En quoi consiste le pouvoir véritable ?

 

En quoi consiste le pouvoir véritable ?(Solennité de Notre Seigneur Jésus Christ Roi de  l’univers 2004 – Année A)

Textes : Ez 34, 11-12.15-17 ; Ps 22 ; 1Co 15, 20-26.28 ; Mt 25, 31-46

Aujourd'hui, dernier dimanche de l'année liturgique, nous célébrons la solennité de Notre Seigneur Jésus Christ Roi de l'univers. Nous savons, par les Évangiles, que Jésus a refusé le titre de roi lorsqu'il était compris au sens politique, à l'instar des « chefs des nations » (cf. Mt 20, 24). En revanche, pendant sa passion, il a revendiqué une royauté singulière, devant Pilate qui l'interrogeait explicitement : « Alors, tu es roi ? », et Jésus lui répondit : « C'est toi qui dis que je suis roi » (Jn 18, 37) ; mais un peu auparavant, il avait déclaré : « Ma royauté ne vient pas de ce monde » (Jn 18, 36). En effet, la royauté du Christ est une révélation et une mise en œuvre de celle de Dieu le Père « qui veille sur les brebis de son troupeau et va les délivrer dans tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de brouillard et d’obscurité ». Dieu a confié au Fils la mission de retrouver la brebis perdue pour la ramener au bercail.

Être roi pour Jésus ne signifie donc pas être armé jusqu’aux dents. Ce n’est pas une question de force. Être roi pour Dieu ne signifie pas se mettre dans une attitude autoritaire, comme si tout le monde était à ses pieds et la communauté ou la collectivité sa propriété, son royaume personnel. Être roi pour Jésus, c’est descendre aux périphéries géographiques où sévissent les contradictions d’une croissance socio-économique qui offre de grandes possibilités au plus habile, laissant tout une foule en marge de l’essentiel. Être un responsable pour Dieu, c’est être pénétré de l’odeur des brebis qui meurent de faim, qui restent condamnées à l’alphabétisme, qui manquent des soins médicaux les plus élémentaires pour leur donner une caresse d’espérance, pour les sauver. Un vrai roi, un vrai gouvernant, un vrai papa ou mama de famille, un vrai prêtre, c’est un pasteur, un berger. C’est ça que la première lecture, comme aussi les trois autres textes, nous dit en substance.

Le prophète Ézéchiel offre un portrait prophétique de la figure du vrai roi – un portrait qui prend toute sa signification dans la grandiose vision de la royauté du Christ et du salut accompli de la seconde lecture. Ézéchiel nous parle du pasteur, du berger. Dans ce texte, le prophète nous dit quelque chose sur le pasteur véritable : il recherche ses brebis ; il veille sur elles ; il les délivre, bref il en prend soin. Le contexte de cette prophétie est très suggestif pour bien peser le poids de ces caractéristiques essentielles de l’être pasteur. Dans l’Orient ancien, il était d’usage que les rois se désignent eux-mêmes comme les pasteurs de leur peuple. C’était une image de leur pouvoir, mais une image cynique : les peuples étaient pour eux comme des brebis, dont le pasteur pouvait disposer selon son bon vouloir. C’est dans la tyrannie de cette période de l’exil, face à l’échec des petits pasteurs d’Israël, c'est-à-dire des guides politiques et religieux, qu’Ézéchiel peint l’image de Dieu comme celle du Pasteur de son peuple. Et par son intermédiaire, Dieu dit : « Comme un pasteur s'occupe de son troupeau […], je m'occuperai de mes brebis. » (Ez 34, 12). À présent, Jésus annonce que cette heure est arrivée : Il est lui-même le Bon Pasteur qui nous suit jusque dans nos déserts et dans nos égarements. Pierre, à qui le Seigneur ressuscité avait confié la tâche de paître ses brebis, de devenir pasteur avec Lui et pour Lui, qualifie Jésus d'« archipoimen » – l’archipasteur (cf. 1 P 5, 4) qui abandonne la gloire du ciel pour nous communiquer la vie et, il entend dire ainsi que l'on ne peut être pasteur du troupeau de Jésus Christ que dans cette logique des gens qui ouvrent les autres à la vie de Dieu.

Mais combien de fois les insignes du pouvoir portés par nos gouvernants ne sont-ils pas une insulte à la vie, à la justice et à la dignité de l’homme ! Combien de fois leurs cérémonies et leurs discours ne sont en vérité rien d’autre que de pompeux mensonges, une caricature de la tâche qui est la leur : se mettre au service du bien ! Mais ne devons-nous pas penser également aux tentations de la vanité, de l’orgueil, de l’arrogance au sein de nos communautés religieuses ou diocésaines, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient donner un exemple de vie simple et totalement vouée au service des plus pauvres ? Combien de fois ne célébrons-nous que nous-mêmes ! Combien de fois abusons-nous de nos charges ecclésiastiques pour disperser son troupeau, pour écarter ceux qui ne nous acclament pas comme nous l’aurions voulu ! Combien d’orgueil et d’autosuffisance !

Jésus, celui qui est devenu lui-même un agneau, et qui s’est mis du côté des agneaux, de ceux qui sont faibles, est pour cela précisément le vrai roi. Son sceptre est justice (cf. Ps 45, 7), descente dans la vie des pauvres. Et dans sa descente, il est monté. C’est ainsi qu’il est la manifestation du Dieu véritable, de ce Dieu qui est l’amour. Désormais, nous savons qui est Dieu. Désormais, nous savons en quoi consiste la royauté véritable. L’Évangile nous dit qu’il s’agit de se faire le serviteur des plus petits, des plus humbles, d’être attentifs au cri du pauvre, du faible, du marginalisé : « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais étranger et vous m'avez accueilli » (Mt 25, 35). C’est cela la vérité de notre destin ultime, le critère selon lequel nous serons évalués. En effet, le royaume de Dieu n'est pas une question d'honneurs et d'apparences, mais, comme l'écrit saint Paul, il est « justice, paix et joie dans l'Esprit Saint » (Rm 14, 17). Si nous mettons en pratique l'amour du prochain, selon le message évangélique, alors nous serons des pasteurs. Si, au contraire, chacun ne pense qu'à ses propres intérêts, c’est la catastrophe. Nous nous confions à Jésus, afin qu'Il nous aide à devenir avec Lui, de bons pasteurs de son troupeau. Amen !

Père Raphaël BAZEBIZONZA, sj.