L’émotionnalité comme cause du manque d’intériorité

 

L’émotionnalité comme cause du manque d’intériorité

Introduction

Bannir l’absurde, s’interroger sur le pourquoi des choses et de la vie, donner un sens à l’existence, ce sont les requêtes légitimes de la conscience. Seulement, dans le monde de ce temps, la recherche inassouvie des aspirations et des idéaux à inscrire à notre vie conduit vers d’importants changements qui occasionnent une sortie permanente de soi vers l’extérieur, non pour « rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de  la lumière de l’Evangile »[i], mais pour une quête de bien-être émotionnel. Cette sortie permanente est favorisée par l’événementiel, entendu comme l’actualité au jour le jour.

La fuite de nos maisons intérieures

La société humaine actuelle a élu la prédominance de l’affectif et de l’émotionnel au détriment de l’intelligence (Intus legere : lire les choses de l’intérieur). Tout le monde veut être au pas, comme dans une sorte de course, par rapport à ce que le monde nous présente comme « sécurité ». Les gens veulent être au parfum de tout ce qui se passe aux quatre coins du monde, moins pour être solidaires les uns des autres que pour choisir le camp dans lequel leurs émotions ne seront pas dérangées par un certain message qui invite à une vie d’intériorité comme lieu de rencontre avec le maître des temps et de l’histoire.

L’émotionnalité comme gouvernance de vie fait que les hommes de notre monde se renferment dans la considération de ce qui est dit à leur sujet. Le jugement de l’extérieur conditionne leurs faits et gestes. L’être fait place à l’apparaître, pourvu qu’on se sente bien dans sa peau. Cette émotionnalité laisse l’homme à la superficie de lui-même. De là, découlent les fléaux criards de notre temps : la bêtise et la méchanceté.

En effet, lorsque l’homme va à la conquête des choses susceptibles d’apaiser son émotivité, tout échec produit en lui indifférence et banalisation. « La culture du bien-être nous anesthésie et nous perdons notre calme si le marché offre quelque chose que nous n’avons pas encore acheté, tandis que toutes ces vies brisées par manque de possibilités nous semblent un simple spectacle qui ne nous trouble en aucune façon »[ii]. C’est dire que l’émotionnalité est une alimentation de l’égoïsme : seule ma sensibilité compte.

C’est justement ce débit du quotient émotionnel qui est à l’origine de la susceptibilité, des suicides, des maladies de la subjectivité, telles que la boulimie, l’anorexie, les dépressions, les séparations, les crises identitaires et surtout la toxicomanie. Dès lors, se présente l’urgent besoin d’un socle intérieur, capable d’intégrer des informations qui viennent de l’extérieur sans bouleverser notre intériorité.

L’urgent passage des sommets du monde aux sommets intérieurs

Le tableau comportemental de notre monde semble nous indiquer l’épuisement du règne de l’invisible. Il nous intime l’ordre de nous contenter de ce qui est visible, si bien que toute tentative de retour vers nos maisons intérieures apparaît comme une certaine saturation, une sorte de morosité. Or, c’est dans le désert qu’on redécouvre la valeur de ce qui est essentiel pour vivre[iii]. De ce fait, une vie exemptée de tout vacarme extérieur ne peut être que celle qui retrouve une relation avec le Seigneur dans le tréfonds de son être.                                                   Et le moyen le plus sûr pour y parvenir est sans nul doute la lecture méditée, priée et vécue de la Parole de Dieu (Lectio divina).

En effet, « la lectio divina est capable d’ouvrir au fidèle le trésor de la Parole de Dieu, et de provoquer ainsi la rencontre avec le Christ, Parole divine vivante »[iv]. Cette Lectio divina s’ouvre par la lecture du texte qui provoque une question portant sur la connaissance authentique de son contenu : que dit en soi le texte biblique ? S’ensuit la méditation, qui pose la question suivante : que me dit le texte biblique ? On arrive après à la prière, qui suppose cette autre question : qu’est-ce que je dis au Seigneur en réponse à Sa Parole ? Enfin, la Lectio divina se termine par la contemplation, au cours de laquelle nous nous demandons : quelle conversion de l’esprit, du cœur et de la vie le Seigneur me demande-t-il ? Toutefois, la Lectio divina doit déboucher sur l’action qui porte l’existence croyante à se faire don pour les autres dans la charité[v].

C’est justement cet aspect du don qui constitue le résultat d’une vie intérieure bien vécue. En fait, la vie de l’intériorité n’est pas synonyme d’enfermement comme dans une cage d’acier ; elle appelle à une ouverture en vue du partage des fruits de notre méditation, prière et contemplation. L’égotisme, le repli sur soi, l’individualisme, c’est l’autodestruction. « La vie augmente quand elle est donnée et elle s’affaiblit dans l’isolement et l’aisance »[vi]. C’est seulement dans la mesure où nous donnons, où nous nous donnons que nous pouvons être heureux. Mieux, il  n’y a de bonheur que dans le don de soi.  Et ce bonheur se trouve en Christ comme « véritable oasis dans les déserts de la vie ».

Conclusion

En péroraison, il ressort de notre propos que le monde actuel est régi par le quotient émotionnel qui pousse l’homme à sortir continuellement de lui-même pour courir vers le dehors, sans direction fixe et dans n’importe quel sens, pourvu qu’il satisfasse son émotivité. C’est une existence claustrophobe. Ainsi, pour y remédier, la lecture priante de la Parole de Dieu servira à nettoyer nos maisons intérieures pour qu’elles redeviennent des lieux d’où émanent tous nos faits et gestes. Aussi le silence priant peut-il empêcher que le message du salut se perde dans les nombreux bruits de notre monde.

 

Newman Suijès SAMBA DIA MBEMBA

                                                     IIIème Année de Théologie

                                                     Grand séminaire Cardinal Emile Biayenda

 

 

 

 

 



[i] Pape François, Exhortation apostolique, Evangelii Gaudium, (24 novembre 2013), n°20.

[ii]Ibidem, n°54.

[iii]Ibidem, n°86.

[iv] Pape Benoît XVI, Exhortation apostolique post-synodale, Verbum Domini, (30 septembre 2010), n°87.

[v]Idem.

[vi] Pape François, op.cit., n°10.