Qui est saint ?

 

Qui est saint ? (Solennité de La Toussaint 2014 – Année A)

Textes : Ap 7, 2-4, 9-14 ; Ps 24, 1-6 ; 1Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12

L’antienne d’ouverture de cette fête de tous les saints est une invitation à la réjouissance dans le Seigneur qui nous sanctifie tous. Mais en premier lieu, nous voulons partager l’exultation des femmes et des hommes qui ont lavé leurs robes dans le sang de l’agneau et qui, aujourd’hui, voient et touchent les plaies du Seigneur face à face, le contemplent et l’adorent. L’Église célèbre aujourd’hui sa dignité de « mère des saints, image de la cité céleste » (A. Manzoni) et manifeste sa beauté d'épouse immaculée du Christ, source et modèle de toute sainteté. Il est aussi vrai qu’elle ne manque pas de fils contestataires et rebelles, mais sa force et sa vitalité, c'est dans les saints. Mais qui est saint ou, simplement, qui fait partie de ce cercle des sanctifiés ?

La première lecture parle d’« une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, de toute nation, race, peuple et langue » (Ap 7, 9). Nous pensons naturellement à tous ces gens simples qui peuplent la Bible, aux nombreux martyrs, aux saints et saintes de tous les temps qui ont tout donné au Christ pour le salut du monde. Mais nous pensons aussi à nos ancêtres, à toutes ces âmes pauvres de nos familles, de nos communautés, de nos quartiers, qui renoncent à elles-mêmes pour que des vies meilleures naissent sur la terre. En effet, à la communauté des saints, n’appartiennent pas seulement les grandes figures que nous connaissons, comme St Ignace, St Dominique, ou encore Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Nous sommes tous la communauté des saints, nous, les baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, qui vivons du don de la chair et du sang du Christ, par lesquels il a voulu nous transformer et nous rendre semblables à lui. C’est pourquoi les premiers chrétiens étaient appelés « les saints » (Cf. Ac 9,13.32.41 ; Rm 8,27 ; 1 Co 6,1). Nous voyons bien qu’il existe un lien profond et indissoluble entre ceux qui sont encore pèlerins dans ce monde et ceux qui ont franchi le seuil de la mort pour entrer dans l’éternité. Restons encore sur ces derniers, puisqu’il s’agit de leur fête. Pourquoi les célébrons-nous ? Ont-ils vraiment besoin de nos chants ?

Saint Bernard, dans une homélie de la Toussaint, nous donne une réponse qui nous console : « Nos saints, dit-il, n'ont pas besoin de nos honneurs et ils ne reçoivent rien de notre culte. Pour ma part, je dois confesser que, lorsque je pense aux saints, je sens brûler en moi de grands désirs ». Fêter la Toussaint, chers frères et sœurs, signifie réveiller en nous le grand désir d'être comme les saints : des gens qui vivent dans la proximité de Dieu (la contemplation ou la prière) et dans le service des périphéries. La sainteté exige un effort constant de prière. Les biographies des saints décrivent des hommes et des femmes capables de Dieu, des âmes simples et humbles qui demeurent toutes proches du Seigneur. Mais nous, sommes-nous des prieurs ? Avons-nous du temps et de l’espace pour Jésus ? Notre temps est déjà totalement rempli. Nous vivons dans les réflexions, dans les affaires et dans les occupations qui nous absorbent entièrement.

Nous voulons apprendre des saints et des saintes du Seigneur la liberté intérieure de mettre au second plan les autres occupations – pour importantes qu’elles soient – pour nous approcher de Dieu. Le temps consacré à Dieu nous bonifie et nous humanise. Il nous rend capables des autres. Les saints et les saintes n’ont pas gardé pour eux la lumière du Christ qu’ils contemplent. Ils sont allés par les chemins pour donner au monde une caresse d’espérance, pour illuminer les situations limites, les périphéries où il y a le péché, la douleur, la faim et la soif, l’injustice, l’ignorance. Aujourd’hui, ils passent leur ciel en faisant du bien sur la terre, aux vivants. Ils ont horreur de cette Église autoréférentielle qui se replie sur elle-même et qui, en définitive, cache le Christ et sa lumière.

Si nous volons être des saints, la liturgie joyeuse de la Toussaint nous invite à sortir de nous-mêmes, comme une maman qui oublie sa propre souffrance, ses propres problèmes et limites pour garantir l’avenir à son bébé. Sortons et regardons autour de nous, regardons cette humanité qui souffre : guerres, violences, conflits économiques qui frappent celui qui est plus faible ; soif d’argent que personne ne peut emporter avec soi ; pouvoir, corruption, divisions, crimes contre la vie humaine et contre la création ! En étant fidèles à l'Évangile des béatitudes que nous écoutons en ce jour et en répondant aux besoins urgents de notre temps, nous sommes appelés à concrétiser notre solidarité envers ceux et celles qui souffrent. Jésus dit : Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, heureux les doux, heureux les affligés, heureux les affamés et les assoiffés de justice, les miséricordieux, heureux les cœurs purs, les artisans de paix, les persécutés pour la justice (Cf. Mt 5, 3-10). Les béatitudes, c’est l’Évangile des périphéries. Et Jésus est le bienheureux par excellence, l’homme des périphéries. Les béatitudes, c’est la physionomie du cœur de Jésus.

Pour être saint, il n'est pas nécessaire d'accomplir des actions et des œuvres extraordinaires, ni de posséder des charismes exceptionnels. Pour être saint, il est nécessaire avant tout d'être proche du Seigneur, et de le suivre aux périphéries. Ceci est exigeant, mais il est donné à tous, car, plus que l'œuvre de l'homme, la sainteté est avant tout un don de Dieu trois fois Saint (Cf. Is 6, 3). Dans la seconde lecture, l'apôtre Jean observe : « Voyez quelle manifestation d'amour le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes ! » (1 Jn 3, 1). Nous sommes tous des saints, chers frères et sœurs ! Mais nous le serons davantage si nous créons au fond de nous-mêmes un espace pour Dieu et pour les autres. Merci Seigneur, pour le don de ta sainteté !

Père Raphaël BAZEBIZONZA, sj.