justement parce qu’il est le fils, autrement dit l'héritier, convaincus de pouvoir ainsi prendre facilement possession de la vigne. C’est donc clair qu’il y a ici un saut de qualité par rapport à l'accusation de violation de la justice sociale, que claironne le cantique d'Isaïe. Le refus de la volonté consolante du maître devient mépris et violence envers lui. Nous assistons non seulement à une désobéissance à un précepte divin, mais aussi et surtout à la signature de la mort de Dieu, au mystère de la croix du Seigneur. 

Saint Matthieu bouscule ici notre modus vivendi et procedendi. Sans doute, il fait allusion au Vendredi Saint, à « l’heure du Christ » qui est sa passion. Mais ne devons-nous pas penser également à ce que le Christ doit souffrir dans tous les temps ? Nous tuons le Fils de Dieu, chaque fois que nous laissons les petits dieux de toutes ces pratiques ésotériques envahir l’espace public, nos habitations et nos cœurs. Nous tuons Jésus, chaque fois que nous laissons les oracles de ces pasteurs ignorants et cyniques, diviser nos familles. Nous tuons Jésus, chaque fois que nous privons les pauvres de bonnes écoles et de la nourriture pour leurs enfants, des hôpitaux dignes pour soigner leurs malades. Nous tuons Jésus, chaque fois que nous nous considérons comme les seuls artisans de notre propre destin, les propriétaires absolus du monde et de tous ses habitants

En foulant aux pieds le vrai Dieu et son salut, l'homme croit pouvoir faire ce qui lui plaît et se présenter comme seule mesure de lui-même et de sa propre action. Mais quand les hommes se proclament propriétaires absolus d'eux-mêmes et maîtres de la création, peuvent-ils vraiment construire une civitas où règnent la réconciliation, la justice et la paix ? N'arrive-t-il pas plutôt – comme nous le démontre amplement le coup d’œil en biais de nos journaux – que s'étendent l'arbitraire du pouvoir, les intérêts égoïstes, les scandales et les injustices, la corruption et l’avidité, le mépris et les mensonges, les violences qui conduisent à la misère et à la mort ? La vérité est que « là où l’homme ne perçoit plus Dieu, la vie devient vide ; tout est insuffisant ». Que l’on ne se trompe pas, « seulement là où on voit Dieu commence véritablement la vie. Seulement lorsque nous rencontrons dans le Christ le Dieu vivant, nous connaissons ce qu’est la vie » (Benoît XVI).

Ainsi, cette parole doit nous faire réfléchir et même nous secouer tous. Ceci ne signifie cependant pas que tous ceux qui vivent dans l’Église sont à estimer comme des assassins du Fils de Dieu, des ennemis de la vigne. Absolument pas ! Non, c’est plutôt le moment d’admirer nos prêtres, nos catéchistes qui accueillent le Christ pour le montrer à d’autres ; c’est le moment de rendre grâce pour tous nos parents qui, avec tous les problèmes, les souffrances et les peines qu’ils rencontrent expérimentent toujours la joie d’être chrétiens, le bonheur de connaître le Christ et d’appartenir à son Église. L’image de la vigne est un signe d’espérance et de confiance, parce que le Seigneur ne peut abandonner son projet pour ses amis. Dieu lui-même se met entre nos mains, accepte de devenir un mystère insondable de faiblesse et manifeste sa puissance dans la fidélité à un dessein d’amour.

La vigne ne sera pas détruite. Alors qu'il abandonne à leur destin les vignerons infidèles, le maître ne se détache pas de sa vigne et la confie à d'autres serviteurs fidèles. Parce lui est « La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la tête de l'angle » (Psaume 117 (118), 22). Dieu ne peut pas mourir, le mal n’aura jamais le dernier mot. À sa passion douloureuse et à sa mort sur la croix, succédera la gloire de sa résurrection. La vigne continuera alors à produire du raisin et sera louée par le maître « à d'autres vignerons, qui lui en livreront les fruits en leur temps ».

Nous faisons partie, nous aussi, de ces « vignerons », nous les baptisés au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Dans le mystère de sa Pâques, le Seigneur est devenu lui-même la vigne véritable et son Père le vigneron. « Tout sarment en lui qui ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, pour qu'il porte encore plus de fruit » (Jn 15, 1-2). Prions pour que ne se réalise jamais, ce que dit le texte biblique à propos de la vigne : « Il attendait de beaux raisins : elle donna des raisins sauvages » (Cf. Is 5, 2). Prions pour que le Seigneur, qui nous donne son sang et qui se donne Lui-même dans l'Eucharistie, nous aide à « porter du fruit » qui demeure. Amen.

                                                                                              Père Raphaël Ndaphet BAZEBIZONZA, SJ